Mathias Beyler met en scène « La peur » de Gabriel Chevallier
Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Comédien de formation, Mathias Beyler exerce la mise en scène depuis presque quinze ans. Co-fondateur avec Stefan Delon de la compagnie U-StructureNouvelle, ils ont choisi d’orienter leur travail, de 2013 jusqu’en 2016, sur la thématique de la mélancolie, « un état, qui, depuis Freud, est associé à la dépression, sans mener nécessairement à des fins tragiques. » mais un état qui « peut conduire aussi à se dépasser, à trouver un sens à la vie ». De là est né en 2014 leur spectacle « Strip-Tease Forain » à partir du livre de Susan Meiselas aux Editions du Chêne. Le prochain se nommera « Melankholia », comme une évidence. Cette année, à l’occasion du centenaire de la première guerre mondiale, la compagnie a repris « La Peur » d’après le roman de Gabriel Chevallier, publié en 1931 et retiré de la vente en 1939 pour « défaitisme ». L’opportunité d’entendre le comédien Stefan Delon nous raconter l’absurdité des ordres éructés par les chefs, la peur qui broie les estomacs et l’horreur des massacres sur les champs de bataille….
« Je vais vous dire la grande occupation de la guerre, la seule qui compte : j’ai eu peur » ( Gabriel Chevallier)
La genèse de ce projet, c’était cette «Mission du Centenaire 1914-1918 »?
Pas du tout, nous avons créé ce projet suite à plusieurs rencontres initiées par le Théâtre de la Mauvaise Tête de Marvejols, d’abord ce premier hasard où Monsieur Chevalier fils se trouve être le voisin de mon père, puis l’actualité de la réédition du livre La Peur, et enfin la rencontre avec Michel Blanc, tout ça en 2009.
Quels souvenirs personnels sont rattachés pour vous à la Première Guerre Mondiale? (un grand-père ou arrière-grand-père? un cours en classe qui vous a marqué?)
Pour Michel Blanc, l’attachement est fort puisqu’il venait éditer un album musical a partir du journal de son grand-père. Pour moi j’ai eu, enfant, l’intuition de l’absurdité guerrière, dans mes souvenirs il y en trois, forts et marquants, un voisin collectionnait des daguerréotypes de la 1ère guerre mondiale avec réellement des scènes abominables, mes parents avaient un livre très violent sur la déportation pendant la seconde guerre mondiale qui m’a profondément bouleversé, et mon père, encore, en tant qu’ancien appelé d’Algérie, m’a très tôt éloigné des jeux de guerres et autres.
Pourquoi le choix de ce roman? Parce qu’il allait contre la propagande de l’héroïsme sur le champ de bataille?
Certainement oui, j’avais aussi lu Clochemerle de G Chevalier, j’ai trouvé dans La Peur un phrasé un peu distant, satyrique, qui me semblait juste pour ne pas tomber dans le piège de l’incarnation.
Pourriez-vous citer quelques phrases qui sont proférées dans le spectacle et qui raconte cette « Peur » qui tenaille le ventre des soldats?
« Regardez donc. On vous demande ce que vous avez fait !
– Oui ?… Eh bien ! j’ai marché le jour et la nuit, sans savoir où j’allais.
J’ai fait de l’exercice, passé des revues, creusé des tranchées, transporté des fils de fer, des sacs à terre, des veillées au créneau. J’ai eu faim sans avoir à manger, soif sans avoir à boire, sommeil sans pouvoir dormir, froid sans pouvoir me réchauffer, et des poux sans pouvoir toujours me gratter… Voilà !
– C’est tout ?
– Oui, c’est tout… ou plutôt, non, ce n’est rien. Je vais vous dire la grande occupation de la guerre, la seule qui compte : J’AI EU PEUR. »
« Je ne connais pas d’effet moral comparable à celui que provoque le bombardement dans le fond d’un abri. Je ne connais rien de plus déprimant que ce martelage sourd qui vous traque sous terre, qui vous tient enfoui dans une galerie puante qui peut devenir votre tombe. Il faut, pour remonter à la surface, un effort dont la volonté devient incapable si l’on n’a pas surmonté cette appréhension dès le début. Il faut lutter contre la peur aux premiers symptômes, sinon elle vous envoûte, on est perdu, entraîné dans une débâcle que l’imagination précipite avec ses inventions effrayantes. Les centres nerveux, une fois détraqués, commandent à contretemps et trahiraient même l’instinct de conservation par leurs décisions absurdes. Le comble de l’horreur, qui ajoute à cette dépression, c’est que la peur laisse à l’homme la faculté de se juger. Il se voit au dernier degré de l’ignominie et ne peut se relever, se justifier à ses propres yeux. J’en suis là… »
C’est une lecture en musique? Comment avez-vous conçu le spectacle?
La simple rencontre a créé une évidence, avec Michel nous avons construit le texte et décidé des temps forts et des articulations.
Qu’apporte selon vous le comédien Stefan Delon en particulier?
Stefan a une puissance, une retenue et une maitrise redoutable, il est juste au point d’équilibre nécessaire pour nous plonger dans l’effroi de cette guerre en nous ramenant, parfois la tête hors de l’eau, il est réellement un maitre nageur pour nos émotions.
Quelles sont les actualités de la compagnie?
Strip-Tease Forain, Création 2014, est présenté les 07 et 08 juin à Mix’Art Myrys à Toulouse. La prochaine création 2015 se nommera μελαγχολία (melankholía).
La Peur U-Structurenouvelle / Lecture – Spectacle
D’après le roman de
Gabriel Chevallier Publié aux éditions
Le Dilettante
Adaptation: Mathias Beyler
Interprètes : Michel Blanc ( batterie, vibraphone), Stefan Delon ( Texte) – Spectacle labellisé « Mission du Centenaire 1914-1918 »
Dates des représentations :
-13 novembre 2014 à 20h et 14 novembre à 15 h – Théâtre d’O, Montpellier
– 15 novembre 2014 à 20h30 – La Bergerie d’Abeilhan / Communauté de communes Pays de Thongue (34)
– 5 décembre 2014 à 20h30 – Médiathèque Pierres Vives, Montpellier
– 4 mars 2015 à 19h – La Bulle Bleue, ESAT de Montpellier.
Crédit-photo ©AXELLE CARRUSO
A lire aussi:
36ème édition du CINEMED: on garde le cap !
Montpellier : l’agglo fait son cinéma buissonnier
Festival Radio France 2014: le festival aux milliers d’auditeurs
Tout communique : l’invitation à la tolérance et à l’ouverture de Béla Czuppon et sa troupe joyeuse
Jimmy Scott : la légende ressuscitée entre jazz et théâtre
Sète : une saison 2014/15 fort enthousiasmante
Festival Fièst’à Sète : un voyage musical aux multiples couleurs