Jean-Marie Rouart : comment devient-on ce que l’on est ?

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr/ Ce roman file comme une étoile. Jean-Marie Rouart se raconte apprenti de la vie, compagnon de l’amour, maître du style. Dis-moi quelles sont tes figures tutélaires ; je te dirai qui tu es …Qu’ont en commun Solange et Jean d’Ormesson, doubles fils rouges de ce roman autobiographique ? L’une est d’abord prise à la légère, avant que sa sensualité aérienne impose subrepticement au narrateur un licol de désir et de reconquête. L’autre, viveur au regard naufrageur, est quasi vénéré, élevé au rang de Commandeur intellectuel.

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L’erreur suprême face à la vie serait d’imaginer tôt ou tard la comprendre. Tôt et l’on est un gandin ; tard et le sage que l’on croit voir en se rasant accouche d’un soupir. Héritier d’une dynastie de peintres prestigieux, Rouart Jeune aime à aller l’amble avec ces nantis que le déterminisme social englue dans des professions imperméables au rêve. Notaires, banquiers, médecins, gibiers de chanson pour Brel qui les enverrait aujourd’hui sur un green, plutôt qu’à l’hôtel des Trois Faisans. La rencontre de Solange introduit le loup dans la bourgeoisie affairiste. Le père de la jeune fille croit flairer le godelureau. La société, la « belle » surtout, sait que l’art la soupçonne. Peu importe de quoi. Solange souffre de disgrâce physique et, l’honorant, Rouart Jeune se voit en saint Martin partageant son manteau de luxure. Il accueille avec magnanimité l’irruption chez Solange de l’ivresse de plaire et de se disperser : « Elle ne me trompait que pour restaurer sa confiance en elle-même », une manière de décréter que la pitié n’est pas un sentiment érotique. Mais il n’est pas que sentimental et nonchalant. Il courtise aussi la littérature, cette école de grande patience en conflit essentiel avec l’impétuosité. A son insu peut-être, il ne songe qu’à brûler les étapes. Au gré des travaux et des jours, des rencontres et des plans sur la comète qu’inspire la fortune/infortune des autres, le roman aborde une autre peinture, celle de l’art social. Rouart Jeune y est partagé entre l’envie des déploiements sauvages d’un Bram Van Velde et les séduisantes fluidités d’une Berthe Morisot. Le récit est construit par Rouart Ainé en tableautins, chacun portant un titre, à la manière des romans-feuilletons de naguère. On y croise quelques personnages d’envergure, traités le plus souvent avec bienveillance, toujours sans concession. A l’exception de François Nourissier, recalé au banc d’essai, et du sémillant Jean d’Ormesson, reçu avec une myriade de mentions. Quelques figures féminines dont on eût aimé capter l’attention apportent une touche de grâce à ce roman qui demeurera comme une magistrale leçon de style, susceptible d’ébranler bien des vocations. Car à quoi bon oser se mesurer à l’excellence ?

Ne pars pas avant moi , Jean-Marie Rouart, Gallimard, 17,90 euros

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