« Défense de ne pas rêver » (*)

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Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr/ Aucune excuse, l’été, pour contourner le poème. Un coffret somptueusement accessible et quelques recueils vous tendent une main que vous aurez le bon goût de saisir et de ne plus lâcher.

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La nouvelle cène
Auteur d’une Petite cosmologie portative, Queneau est un des douze apôtres choisis par une trinité critique, pour incarner la poésie du XXe siècle. Son pessimisme farceur (c’est Velter qui l’écrit) va l’amble avec les pages inventives, fulgurantes, subversives, élégantes, essentielles, grinçantes, d’Apollinaire, Aragon, Char, Cocteau, Desnos, Eluard, Michaux, Ponge, Prévert, Reverdy, Saint-John Perse. Chaque volume porte beau, qui allie l’élégance à la sobriété. Les contenus sont révélateurs de leur temps, opposant parfois le rêve et la spéculation à la barbarie et aux utopies sanglantes des guerres mondiales. Houspiller pour assagir ou sonder la grande nuit des mots ? La présentation de chaque auteur relève le défi de la densité subtile. Une cosmologie poétique exemplaire, transportable partout, qu’elle soit glissée dans un baise-en-ville ou agrémente « Les terribles loisirs que ton amour me crée » (Eluard).

« Petite bibliothèque de poésie du XXe siècle », choix des poèmes et présentations : Zénon Bianu, Sophie Nauleau et André Velter, Gallimard/Télérama, 30 euros (*) titre emprunté à Queneau

Apollinaire
Apollinaire est à la mode. Pas à cause des commémorations 14-18. En raison de son œuvre et de la modernité chronique qu’elle diffuse. De passage à Stavelot (village de l’Ardenne belge) en 1899, il y collecte des impressions et souvenirs qui irrigueront les poèmes à venir. Il rencontre aussi les sœurs Dubois, qui lui inspireront de gentils acrostiches. Maria, l’une d’elles, inaugurera la litanie de ses amours volatiles. Curieusement, Maria décédera de la tuberculose en 1919, à l’âge qu’avait Apollinaire quand la grippe espagnole eut raison de lui.Les sœurs Dubois ont posé pour des cartes postales. Une chercheuse les a glanées, les commente et les situe dans le contexte de l’époque.

« Une muse d’Apollinaire à Stavelot », Fanchon Daemers, Association internationale des Amis de Guillaume Apollinaire (aiaga.secretariat@gmail.com), 12 euros

L’autre Chevillard
Thierry Chevillard a recueilli les scories d’une femme de louage. Il les restitue par un découpage poétique qui tire son émotion inouïe d’une déposition lapidaire.

« Je l’entraîne dans une alcôve.
Ma main a ouvert sa chatte.
Mes doigts entrent et caressent. Sa langue fouille ma bouche.

Elle est excitée.

La poésie est un diamant noir ouvrant parfois des aubes lustrales, lorsque la pécheresse hospitalière quitte les chemins de traverse

Je suis bachelière !
Je pleure de joie
De douleur
Mon corps se vide du mal …
Je n’ai plus à rougir.
Je suis enfin ce que j’ai souhaité devenir. »

Une défense, une illustration de la difficulté d’être et d’exister.

« Sept tableaux de la vie d’une call-girl », Thierry Chevillard, éditions Léo Scheer, 13 euros

Jacques Pautard ou le bon usage de la métaphore
Fruit d’amours guerrières fulgurantes et populairement incorrectes, Pautard en a porté le faix (mouton noir de la DDASS, beatnik, collectionneur de petits métiers, de croque-mort à gardien de zoo). Le grand désordre sentimental n’accordera pas de trêve à ce Comtois de couleur. Puisse son entrée en poésie apaiser les cicatrices qui lui couturent le cœur, sans que son écriture se défasse des bonheurs convulsifs et alluviaux qui l’habitent.

« Métis est ce qui ne trouve pas sa place afin que tout le monde en ait, et qui n’en doit jamais trouver pour ça – métis
Qui veut dire mal tissé :
Tout ce qui divise la vie vient m’y fendre la figure »

La grande famille du poème vient de trouver un frère de sang, « joyautant d’infini les froides perspectives ».

« Grand cœur vide des miroirs »

, Jacques Pautard, Arfuyen, 14,50 euros

Hoss
Qui mieux, que Marwan Hoss, pourrait tendre la main à Pautard ?

« Les portes de ta mémoire
Se sont refermées
L’inquiétude encombre ton visage
Les amours d’une nuit
Sont les plus dangereuses »

Né à Beyrouth en 1948 de père libanais et de mère italienne, Hoss gagne Paris à 20 ans.. Il fondera notamment sa propre galerie, accrochant quelques-uns des artistes majeurs de son époque. En 1980 il est naturalisé français et signe Messine par où je passe, un de ces recueils qui vous tatouent le cœur et la mémoire. Les nouveaux poèmes qui paraissent aujourd’hui ne demeurent pas en reste, qui impressionnent par leur secrète évidence et leur simplicité, grave comme les noces subreptices du soleil et de la nuit.

« Un jour nous parviendrons
A supprimer la mort
Alors naîtra une mort nouvelle. »

« La Lumière du soir »

, Marwan Hoss, Arfuyen, 12 euros

Hocquard
Le poète façon Hocquard, c’est quelqu’un qui passerait sa vie à réunir les éclats convexes d’une histoire en morceaux, la sienne le plus souvent. Celui qui dirigea un temps le département de littérature contemporaine au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris propose une diffraction des lieux, des couleurs, des œuvres, des gens, des lumières, des amours auxquels il a eu affaire. Curieux et facétieux, il passe de Salluste à Arthur Silent, vogue d’un océan de feuilles à une chambre de Tanger qui sent encore la peinture fraîche. Au gré de textes déjà parus et parfois remaniés, Hocquard fait poème de tout bois.

« Claire, légère, toute bleue est la matinée, et le soleil mûrit les dattes. Dans un mois les enfants lanceront des pierres pour les faire tomber. Les pierres et les dattes tomberont à nos pieds ou sur nos chapeaux. Tu pourrais faire attention, coquin. Les coquins ont de la chance. »

« Un privé à Tanger »

, Emmanuel Hocquard, Seuil Points poésie n° P 3278, 7,90 euros

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