Les obsédants fantômes de Jean-Jacques Schulh
Par Laurence Biava – bscnews.fr/ Le dernier livre de Jean-Jacques Schuhl rend hommage à « Obsession », film noir des années cinquante et à Baudelaire qui traverse ce recueil de nouvelles avec le poème 79 des Fleurs du mal qui s’intitule précisément “Obsession”.
Ici, onze nouvelles, autant d’anecdotes, d’ombres planantes, de courtes intrigues et histoires forcément romanesques. Le recueil est traversé par un nombre de situations où les objets censés être inanimés finissent par avoir une âme.Chaque condensé raconte une situation et témoigne d’une atmosphère particulière rappelant souvent un bout de film. Ainsi, la rencontre avec Helmut Berger, comédien Ou dans les images convoquées où chaque objet est passé à la loupe, infime détail qui grandit et s’emploie à donner de l’épaisseur au scénario. Ici, un chapeau neuf, là, une cravache, ailleurs, une robe de chambre en velours de soie, disloquée à force de se perdre dans les mains d’une couturière anglaise. Le climat du livre est ombrageux, comme sont tous les livres de Schuhl, hanté par ses fantômes, et par son imaginaire onirique. On aime ces codes, ces symboles, ancrés dans les fragments narratifs de l’auteur, balloté, maladroit, titubant d’un endroit à l’autre, cherchant, avec beaucoup d’humour, à faire mentir son image de dandy décadent. Mise en scène parfaite, empruntée à de nombreux égards au cinéma : on suit cet homme fantaisiste dans sa vie, ses rencontres, ses carrefours, cela ressemble au rêve, aux illusions dont on ne peut rien retenir. L’onirisme, justement, qui emplit l’atmosphère du livre.
« Obsessions » est un livre fantasmatique. Un jeu entre réel et fantasme, qui donne le sentiment d’être là pour que les choses se complètent, et se superposent. Comme s’enrichissent et se superposent également le lyrisme et le burlesque. On notera également des lignes de fuite, des moments où le scénario se brise, se casse et l’histoire prend un virage auquel on ne s’attendait pas.
Dans les livres de Schuhl, on note un nombre incroyable de collages, de greffes qui proviennent des épopées surréalistes. Les éléments et les images les plus inattendues s’ajoutent et se juxtaposent les unes aux autres, et c’est un bonheur d’être dans cette transfiguration permanente. Dans cette interprétation expressionniste insensée, presque burlesque, transcendée, totalement jubilatoire. En cherchant à établir d’insensées correspondances entre les mots et les images, Jean-Jacques Schuhl ne choisit pas la facilité. Obsessions est un feu d’artifice. Une réussite totale, empreinte de magie et de féérie.
OBSESSIONS
JEAN-JACQUES SCHULH
EDITIONS GALLIMARD
147 PAGES
Crédit-photo : J Sassier /Gallimard /
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