Il est actuellement metteur en scène associé au Théâtre National de Bretagne à Rennes. Après avoir côtoyé en mise en scène Beaumarchais, Brecht ( qui lui vaut notamment un Molière en 2006) et de nombreux livrets d’opéra, il choisit Molière et son fameux Misanthrope. Accompagné de plusieurs compagnons de route, comme Nicolas Bouchaud qui interprète Alceste, il nous invite à réfléchir sur la complexité d’une pièce qui ne positionne pas – contrairement à ce que de nombreuses mises en scène soutiennent – deux camps bien distincts, les sincères et les hypocrites, mais un paradoxe de l’humanité avec lequel l’homme sage doit savoir s’accommoder…..
Comment est née l’envie de monter le Misanthrope?
J’étais très intéressé par cette trilogie : Tartuffe, Dom Juan et le Misanthrope. J’ai relu le Misanthrope il y a deux ans et je l’ai trouvé extraordinaire. J’avais eu l’occasion, par ailleurs, de travailler sur Molière auparavant car j’avais terminé la mise en scène de Dom Juan de Didier Gabily en 1996.
Vous avez mis en scène de nombreux opéras. Ces expériences ont-elles une influence selon vous sur votre travail de mise en scène au théâtre?
Il y a évidemment une influence entre ces deux types de mises en scène. Surtout d’ailleurs quand je travaille sur de l’opéra, mon travail au théâtre influence ma direction des comédiens.
Qu’est-ce qui, en Nicolas Bouchaud, vous semblait indispensable pour jouer Alceste?
Je ne concevais pas cette pièce sans lui: je fais tous mes spectacles avec lui depuis 10 ans mais je voulais aussi réunir dans cette pièce d’autres comédiens avec lesquels j’ai l’habitude de travailler comme Vincent Guédon ( Philinte) et Norah Krief ( Célimène).
Comment avez-vous imaginé Alceste? Comme un personnage qui refuse de jouer et ne fait pas de théâtre, s’opposant ainsi aux hypocrites qui lui font face ?
Non, justement Alceste fait énormément de théâtre et on s’est dit qu’on ne voulait pas montrer un Alceste qui soit la sincérité incarnée dans un monde hypocrite.
Alceste et Philinte ne sont que les deux parties d’un même être humain ; on est tous un peu -dans notre vie de tous les jours- Alceste et Philinte. Alceste ne veut pas jouer le jeu de la Cour et en même temps c’est peut-être celui qui fait le plus de théâtre. Ça pose la question de la sincérité et de l’hypocrisie au théâtre qui sont des notions ambigües.
Du point de vue du jeu, avec les comédiens, vous avez travaillé du coup sur une sorte de « surjeu »?
Non, pas de surjeu. On a essayé de prendre le texte au pied de la lettre, d’arriver à en comprendre son organicité et de se demander comment la pensée véhiculée dans le texte va embarquer les corps dans la représentation. Les corps sont à chaque fois emportés dans un enjeu qui n’est pas qu’intellectuel. Par exemple, cette pièce pourrait être une pièce de conversation mais on ne voulait pas la monter ainsi. De même qu’on s’est dit qu’on ne voulait pas qu’Alceste soit regardé comme un héros mais que le public puisse aussi le critiquer et avoir de la distance.
La première conversation entre Alceste et Philinte fait penser à celle qui oppose Antigone et son oncle Créon (chez Anouilh) … sauf que les protagonistes de Molière sont deux amis !
Le rapport est effectivement compliqué parce qu’il y a deux visions du monde qui s’affrontent mais qui font aussi partie de chacun de nous. On peut se trouver aussi révolté qu’Alceste sur la manière dont la société fonctionne et en même temps on est tous obligé de mettre de l’eau dans notre vin. Généralement Alceste est monté au théâtre avec la vision d’un Alceste exemplaire entouré d’hypocrites ; c’est extrêmement réducteur selon moi et la pièce est beaucoup complexe que ça.
Vous avez pu dire » Ici tout le monde se ressemble, personne n’a le pouvoir ». Est-ce une réalité vraiment singulière dans l’œuvre de Molière et qui explique peut-être le désœuvrement des personnages et l’issue assez pessimiste de la pièce?
C’est une pièce singulière dans le sens que les personnages de cette pièce ne sont rattachés les uns aux autres que pour des raisons amoureuses ou amicales. Ils font partie d’un même cercle pour certains mais il n’y a aucun rapport familial. Je pense que c’est le seul exemple chez Molière. Je ne crois pas que ce soit cela qui rende la pièce plus sombre. Non, c’est cette fin terrible, à la fois tragique et ridicule d’Alceste.
Côté costumes et décors, quels ont été vos choix?
On a imaginé des espaces de jeu qui soient légers, organiques ; l’acteur au centre du plateau. On s’est amusé quand même à évoquer Versailles , un Versailles imaginaire. Cela se passe aujourd’hui et en même temos il y a un clin d’œil au XXVIIÈME . De même pour les costumes.
Vous avez pu dire que dans le Misanthrope » Parler, c’est survivre » et plus loin que » Mieux on parle, plus on est libre ». Pourtant Alceste parle bien mais ses discours n’ont pas d’influence sur les autres. Si les mots le soulagent, le rendent-ils plus libres?
Non mais ils le font survivre. Quant à Célimène, par exemple, son « métier » c’est de parler; elle fait salon. A l’époque, on va chez Madame Un tel pour entendre des poèmes, des pamphlets et dans le Misanthrope pour entendre Célimène dire du mal de tout le monde…. La parole est donc au centre de tout.
L’objectif de Molière, c’est que le public se prenne tout de même d’affection pour le Misanthrope…qui lui ressemblait un peu au final?
Molière écrit le personnage, le joue et fait rire le public avec. Il veut que le public ne soit pas dupe et ne prenne pas Alceste pour un héros. C’est ce que dira d’ailleurs Jean-Jacques Rousseau plus tard. En même temps, si on prend le texte au pied de la lettre, Alceste a quelque chose de ridicule mais de touchant aussi ; il fait une sorte de révolte d’adolescent inconsolable et inconsolé. Alceste est quelqu’un qui est toujours déplacé, mal placé et qui réagit toujours mal aux situations et qui s’écoute énormément parler aussi. S’il ne part pas, c’est parce qu’il ne veut pas juste être contre le monde c’est qu’il veut continuer à parler pour dire à quel point il est contre le monde… sinon il partirait dès le début de la pièce!
Ce travail sur Le Misanthrope vous a donné envie de poursuivre l’expérience Molière?
Oui, d’ailleurs, en ce moment, je travaille à Lausanne sur Tartuffe et Dom Juan avec les élèves de l’Ecole de la Manufacture.
D’autres mises en scène en prévision?
Je vais reprendre La vie de Galilée de Brecht avec une distribution qui alliera des comédiens de la première distribution et des nouveaux.
LE MISANTHROPE
Molière / Jean-François Sivadier
Théâtre – 2H30
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