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Brett Bailey : un « Macbeth de combat » pour le Congo

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Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Crédit-photo: DR/ Auteur dramatique, metteur en scène et scénographe, Brett Bailey, né en Afrique du Sud, a connu le système de l’apartheid. On le qualifie souvent de  » metteur en scène de combat ».

propos recueillis par

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Il y a 17 ans, il a fondé sa compagnie « Third World Bunfight » qui interroge sans cesse les dynamiques du monde post-colonial et les relations de pouvoir et d’assujettissement qui persistent entre l’Occident et le continent africain. Il met en scène aussi bien la vie du dictateur ougandais Idi Amin Dada que des figures mythiques comme Médée car tout est occasion pour lui de parler de la réalité du monde contemporain. Cette année, il a imaginé un Macbeth d’après l’Opéra de Verdi qui choisit pour cadre spatial le Congo. Son travail sera présenté pour la première fois en France au Printemps des Comédiens. Atypique, engagé, réaliste : rencontre avec un Sud-africain blanc qui ne vous en laissera pas conter!

Vous faites un théâtre engagé… si engagé que l’on vous qualifie de metteur en scène de combat. Le théâtre a donc pour vous une véritable force de frappe politique? Ou pensez-vous plus simplement que l’art doit faire prendre conscience et ne doit pas se contenter d’être divertissant ou esthétique…
Oui, mon travail est toujours engagé socialement et politiquement. Mais que mon orientation soit combative ou pas dépend surtout du travail particulier que je fais. Oui, les artistes doivent être conscients et engagés – idéalement tous les gens devraient l’être – et la sensibilisation et l’engagement doivent influencer notre travail: nous avons le pouvoir de retenir l’attention des gens et nous devrions utiliser ce pouvoir. EXHIBIT B est un travail combatif, un travail de lutte. MACBETH est un travail qui attire l’attention sur une situation d’horreur et d’exploitation qui reçoit très peu de couverture médiatique mondiale.

Le public qui vient voir vos pièces semble être souvent déjà sensibilisé et sensible à la question des conséquences de la colonisation et des siècles d’esclavage, non? Le public de théâtre est un public le plus souvent cultivé, curieux et ouvert au monde… Est-ce faire un théâtre de combat que de « prêcher » devant ceux qui sont déjà convaincus? Pensez-vous que justement, c’est une idée fausse et que même le public de théâtre continue à véhiculer ce « racisme ordinaire qui légitime encore la violence faite aux étrangers » ? Cherchez-vous à varier les publics pour justement sensibiliser ceux qui en auraient besoin?
Oui, un public de théâtre est « le plus souvent cultivé, curieux et ouvert sur le monde ». Sont ainsi les gens qui fréquentent les bibliothèques et lisent beaucoup de livres. Nous partageons simplement l’information. Avec MACBETH, je ne prêche pas, et je n’essaie de convaincre les gens de rien. Je mets l’accent sur un conflit qui a tué plus de 5,4 millions de personnes au cours des 17 dernières années – le plus grand nombre de décès dans un conflit depuis la Seconde Guerre mondiale Un conflit qui est en grande partie alimenté par la demande de minéraux par le marché mondial. Ces derniers temps, un grand nombre d’opéras se présentent comme de simples divertissantes pièces virtuoses, décidément non engagées dans les réalités du monde contemporain. Un public qui n’est pas politiquement à l’écoute, et qui assiste à mon Macbeth en raison de son opéra-connexion, repartira certainement tout de même avec une certaine conscience qu’il y a une crise en cours en Afrique centrale.

Comment est née l’idée de monter Macbeth? D’abord parce que cette pièce interroge sur le pouvoir et la folie qu’il inspire à tous ceux qui l’approchent? Est-ce aussi parce que la pièce développe une réflexion sur le remords? Ce remords-là est-il un remords de crocodile qui regrette, non pas d’avoir mal agi , mais peut-être de ne pas avoir plus mal agi pour pouvoir en récupérer davantage? ( je pense à la fable de Jean-Pierre Claris de Florian – Le crocodile et l’esturgeon)
J’ai été chargé de diriger un opéra pour la première fois il y a 15 ans. Je voulais faire quelque chose dans un contexte africain. J’ai regardé les partitions et les livrets de plusieurs opéras, mais je les trouvais généralement ridicules. MACBETH est une histoire puissante de corruption, d’ambition et de remords. Je venais de faire une pièce de théâtre sur Idi Amin – «Big Dada». Donc MACBETH était la prochaine étape évidente. J’avoue toutefois que je suis moins intéressé par les thèmes du remords, du regret et de la folie que par celui de la volonté de puissance.

Vous vous êtes inspirés de Shakespeare mais également de Verdi : doit-on qualifier cette création de pièce musicale, d’opéra à part entière?
Je n’ai pas vraiment été inspiré par Shakespeare. Je n’ai pas lu Macbeth de Shakespeare depuis des années. Verdi est la source principale de ce travail; et le conflit dans l’Est du Congo… ça ne m’intéresse pas vraiment de savoir si ça s’appelle un opéra ou du théâtre musical : je n’ai pas un attachement très élevé pour le monde de l’opéra.

Dans la réalité du Congo, que représente pour vous Macbeth, son épouse, les sorcières, le roi Duncan?
La pièce est située dans la province du Nord-Kivu de la République démocratique du Congo . Macbeth, comme Duncan avant lui, est l’un des nombreux chefs de guerre qui ont surgi dans cette région au cours des 20 dernières années. Ces gars-là utilisent une violence terrible. Ils se battent entre eux pour contrôler les or, le tantale et l’étain des mines lucratives. Ils asservissent la population locale pour travailler dans les mines pour eux, et les taxer lourdement. Ils rabattent des enfants dans leurs rangs, en font des conscrits. Les sorcières sont les représentants d’une société internationale d’exploitation minière, manipulateurs de la situation locale afin d’obtenir l’accès aux mines. Ils ont divisé les bénéfices avec des hommes comme Macbeth et alimentent ainsi le conflit.

Enfin, les 24 artistes sur scène jouent-ils un mélange du texte de Shakespeare, de Verdi ou un texte remodelé?
Les 10 chanteurs d’opéra exécutent le livret italien. Les surtitres sont ma propre interprétation.

MACBETH
William Shakespeare/Giuseppe Verdi/Brett Bailey
Théâtre – 2H00
Amphithéâtre d’O / Création

Printemps des Comédiens – Montpellier
Vendredi 6, Samedi 7 juin 2014 à 22 heures
Tarifs plein 31€/ réduit 26 €/ Jeune 8€ /DE 12 €
Réservations sur www.printempsdescomediens.com

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