Macha Gharibian

Macha Gharibian : Au carrefour du texte et du jazz

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Par Nicolas Vidal – bscnews.fr / Macha Gharibian a puisé dans ses origines et malaxé son talent avec son insatiable curiosité pour créer Mars, un premier album brillant. Fille de Dan (Bratsch) elle a été à bonne école lorsqu’il s’agit de musique, d’influences, de swings et de mélodies pour débroussailler cet Eden que sont les frontières du Jazz repoussées chaque jour, toujours plus loin. Macha Gharibian nous plaît et elle nous dit pourquoi.

propos recueillis par

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Macha, ouù avez-vous rencontreé le Jazz ? À New York ? Quand et comment cela s’est-il passeÉ ?
Ma rencontre avec le jazz a eu lieu à New York. Je venais du monde classique. J’étais déjà fascinée par Bojan Z, Aziza Mustapha Zadeh… En 2005, après la tournée avec Titus, j’ai eu envie de m’éloigner de mon univers classique, et de partir loin, New York m’attirait.
J’ai découvert l’école de Ralph Alessi, il organisait un stage, je ne connaissais aucun des musiciens qui enseignaient, mais l’esprit que dégageait cette école m’a attirée. J’ai loué un appartement depuis Paris et je suis partie. À mon arrivée j’ai senti que j’allais vivre quelque chose de fort, la vie new-yorkaise quand on est de passage a quelque chose de grisant. Manhattan, Brooklyn, ses rues, la vie agitée, les clubs, la musique, les musiciens. J’y étais pour faire un stage, je faisais mon trajet chaque jour en métro sur le A train pour aller au City College au-dessus de Harlem, et je retrouvais Ralph, Jason Moran, Gerald Cleaver… Au piano, je découvrais la liberté après avoir joué des années de la musique écrite. Ralph, Ravi et d’autres musiciens comme Craig Taborn, ont renversé ma manière d’aborder la musique et l’improvisation. ça m’inspire encore aujourd’hui.

Lorsque l’on se plonge dans vos secrets culturels, on y découvre que vous aimez William Blake que vous écrivez pour le théâtre et que vous vous produisez dans de nombreux univers musicaux. Dans quelle matieère est faite la passion de Macha Gharibian pour la musique ?
Dur de répondre à cette question. J’ai grandi avec la musique, ça a commencé très petite, car il y avait un piano à la maison et j’ai joué petite. Puis j’ai pris des cours, mon professeur m’a transmis le plaisir de jouer Chopin, Brahms,
Rachmaninoff… Je les ai aimés très tôt. Et bien sûr il y avait Bratsch, mon père, les concerts, et toute la musique que j’entendais à la maison. Ça forge les oreilles. Vers 18 ans j’ai découvert Messiaen, puis Dutilleux, Ligeti, qui m’ont patiemment fait glisser vers le XXe siècle et le jazz !
Parallèlement à mes études à l’École Normale, j’étais un peu dans le monde du théâtre. J’ai rencontré des metteurs en scène, et à travers eux des auteurs, et leur poésie. Puis Simon Abkarian m’a proposé d’écrire pour son spectacle et c’est parti de là, j’ai commencé à écrire des musiques pour la scène, et quitter progressivement le classique pour aller m’amuser un peu sur scène. Et ma façon d’écrire a évolué avec ces projets, puis après avec la musique de film.
Tout ça ce sont des rencontres, un peu d’exploration, de curiosité, d’hommes et de femmes inspirant qui m’ont fait me poser quelque part.

À quelles influences aimez-vous vous rapporter ? Sont-elles plus théâtrales que musicales ?
Mes influences sont avant tout musicales, orientales, arméniennes, le jazz dans sonépoque moderne, et le monde d’aujourd’hui ! Le théâtre est un plateau où raconter quelque chose, transmettre une pensée, alors peut- être qu’il m’influence aussi. J’aime donner du sens à mes actes. Mais parfois il n’y a pas de sens ou du moins pas volontaire et qu’importe. En concert, j’aime raconter un peu, donner juste de quoi emmener le public avec nous, mais le laisser faire son propre voyage.

Quelle est la part de vos racines armeéniennes dans votre travail ?
Je suis sensible à la musique arménienne, sa force mélodique, sa poésie, son histoire, et la langue. J’ y reviens souvent et c’est dans ma nature, le tragiquement gai… Mais je suis attirée par tellement d’autres choses. Je suis née en France, donc j’aime aussi le bourguignon et la poule au pot ! Mais le jazz me surprend tellement que j’ai envie de creuser dans cette direction, et comme j’aime mélanger, il y a des influences qui se croisent, et les morceaux deviennent quelque chose que je n’ai pas soupçonné au départ. C’est la force du travail en groupe aussi, avec Théo et David, on cherche ensemble, je propose des textes, des envies, des compositions, et eux proposent à leur tour, c’est un processus qui se construit ensemble. En ce moment, je joue avec pas mal d’autres musiciens, j’enregistre, ça va de Miles Davis à des créations de répertoires, je chante des choses nouvelles aussi, dans un esprit plus urbain et j’adore ça.

La critique semble unanime pour dire que cet album Mars est au carrefour des influences. Quel est le fil rouge de cet album pour lier entre eux tous ces horizons très différents ?
Je n’ai pas eu de réponse avant d’enregistrer l’album, excepté celle du voyage. Et la réponse est venue en studio, l’univers construit avec les musiciens prenait tout son sens, chacun avec sa part instrumentale apportait le fil conducteur, David Potaux-Razel avec sa guitare, ses pédales, ses effets et son univers assez rock, Fabrice Moreau avec sa pertinence et ses propositions rythmiques, Théo Girard et son flow tout doux qui nous ramène un peu dans la chaleur de la maison. J’aime ce que chacun a apporté et raconté dans ce disque.
Le fil rouge, c’est cette planète rouge derrière moi qui m’attire et je n’ai aucune idée de ce que je vais rencontrer !

Quel est l’apport de votre père dans votre carrière ?

La chose la plus importante qu’il m’ait transmise, c’est la confiance en ce métier. Et c’est vraiment important. Avoir vu mon père sur scène depuis petite, voir Bratsch encore sur scène aujourd’hui, ça me fait aborder ce métier avec sérénité et lucidité. Parce qu’on sait bien qu’il y aura des moments super et des moments de vide.
Je repense à notre premier voyage en Arménie ensemble, en tournée avec Bratsch et Papiers d’Arménie, c’était en 2006. C’était la première fois que nous partions en Arménie, lui comme moi. C’était un moment exceptionnel, découvrir ensemble ce pays. On avait enregistré un album ensemble un an avant, en 2005, à mon retour de New York. C’était mes vrais débuts de chanteuse, je me considérais avant tout comme pianiste puisque j’avais toujours travaillé cet instrument. Il m’a poussé à chanter plus, et m’a donné envie de continuer.
Et puis, toute cette culture, la musique, la cuisine, le partage, le bon vivre…. Depuis l’album «Mars», il est plus en retrait, et me regarde me construire. C’est rassurant, ça rend serein d’avoir un regard bienveillant posé sur soi.

Et celle New York ? Vous déclarez dans une interview que la ville «vous a ouvert les oreilles » ? Pouvez-vous nous en dire plus ?
New York, c’était la découverte de la liberté, mon premier long voyage en solo, loin du poids des racines aussi, puis les rencontres nouvelles, où parler une autre langue fait penser autrement, voir son chez soi d’un autre oeil, se découvrir. Quelle agréable sensation…
New York m’a ouvert les oreilles, car je découvrais la musique et tout un pan de la culture jazz en live, avec ses excès et ses subtilités. Mes oreilles n’étaient pas habituées à ce son, c’était nouveau pour moi, et ça a fait sauter des barrières.

Quel est votre rapport au chant, Macha ? Est-il complémentaire de votre jeu au piano ou le considérez- vous comme une autre facette de votre personnalité musicale ?
Je n’ai pas de réponse à cette question, je chante du texte, des mélodies, ou des poèmes quand ils me parlent et que j’ai envie de les partager. Certains morceaux chantent simplement avec le piano, d’autres avec la voix, parfois les deux… Mais je ne sais pas me définir de ce côté…..

Pouvez-vous de nous parler de votre rapport à la poésie qui s’immisce dans chacun de vos textes ? Avez- vous une histoire particulière avec elle ?
J’aime les mots, leur musicalité, et comme tout musicien, je suis sensible au rythme qui se dégage d’un texte. Le poème de William Parker vient de son recueil «who owns music» que j’avais trouvé à New York. Peu de temps avant, j’avais écrit la mélodie de Ritual Prayer, mes mots ne trouvaient pas leur place. Il y avait ce poème initialement appelé Dancer. Il y fait référence dans le texte original à Martha Graham, Merce Cunningham. Je l’ai chanté en concert, et il y a eu cette rencontre entre son texte et ma voix, voilà tout simplement comment ça s’est produit… Je ne soupçonnais pas pouvoir aller sur ce terrain avec ma voix., Ensuite, j’ai tenté encore l’expérience avec d’autres poètes, et le phrasé de William Blake a quelque chose de savoureux. Plusieurs de ses poèmes m’ont inspiré des chansons. Son écriture est ciselée et rythmée. J’en ai choisi un pour l’album. Depuis je glane des poèmes ici et là, je découvre, on me conseille. Lire de la poésie, c’est un moment intérieur où on laisse échapper ses pensées…

On a pu lire aussi que vous avez travaillé avec Simon Abkarian sur la mise en musique de deux de ses pieèces. Comment s’est articulé votre travail sur ces mises en scène ?
Simon Abkarian a des envies très fortes, et c’est quelqu’un qui a une vision intense avec beaucoup d’idées. Il fallait réagir vite pour répondre à sa demande, et le résultat était déroutant, car très musical et subtilement théâtral . J’allais piocher dans mes souvenirs: Mendelssohn, Haydn, une pièce du compositeur grec Constantinidis, des choses écrites ou improvisées en répétitions. Pour Titus, j’avais proposé une étude- tableaux de Rachmaninoff, une pièce démoniaque qui collait au personnage d’Aaron, le Maure. Celle qu’on appelle le petit chaperon rouge opus 39 N6. C’était mon moment favori de la pièce…. Pour Mata Hari aux Bouffes du Nord, j’ai ajouté à des pièces écrites, Art Tatum, un ou deux standards et un moment musical de Rachmaninoff. C’était somptueux de le jouer dans ce théâtre. Cette famille d’acteurs m’inspire et j’aime travailler avec eux. Et le théâtre a finalement été avec Simon, mon première territoire d’exploration.
Si vous deviez définir Mars en deux mots, lesquels choisiriez-vous ? Navette spatiale…. pour finir avec un peu d’humour ..

Où pourra-t-on vous voir sur scène dans les prochaines semaines ?
Je serai le 5 mai au New Morning car Dominique Fillon m’a invitée à venir jouer avec Céline Bonacina que je vais rencontrer, je m’en réjouis déjà. Puis le 17 mai à Conflans-Sainte- Honorine, le 22 mai à Marseille Cri du port, le 24 mai à Vitrolles, le 12 juillet à Parthenay, 19 juillet au Chateau de Ratilly (89)

Mars de Macha Gharibian
Bee Jazz
www.machagharibian.com

(Crédit Photo Richard Schroeder)

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