Le chevalier de l’entrecôte : un opéra romanesque en trois actes
Par Félix Brun – bscnews.fr/ Sur le rythme d’un opéra en trois actes, Joy Sorman nous amène sur les traces d’ « un soldat de la viande » : il est le jeune apprenti boucher à la dextérité reconnue qui veut devenir le meilleur ; devenu boucher hautement qualifié avec « un amour outré du métier, une joie démente, une vocation, une obsession rigoureuse », il devient « un homme décentré, un homme qui ne joue pas le rôle principal de sa propre vie, qui n’occupe qu’une place secondaire dans cette existence qui est pourtant la sienne. La viande tient le premier rôle. »
« Nous aimons les animaux et aussi nous les mangeons. »
Notre boucher fait corps avec les animaux dont il va travailler la viande, il s’identifie aux vaches qu’il caresse comme les femmes de ses rares saillies : « Pim parcourt le corps de l’animal comme le corps de la fille allongée, la joue d’abord puis le collier, les basses côtes, il descend vers le paleron, la macreuse, remonte vers l’entrecôte et le rumsteck, et descend à nouveau vers l’onglet, puis le long de la patte-plat de tranche, rond de tranche, mouvant-, sa main termine sa course au cul de la vache-rond de gîte. » Il s’adresse à Culotte la vache comme à une amante : « toi et moi nos destins sont liés, je te découperai avec respect et application, tu seras bien tranchée tu verras car je suis billot man. « Cette fusion, cette identification, entre le boucher, l’animal, la viande et le sang devient folie : « Pim se demande si tous les sangs ont la même odeur, celui des animaux comme celui des hommes.[…]l’odeur elle doit être universelle. » La viande est religion, sorcellerie, le métier un sacerdoce.
Ce livre est surprenant; il ne laisse pas insensible le lecteur dans cette exploration du monde des éleveurs, des abattoirs et des boucheries, sur le langage choisi avec une précision chirurgicale, sur les mythes et les croyances qui hantent les métiers de la chair et du sang. Joy Sorman transporte la réflexion sur le rapport de l’homme à l’animal et à la nourriture depuis l’époque des cavernes à celle de l’élevage en batterie. Quelquefois violent, ce roman est aussi un document aussi précis que la lame effilée du couteau de Pim, guide ambigu de cette aventure charnelle : « La viande l’a fait sorcier qui danse sur les braises et au- dessus du volcan, en épileptique pris de ravissement et de convulsion. » Lorsque nous nous rendrons chez notre boucher au visage couperosé, aux joues violettes et au nez veiné, gageons que nous penserons maintenant inéluctablement à Pim….
Comme une bête
de Joy Sorman
Éditions : Folio
Parution: Janvier 2014
Prix: 6,20€
©C.Hélie Gallimard
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