Ses toiles de facture classique représentent des scènes singulières, souvent ésotériques, aux tons pastels, emplies d’enfants et de créatures hybrides. Parfois dérangeantes parce qu’elles usent de l’iconographie du sacré pour mieux le détourner, ses images nous rappellent sans cesse que nous sommes un combiné paradoxal de chair et d’âme. Abraham Lincoln jonglant avec des côtelettes, Jésus jouant du piano pour trois Muses blondes, Romulus et Rémus réincarnés en singes bouddhistes, Léonardo di Caprio en roi dont le char est tiré par une abeille etc. : l’univers de Mark Ryden marie naïveté et duplicité, nature originelle et éléments modernes de la civilisation, et surprend tout autant qu’il fascine. La technique de chaque dessin est admirable et nous vous invitons à explorer la multitude des détails dont ils fourmillent. Les êtres qui les peuplent, provenant d’univers très différents ( bande dessinée, religions, mythologie, littérature,cinéma), ont quelque chose d’halluciné et d’inquiétant qui interpelle. Ses paysages et arrière-plans, de leur côté, invitent souvent à la rêverie et à l’évasion et contribuent au paradoxe qui habite littéralement chacun de ses travaux.
Taisons-nous maintenant et place aux mots et images du Maître !
Comment êtes-vous devenu peintre? Diriez-vous que, dès tout petit, vous trouviez plus facile de vous exprimer avec des images?
Je suis passionné par l’art depuis que je suis tout petit. En grandissant, j’ai consacré la plupart de mon temps à la peinture et au dessin. Je n’ai jamais vraiment envisagé de faire quoi que ce soit d’autre comme métier.
On parle du mouvement du » Lowbrow Art » né à Los Angeles à la fin des années soixante-dix… Votre appartenance à ce mouvement exprime-t-elle votre ennui pour les beaux- arts classiques?
Je pense que le « Lowbrow » a du naître dans les années soixante-dix, mais il s’est vraiment épanoui dans les années quatre-vint dix, je dirais. Beaucoup de choses dans l’art contemporain m’ennuient alors que j’adore l’art « classique ». Ce sont les anciens maîtres qui m’inspirent.
Pensez-vous qu’il n’y a plus de place pour l’art classique aujourd’hui et qu’il est nécessaire pour l’artiste d’inventer de nouvelles formes , de mêler de nombreuses sources culturelles pour interpeller le lecteur d’aujourd’hui?
Le monde de l’art est en fait très étendu. Je pense qu’il y a partout de la place pour à peu près tout. Ce serait tout un défi de faire de l’art qui est sensiblement différent de tout ce qui a été fait auparavant. Il semble que ce n’est même pas vraiment un objectif valable, même pour essayer de faire de l’art qui serait complètement différent et nouveau. Tout finit par être un mélange de quelque chose qui a été inventé avant. Je pense que c’est mieux de l’accepter et de se concentrer sur la création de bonnes images plutôt que d’essayer d’être absolument original.
Votre univers pictural riche en contrastes et en combinaisons surprenantes est-il l’expression parfaite de votre personnalité? Etes-vous quelqu’un qui pourrait porter le mot « oxymore » comme une torche? Êtes-vous quelqu’un de cruellement tendre, tristement drôle, ironiquement amoureux?
Je ne le pense pas. Il est difficile de quantifier sa propre personnalité comme ça. Dans mon art, je travaille dur pour arriver à des combinaisons de choses qui puissent susciter la réflexion et me garder intéressé. Cela peut être un grand défi.
Où avez-vous appris à dessiner? Est-il un conseil qu’a pu vous donner un professeur qui vous ait toujours servi de principe directeur pour dessiner?
J’ai appris quelques petites astuces d’enseignants à l’Art Center College of Design de Pasadena où je suis allé à l’école, mais je pense que la plupart du temps j’ai appris à dessiner en passant beaucoup de temps à dessiner. Ce serait mon conseil: passer beaucoup de temps à dessiner. Regardez attentivement vos sujets et prêtez attention aux subtilités et aux détails!
On peut lire que vous puisez votre inspiration dans vos souvenirs d’enfance… quand on découvre vos toiles, reflet de scènes fantaisistes et d’êtres singuliers, on aurait plutôt tendance à corriger et dire que vous peignez vos rêves d’enfance ou les histoires que vous vous inventiez, non?
Je ne m’inspire pas vraiment de mes souvenirs d’enfance ni de rêves. C’est beaucoup plus vague que cela. C’est plus des sentiments généraux ou même des « humeurs » de l’enfance que je cherche et capture dans mes peintures.
Comment naissent vos toiles? Déclinez-vous plusieurs dessins sur un thème particulier puis vous passez à un autre? Chaque dessin est-il indépendant des autres?
Mes idées ne viennent pas de nulle part, j’ai l’habitude de chercher l’inspiration dans les livres ou dans un autre support et puis…. je fais beaucoup, beaucoup de dessins et de croquis. Seul un petit nombre arrive à devenir une peinture. Mes peintures nécessitent un long temps de création, je ne peux donc pas peindre beaucoup de mes idées. Je fais peut-être une centaine de dessins en vrac avant de m’engager dans une idée pour une peinture.
Plusieurs de vos dessins évoquent la viande, d’autres la religion…sont-ce des éléments symboliques obsessionnels dans votre travail? On pourrait également citer Abraham Lincoln..présent parce qu’il représente une figure qui vous fascinait enfant?
Mes peintures suscitent toujours des questions comme celles-ci, et cela me plaît que les questions soient posées, parce que je pense qu’il est important pour l’art de soulever des questions. Répondre à ces questions est un autre problème. «Expliquer» tout sur une peinture serait, pour moi, ôter quelque chose de très important à cette peinture. Tout le monde a toujours cette idée que l’image doit « signifier » quelque chose d’autre, que la signification «réelle» doit être décrite avec des mots.C’est faux: c’est l’image elle-même qui est le sens. Je pense qu’il est important pour une image de maintenir un certain mystère. J’ai choisi de travailler avec des chiffres qui portent la puissance iconique, mais je tiens à laisser le mystère intact. Je laisse au spectateur la liberté d’interpréter les images comment il le voudra.
Pourriez-vous nous expliquer, par exemple, la genèse de la toile Incarnation? On y voit un titre ironique où la blancheur pure du visage de cette apparition dans un cadre magnifique est contrebalancé par sa robe de charcuterie et boucherie qui la rabaisse à sa nature de chair et d’os…on se trompe?
« Incarnation »: traduit littéralement du latin par « dans la viande. » Voir la viande dans le cadre d’une robe nous rappelle que nous sommes tous porteurs de « viande » tout le temps. La viande est la substance physique qui garde nos âmes dans cette réalité.
Confectionnez-vous également les cadres – superbes ! – qui ornent beaucoup de vos toiles …Êtes-vous le seul démiurge de la sculpture à la peinture?
Je conçois moi-même la plupart de mes cadres et puis ils sont ensuite taillés et finis sous ma direction. Parfois, je trouve des cadres anciens que j’aime et je suis en mesure de les utiliser immédiatement. De toutes façons, je pense que le cadre autour d’une peinture est une élément très important et souvent négligé de l’art. Il est important que le cadre qui est donné ait été pensé, parce que le cadre peut changer le sentiment d’une oeuvre de manière profonde.
Avec quels outils, matières et supports travaillez-vous?
Je travaille avec une technique de peinture à l’huile traditionnelle intégrant de nombreuses couches de glacis. Je peins sur une surface de toile d’armure lisse bien apprêtée.
Pour finir, quelles sont vos actualités? Un ouvrage édite? Des expositions prochainement?
Ma prochaine exposition se déroulera à la Galerie Kohn à Los Angeles. Elle a été reporté et retardée pour attendre la fin de la construction d’un superbe nouvel espace « Michael Kohn » à Los Angeles. La galerie et mon exposition ouvriront leurs portes le 2 mai de cette année. J’espère qu’il n’y aura pas d’autres retards! J’ai récemment publié deux nouveaux livres. L’un est l’édition commerciale de « Pinxit » qui est une monographie complète de mon travail publié par TASCHEN. L’autre livre est un catalogue de l’ensemble des travaux « The gay 90’s ». Elle est publiée par Rizzoli.
TASCHEN France
82, rue Mazarine
F-75006 Paris
Rizzoli Bookstore
, 31 West 57th Street (between 5th & 6th Avenues)
New York, NY 10019
A lire aussi:
Naoto Hattori : un jeune peintre japonais pop-surréaliste
Nicoletta Ceccoli : une dessinatrice de Saint-Marin aussi mystérieuse que brillante
Jean-Martial Dubois : la ville sens dessus dessous
Eric White : des toiles rétro-chic aux belles américaines
Vox : De notes et de couleurs avec Matteo de Longis