La passion amoureuse aux trois trésors
Par Félix Brun –bscnews.fr/ Donner au hasard, à « la barque de Dieu » ,le pouvoir de retrouver celui qu’elle aime, ce « il » qui est le père de sa fille Soko : tel est le choix et la feuille de route que s’est fixés Yoko , musicienne et pianiste.
Forte du serment qu’ « il » lui a fait (« Je reviendrai. Je te retrouverai .Où que tu sois, je te retrouverai » ) ,Yoko change de ville presque tous les ans : une fuite, un jeu de cache-cache, un défi ? « J’ai l’impression que si je me lie à un endroit, je ne le reverrai jamais(…) Je ne veux pas me lier à un endroit où il n’est pas. Ce n’est pas là que je dois être. » Yoko a été une enfant et une adolescente difficile, dure, empreinte de liberté, de rejet du quotidien, des habitudes, des conventions . Dans cette démarche libre, Yoko se retrouve engluée dans ses propres contradictions à l’égard de sa fille Soko : « La contrainte . J’y pense quelquefois. Depuis mon enfance, j’ai toujours recherché la liberté. Pas recherché, non, la liberté m’était aussi indispensable que le manger et le sommeil . Je me suis battue pour la liberté. J’ai fait une fugue pour trouver la liberté. Mais la liberté ressemble beaucoup à la contrainte et il m’arrive de ne plus pouvoir les distinguer. » Soko grandit de ville en ville, s’affirme à travers l’image d’un père « virtuel » et d’un papa vertu qu’elle n’a jamais rencontré, mais « il » est le sujet fréquent des discussions avec sa mère : « Il y a longtemps ma mère est tombée amoureuse à s’en faire fondre les os. Un amour à s’en faire fondre les os, je ne vois pas très bien ce que c’est, mais en tout cas, le résultat, c’est que je suis née. » Soko ne vit pas toujours bien ces déménagements périodiques : « La seule chose que je comprends, c’est que nous sommes des nomades, et que maman se croit dans « la barque de Dieu ». Lorsque l’adolescente décide de devenir pensionnaire dans un lycée, la vie de Soko est bouleversée, et son « attente », la réalisation de la promesse de « il » semble impossible, irréalisable, illusoire. Le lien qui unit Yoko et sa fille se délite et ,sans rompre il s’effiloche ; Yoko sombre dans la mélancolie, le désespoir : » La mort sera toujours là, disponible comme un repos . » Pour son dernier point de chute elle retourne à Tokyo la ville où « il » et elle se sont aimés……
Le roman d’Ekuni Kaori est rythmé comme une pièce de musique, alternant les voix et les visions décalées de Yoko et Soko ; « Parce que ce qui est passé ne s’en va jamais. Ca reste là pour toujours. Il n’y a que ce qui est passé que l’on possède vraiment » pense Yoko. Et Soko affirme de son côté: « Je voulais lui dire simplement que les faits restent. Et qu’il n’y a donc jamais rien que l’on puisse perdre. » Le parallèle cadencé du roman est une vraie richesse de subtilité, de douceur, d’atmosphère feutrée, d’intimité et de tolérance entre la mère et la fille . La nature, la mer et les sensations olfactives sont très présentes dans cet ouvrage élégant et plaisant que l’on vous recommande vivement.
Dans la barque de Dieu
Auteur : EKUNI Kaori
Editions : Philippe Picquier
Sortie en librairie : 6 février 2014
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