Jean Giono et ses illusions pacifistes
Par Félix Brun – bscnews.fr/ Lorsque à vingt ans on se retrouve embourbé dans la vase et la terre gluante et détrempée des tranchées, sur le front d’une guerre sans pitié, engagé dans une bataille sanglante où tous les camarades tombent tués par les obus, les gaz et les balles de l’adversaire, il reste nécessairement des traces inaltérables, imputrescibles de cette horreur.
Les souvenirs, les images sont indélébiles, ineffaçables. Devant cette indescriptible et inavouable condition des soldats, un vent de révolte, de désobéissance, d’insurrection souffle….la réprimande est lourde, sévère, injuste par le tirage au sort des condamnés sans procès qui vont être fusillés. Impossible d’oublier les amis et les copains : « Je te reconnais Devedeux qui a été tué à côté de moi […]. Je te reconnais, Marroi ,[…]. Je te reconnais, Jolivet,(…). Je te reconnais, Veerkamp, qui a été tué à côté de moi devant la batterie de l’hôpital en attaquant le fort de Vaux.[…] Je vous reconnais tous, et je vous revois et je vous entends. Vous êtes là dans la brume qui s’avance. Vous êtes dans ma terre. Vous avez pris possession du vaste monde. Vous m’entourez. Vous me parlez. Vous êtes le monde et vous êtes moi. Je ne peux pas oublier que vous avez été des hommes vivants et que vous êtes morts, qu’on vous a tués au grand moment où vous cherchiez votre bonheur, et qu’on vous a tués pour rien, qu’on vous a engagés par force et par mensonge dans des actions où votre intérêt n’était pas. »
Jean Giono décline un réquisitoire acerbe contre la guerre et ceux qui la provoquent ; « Il n’est donc pas vrai que mourir pour la patrie est le sort le plus beau. » La vérité c’est qu’« Il n’y a pas de héros : les morts sont tout de suite oubliés. Les veuves des héros se marient avec des hommes vivants simplement parce qu’ils sont vivants et qu’être vivant est une plus grande qualité qu’être héros mort. »
La guerre est inutile : « Il ne reste plus de héros après la guerre; il ne reste que des boiteux, des culs-de-jatte, des visages affreux dont les femmes se détournent ; il ne reste plus que des sots. Après la guerre, celui qui vit, c’est celui qui n’a pas fait la guerre. Après la guerre, tout le monde oublie la guerre et ceux qui ont fait la guerre.[…] Car la guerre est inutile et il ne faut rendre aucun culte à ceux qui se consacrent à l’inutile (…) »
Cette rébellion, cette invitation à désobéir, cette énergie à récuser la guerre, Jean Giono la transforme en sublimation de la paix, du refus individuel de faire la guerre : « Quand on n’a pas assez de courage pour être pacifiste on est guerrier. Le pacifiste est toujours seul. Il n’est pas dans l’abri d’un rang, dans une troupe ; il est seul. » Le désir de paix, l’amour de la vie, doivent être plus forts que l’inconsciente dérive du troupeau que l’on conduit à l’abattoir de la guerre : « Mais l’aventure de la paix est plus grande que l’aventure de la guerre. Il faut plus de virilité pour faire un enfant que pour tuer un homme. […]La guerre n’est jamais voulue par les peuples; elle est toujours subie. Il n’y a pas de peuples guerriers : il n’y a que des gouvernements guerriers. » Le jeune soldat a connu l’immonde à la bataille de Verdun : huit hommes dans un trou d’obus serrés les uns contre les autres sans pouvoir bouger pendant dix jours, sans armes, sans nourriture, sans eau ; et tous atteints de dysenterie…peut-on oublier ?
Titre : Ecrits pacifistes
Auteur : Jean Giono
Collection Folio (n° 5674), Gallimard / Parution : 31-10-2013
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