Au théâtre de Nesle, Phèdre a cédé la place à Hippolyte
Par Florence Gopikian Yeremian – bscnews.fr/ L’histoire de Phèdre ne se raconte plus. Chacun connait, en effet, le destin tragique de cette héroïne passionnément amoureuse de son gendre, le bel Hippolyte. Au XVIIe siècle, le somptueux texte de Racine a définitivement scellé le destin de cette sombre amante grâce au sceau musical de ses 1654 alexandrins. Nombre d’acteurs et de réalisateurs se sont depuis risqués à mettre en scène cette tragédie et c’est à présent au tour de Bernard Belin de nous en offrir sa version.
Dans la petite cave voûtée du théâtre de Nesle, la scène a été dépouillée de tout artifice. En tant qu’ex-pensionnaire de la Comédie Française, Bernard Belin a mis de côté toute trace de décorum et pris le parti de diriger ses acteurs uniquement à travers l’amour du verbe et de son phrasé.
Étonnamment, c’est le personnage d’Hippolyte qui se distingue dans cette adaptation de Phèdre au détriment de sa terrible marâtre! Avec élégance et noblesse, le jeune Thomas de la Taille, incarne un fils d’Amazone qui irradie la scène de sa sensibilité. Sa diction est toute en contrastes et elle fait honneur aux alexandrins raciniens dont il maîtrise la musicalité autant que les soupirs. Enflammé et fougueux, Thomas de la Taille laisse déferler sa voix ténébreuse sur les spectateurs qui se complaisent à partager l’audace de cet innocent amoureux autant que son désespoir.
À l’inverse, la figure de Phèdre est étrangement interprétée. Sonia El Houmani passe sans demi-mesure de l’apathie d’une épouse adultère à l’hystérie d’une amante rejetée. Oscillant entre une confession monocorde et des cris excessifs, elle ne parvient pas à trouver le ton juste et manque de vraisemblance. Certes, Phèdre est un personnage violent et tourmenté mais elle possède un luxuriant registre de sentiments : où est passée sa volupté de femme ? Sa passion exaltée pour Hippolyte ? Sa jalousie vibrante ? Son cœur blessé de repentante ? Même si Sonia El Houmani déclame ses vers avec une assiduité et une fureur évidente, son interprétation demeure affectée et manque réellement de profondeur. Cela est fort dommage car les comédiens de la troupe lui composent un écrin idéal : Jean-Marie Bellemain (Thésée) incarne un époux d’une belle prestance, Christine Narovitch est une nourrice débordant de dévotion, quant à Clémentine Stépanoff (la princesse Aricie) elle personnifie avec fragilité une rivale pétrie de doutes et d’incertitudes. Parés de beaux atours, chacun des acteurs y va donc de sa tirade pour encenser le courroux et la douleur de cette tragique reine : même le vieux Théramène (Michel Pilorgé) réussit à séduire l’assistance dans son poignant hommage posthume au superbe Hippolyte.À l’exemple de ce cortège modeste mais authentique, Phèdre doit arrêter de feindre et nous offrir son âme : elle pourra ainsi justifier de son noble titre de « fille de Minos et de Pasiphaé »…
Phèdre de Jean Racine
Mise en scène de Bernard Belin
Costumes : Bruno Marchini
Avec: Sonia El Houmani, Christine Narovitch, Thomas de la Taille, Michel Pilorge, Jean-Marie Bellemain et Clémentine Stepanoff
Théâtre de Nesle
8, rue de Nesle – Paris 6e
Métro Odéon ou Pont Neuf
Jusqu’au 15 février 2014 les Jeudi, vendredi et samedi à 21h
Réservation : 0146346104
A lire aussi:
Des cartes postales contre le Führer: Est-ce si dérisoire?
Les Palmes de M. Schutz : une pièce savoureuse et pleine de radioactivité
Et si Frankenstein était né pour exorciser les démons de sa créatrice ?
Mortis Mercator : une douce comédie pour parler de la mort
L’expérience amoureuse chez Feydeau décortiquée par des scientifiques: une étrange démarche