Les amours tumultueuses de la famille de Napoléon
Par Emmanuelle de Boysson – bscnews.fr/ Crédit-photo : Philippe Matsas Napoléon, on le sait, fut un bourreau de travail. Il fut aussi un sacré coureur de jupons. Deux épouses, Joséphine et Marie-Louise, des dizaines de maîtresses et des enfants naturels à la pelle. Les membres de sa famille étaient, eux aussi, dotés d’un sacré appétit sexuel.
Enrichis, anoblis, ces Corses qui ont fui leur île accèdent au pouvoir en une quinzaine d’années. Joseph Vebret dévoile la face cachée de Napoléon, ses faiblesses, sa lâcheté à l’égard des siens, sa mélancolie, son désir viscéral d’exister, de dominer, de tout contrôler. Il s’interroge sur l’influence de ces amours tumultueuses, sur les choix, le destin du grand homme et fait revivre avec talent et une plume enjouée, une épopée truculente, terriblement romanesque.
Qu’est-ce qui vous fascine chez Napoléon ?
Pour être tout à fait honnête, ce n’est pas Napoléon Ier qui me fascine, mais le XIXe siècle en général et sa seconde moitié en particulier. Je me sens plus attiré par son neveu Napoléon III. Ces Amours orageuses de Napoléon sont en fait le fruit du hasard. Tandis que j’effectuais des recherches pour mon précédent récit historique consacré au comte Léon, le bâtard de Napoléon, j’ai accumulé une importante documentation sur le Premier Empire, les amours de Bonaparte et les turpitudes de la famille, assez de matière pour raconter cette épopée familiale sous l’angle des secrets d’alcôves. Il n’en reste pas moins que le personnage est intéressant : officier à seize ans, général à vingt-cinq, consul à trente et empereur à trente-cinq, dix ans après la chute de Robespierre !
Qu’est-ce que vous pourriez lui reprocher ?
Peut-être d’avoir fait trop confiance à sa famille et d’avoir été aveuglé par son souci dynastique. Il construit l’Empire et règne sur un vaste territoire qui comprend l’Espagne, l’Italie, la Hollande et d’autres dépendances. Il installe ses frères et sœurs sur le trône de ces pays. Ils en profitent pour s’enrichir et se prennent au jeu alors qu’ils ne sont, dans l’esprit de Napoléon, que de simples préfets placés là pour mener sa politique. Leurs frasques amoureuses, pour ne pas dire sexuelles, défraient la chronique et donne une image de l’Empire peu avenante aux autres cours européennes. Le malentendu sera très préjudiciable. Quant au souci dynastique, il devient très vite une obsession : Napoléon veut un fils pour le remplacer au cas où il viendrait à disparaître, une façon aussi de couper court aux tentatives d’assassinat. Pour cela, il divorce d’avec Joséphine, « épouse un ventre », celui de Marie-Louise d’Autriche et néglige quelque peu sa charge. Mis bout à bout, ces éléments seront lourds de conséquences.
Qu’apporte votre livre de plus que les milliers de livres écrits sur ce général, consul et empereur ?
Vous avez raison ; les livres sur Napoléon ne manquent pas. Néanmoins j’ai voulu le montrer sous un autre angle tout en le replaçant dans la logique familiale. Parce que c’est toute une famille qui accède au pouvoir, à la puissance et à la richesse, les frères et sœurs, les belles-sœurs et les beaux-frères, et bien d’autres encore. Sauf Lucien qui a toujours refusé de divorcer pour épouser une couronne. Parce que Napoléon décide de tout, marie les uns, nomme les autres, fait et défait selon une stratégie bien définie. J’ai voulu sortir de l’image réductrice véhiculée depuis l’école : un bourreau de travail, un stratège hors pair, un pur esprit, bref, une mécanique sans âme. Il n’en est pas moins homme, amoureux, cavaleur, triste, malheureux, tendre, paresseux parfois.
Comment expliquer son appétit sexuel forcené pour les femmes ?
Il ne me semble pas que ce soit propre à Napoléon. De tout temps le pouvoir, par les opportunités qu’il offre et l’ascendant qu’il exerce, a décuplé la libido des dirigeants. Une soixantaine de maîtresses, au fil du temps, ce n’est finalement pas si terrible.
Est-ce dû en partie à son histoire familiale, les frasques de sa mère ?
Je n’ai pas trouvé de lien de cause à effet. L’époque s’y prêtait. Au lendemain de la révolution, la France connaît une période de libération des mœurs, comme pour exorciser la Terreur, se donner la preuve que l’on est vivant. Mariages de raison ou d’argent, fidélité à géométrie variable : certaines femmes n’hésitaient pas à s’offrir pour favoriser la carrière de leur époux. Je raconte dans le livre quelques épisodes qui ne manquent pas de sel.
Pensez-vous qu’il pourrait être le fils de Charles-Louis de Marbeuf ?
Il y a effectivement de fortes chances que sa mère fut la maîtresse de Marbeuf, un temps gouverneur de la Corse. Qu’il soit le père de Napoléon est moins sûr. En revanche, celui-ci s’est longtemps posé la question.
La grande passion de sa vie fut-elle Joséphine ?
J. V. : Joséphine est un malentendu qu’il serait trop long ici de développer. Il est éperdument amoureux, mais elle ne répond pas à ce sentiment et le trompe effrontément. Il reste avec elle parce qu’il veut un enfant, un garçon. Lorsque la preuve est faite qu’elle qui ne peut en avoir (la naissance de Léon lui fournit cette preuve), il décide de la quitter. C’est elle qui tombe alors amoureuse de lui. Une tendre complicité les unit, même après le divorce. S’il est un temps amoureux de Marie, son « épouse » polonaise, il s’en détache très vite lorsqu’il est question d’épouser l’Autrichienne. Ce sera alors une passion très complexe. Il n’en demeure pas moins qu’il se consacrera presque exclusivement à elle une année durant…
Comment se comportait-il avec ses maîtresses ?
En galant homme, prévenant et généreux. Chacune d’elle est repartie avec un joli magot.
Pensez-vous qu’il était un bon amant ?
Difficile à dire. Ses maîtresses ne semblaient pas se plaindre. C’était l’homme fort du pays, les avantages liés à ces « échanges » étaient importants. Il en est, néanmoins, qui l’aimèrent apparemment sans arrière-pensée. Il n’en demeure pas moins qu’il estimait ne pas devoir perdre de temps dans ce type de récréation.
Un bon père ?
Il n’a jamais vraiment vécu avec ses enfants. Il faisait venir le petit Léon aux Tuileries de temps en temps et jouait avec lui. Il a très peu connu Alexandre, le fils de Marie. Quant à l’Aiglon, ce n’était qu’un bébé lorsqu’il vivait au palais. Restent les enfants de Joséphine, Eugène et Hortense qu’il a toujours considérés comme les siens.
Quelle influence eurent les femmes sur son destin, ses choix politiques et militaires ?
Une influence limitée, mais une influence quand même. Joséphine n’a pas sauvé la tête du duc d’Enghien de même que Marie Walewska n’est pas parvenue à sauver la Pologne. Certaines maîtresses ont obtenu des nominations, mais cela n’a jamais été très important.
Sa sœur Pauline fut-elle vraiment une « gloutonne de plaisirs » ?
C’est le moins que l’on puisse dire. Aucun romancier n’aurait osé imaginer un tel personnage. Et pourtant, la réalité dépasse la fiction. Belle à couper le souffle, découvrant très tôt sa sensualité, Pauline fit scandale toute sa courte vie en s’affranchissant de l’étiquette et de la morale de son temps pour vivre sans entraves. Considérée par beaucoup comme la plus belle femme d’Europe, elle s’étourdissait dans les bals et dans les bras accueillants. Une vraie collectionneuse d’amants. Ils défilaient, mais ne s’attardaient jamais. Provocatrice, frivole, elle a choqué le continent et scandalisé les âmes pudibondes par l’audace de ses amours, sa garde-robe, ses bijoux somptueux, et par sa décision de poser nue pour le grand Canova. Mais elle fut aussi, et surtout, la sœur préférée de Napoléon auquel elle vouait un amour passionné et une fidélité indéfectible. Contrairement au reste de la fratrie, elle n’exigea de son frère ni titre ni fonction officielle. Et, même si Napoléon jugeait d’un mauvais œil la conduite débridée de sa sœur, notamment au regard de l’image néfaste envoyée aux cours européennes sur sa dynastie, il était incapable de sévir.
Quelles recherches avez-vous effectuées ?
Les témoignages d’époque, les mémoires des uns et des autres, la correspondance, etc., tout en séparant le bon grain de l’ivraie. En effet, Louis XVIII, pour discréditer la mémoire de Napoléon, commanda à des pamphlétaires des « biographies » revisitées. Et comme il était friand de détails sordides, ceux-ci en rajoutaient. C’est de là que viennent les rumeurs d’inceste entre Napoléon et sa sœur Pauline…
Avez-vous romancé, mis en scène l’Histoire ou respecté scrupuleusement les faits ?
Tout est véridique jusqu’au moindre dialogue. Je me suis contenté de mettre en scène, de replacer dans le contexte à la fois historique et familial et je me suis attaché aux personnages plus qu’aux événements qui sont relatés, certes, mais pour la chronologie et l’éclairage des situations. J’ai également eu à cœur de n’être pas trivial, d’user de périphrases et de métaphores pour raconter les moments les plus intimes. En fait, je me suis beaucoup amusé.
Quelques mots sur ce magnifique livre de photos de Louis Monier, Écrivains de Paul Eluard à Marguerite Duras dont vous faites la biographie et une notice de présentation (éd Eyrolles) ?
Ma passion première est la littérature et l’histoire littéraire. Ce livre est né d’une rencontre et d’une amitié avec Louis Monier, « l’œil des lettres » qui depuis plus de quarante ans fixe sur la pellicule (il n’est pas passé au numérique) tout ce que la France compte d’écrivains. Il a voulu en réunir une centaine dans un beau livre ; je les ai replacés dans leur contexte. C’est un voyage dans la littérature de la seconde moitié du XXe siècle avec des photos sublimes, parfois surprenantes, des photos qui parlent.
Quelle est la ligne du Salon littéraire ?
Le Salon littéraire est un site internet consacré aux livres et aux écrivains. Nous proposons des critiques, des interviews, mais aussi un fonds encyclopédique sur les grands classiques et leurs œuvres. Mais c’est aussi un lieu ouvert dans la mesure où quiconque peut s’inscrire et déposer ses propres textes. Nous existons depuis un peu plus d’un an et avons déjà mis en ligne plus de dix mille textes. La ligne et simple : partager notre passion pour la chose écrite.
Y a-t-il parfois des critiques en toute liberté loin de toute complaisance ou renvoi d’ascenseur ?
J. V. : La plupart du temps, dans la mesure où l’espace est ouvert à tous. Aucun contrôle a priori. Nous ne vérifions qu’a posteriori que les contributions respectent la loi, soient inédites et ne relèvent pas de l’autopromotion. Pour le reste, chacun parle des livres comme il l’entend, en bien ou en mal.
Les amours orageuses de Napoléon
Joseph Vebret
Editions du Moment
Prix : 19,95 €
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