Pierre Starsky : un rédac’chef passionné et enthousiaste
Par Julie Cadilhac –bscnews.fr/ Allez hop! On vous présente une nouvelle revue bd, impertinente et engagée à souhait, qui souhaite promouvoir les cultures populaires et la diversité… Rencontre avec son co-fondateur et rédacteur en chef de la revue, Pierrick Starsky, un être passionné et enthousiaste comme on les aime!
Aaarg!… c’est d’abord et avant tout, portées comme un étendard, une liberté de ton et une totale indépendance?
L’indépendance de la revue fut un choix intimement lié à notre besoin profond de liberté éditoriale et de ton. Le canard a d’emblée été mû par une volonté politique, une réponse à l’état du monde éditorial dans son ensemble, dont le fonctionnement, chez certaines grosses machines, ressemble à un modèle spéculatif bancaire, qui consiste à (sur)produire pour générer un maximum d’argent fictif lié aux placements des offices, et pas aux ventes, tout en signant de moins en moins de projets audacieux, non formatés. D’autre part, au moment où l’on a commencé à développer le projet, les périodiques du genre se comptaient sur les doigts d’une main, et il manquait celui qui correspondait à notre ligne éditoriale, plus proche des 70’s par la variété de ce que l’on y trouve, mais avec une touche résolument moderne et une identité propre. C’est pour nous un pari réussi, ce côté à la fois rétro (mais pas réac) et moderne, actuel. Par contre, notre indépendance devient aussi, par la force des choses, une contrainte : moins de moyens financiers, donc moins de visibilité, moins de facilité à faire parler de nous dans les médias. Et encore, certains ne peuvent s’empêcher d’être péjoratifs quand ils parlent d’indépendance. J’aimerais qu’un jour on parle de nous et de nos pairs comme des éditeurs, tout simplement, et des groupes éditoriaux comme des « éditeurs industriels ». D’autant que la qualité, dans le fond comme dans la forme, est bien là. Que les auteurs sont payés. Et que nous osons prendre des risques. Heureusement, on s’amuse beaucoup et on est heureux d’apporter notre pierre à l’édifice. D’ailleurs, plutôt qu’un étendard, comme on n’aime pas trop les drapeaux, disons qu’on est un pavé. Ça sert à faire des routes, mais aussi à balancer dans la soupe à la grimace qu’on essaie de nous faire avaler.
Quelles sont vos influences en matière de BD ? Si vous deviez citer quelques grands noms qui vous enthousiasment, lesquels donneriez-vous spontanément?
Alors là, je vais parler en mon nom et le mien uniquement, parce que malgré forces analogies, ne serait-ce que dans la team éditoriale (nous sommes trois), on est loin d’avoir les mêmes goûts. En vrac et comme ça vient, je loue la grandeur de Forrest, d’Alexis, de Pascal Rabaté, de Charles Burns, de Winshluss, de Peyo, de Reiser, de Frederik Peeters, de Tardi, de Daniel Clowes, de F’murr, de Pierre Wazem, de Riff Reb’s, d’Alex Robinson, de Carlos Giménez…
Si l’on me pose la même question demain, certains de ces noms seront omis, et d’autres apparaîtront. J’ai appris à lire avec les Schtroumpfs, et les réflexions subversives qui s’en dégagent, avec un double niveau de lecture. Je considère Hergé, Franquin ou Goscinny comme des génies, pour des raisons ultra différentes, et je les ai lus et relus. Mais ce sont, à juste titre, des institutions. En découvrant les BD de mes darons, ça a été une claque monumentale. Les Pilote et Metal Hurlant en tête. Quoi qu’il en soit, nos influences viennent de toutes parts : littérature, cinéma, musique, etc… et même si AAARG! est une revue qui est principalement dédiée à la BD, son ouverture se devait de retranscrire les croisements qui ont fait notre culture populaire.
Si vous expliquiez donc à nos lecteurs le principe de Aaarg!….. Qu’y trouveront-ils tous les deux mois?
AAARG! est une revue de bande dessinée et culture populaire. Mais on la sous-titre un peu différemment, « bande dessinée et culture à la masse ». les contre-cultures ont souvent été dénigrées par les gardiens du temple, qui la qualifiaient de culture « de masse ». D’autre part, un message, un changement, un cri, ça se fait toujours plus remarquer lorsqu’on y va à coup de masse pour se faire entendre. Casser les murs pour voir plus loin. C’est Terreur Graphique qui a trouvé ce slogan… mais je m’égare. AAARG!, c’est des one-shot de bandes dessinées de fond et de formes différentes ; ça va du strip au format long, du polar à l’humour en passant par la culture bis (horreur, SF) ou l’intimiste. Puis des nouvelles, des dossiers, des articles… Notre objectif étant de sortir du « tout balisé » tout en gardant une cohérence éditoriale forte.
Un autre objectif est aussi de promouvoir des jeunes artistes encore méconnus?
Non, pas vraiment. On travaille avec des gens, plus ou moins (re)connus, mais avec la même démarche en ligne de mire, celle de proposer quelque chose de qualitatif. On travaille avec des gens qui font partie de ce qu’on appelle « la crème des auteurs d’aujourd’hui et de demain », on ne se fait pas de soucis pour eux. Par contre, on tient à leur proposer de larges libertés de création, d’ouvrir leurs possibles, de tester… Si on écrit quelque chose, on l’écrira ensemble, si on laisse une marque de notre passage, elle sera collective. Par contre, chaque auteur ayant son lectorat, ils font découvrir d’autres auteurs à ceux qui les suivent, et dans la réciprocité. Mais soyons honnête, si l’on offre le support, c’est les auteurs, par leur talent, qui promeuvent AAARG!, projet ambitieux, mais qui n’existerait pas sans eux. Nous sommes catalyseurs, coordinateurs, créatifs, mais liés aux auteurs humainement. C’est un travail collectif de promotion des cultures populaires et de la diversité.
Comment choisissez-vous les chroniqueurs et dessinateurs qui bossent pour la revue? Est-ce que ce seront toujours les mêmes que l’on retrouvera d’un numéro sur l’autre?
Certains sont plus réguliers que d’autres, mais au final, on peut dire qu’une cinquantaine d’auteurs tournent et vont tourner sur les numéros (on travaille sur le numéro 4, déjà). Le « choix » s’est fait assez rapidement ; il s’est même imposé à nous. Les auteurs de BD, les écrivains, ou les journalistes avec qui l’on bosse, ce sont des histoires de rencontres, d’amitié, mais aussi énormément de goûts et de cohérence éditoriale ; de disponibilité aussi. Il nous est arrivé d’aller chercher des gens dont on aimait le travail, ou d’accepter des boulots « de l’extérieur », sur propositions, mais c’est beaucoup plus rare. On reçoit de nombreuses propositions tous les jours, et l’on doit dire non à beaucoup d’entre elles. 95 %, peut-être. Cependant, on ne sait pas vraiment comment les choses vont évoluer, et l’on a envie de s’ouvrir malgré tout. La cohérence de la revue, à mes yeux, est éditoriale autant qu’humaine. C’est ce qui permet l’alchimie.
Enfin, parlez-nous du support ( qualité du papier, format etc)…Pourquoi avoir fait ce choix…coûteux à l’impression, non, on suppose?
D’une part, il était hors de question de ne proposer qu’un support numérique. D’autres le font déjà, et nous sommes des inconditionnels du papier, des amoureux du livre. Et quitte à lancer une revue telle qu’on aurait voulu en lire, autant y aller dans le fond comme dans la forme. Avec du papier qui n’est pas du papier chiottes, une impression soignée, des bonus… La qualité se réfléchit sur plusieurs plans, celui de la fabrication compris. Cela fait partie de notre ambition. La presse s’effondre, de nombreux modèles éditoriaux naissent, et si nous sommes des enfants du magazine, on s’est faits par le livre. L’émergence de certaines revues a remis en relief ce compromis du mélange livre/magazine : le périodique qui reste dans une bibliothèque, qui ne finit pas à la poubelle au premier déménagement ou pour caler un meuble. La société du consommé/jeté n’est pas celle qu’on défend. Le prix de la revue est plus élevé que celui d’un magazine, mais quand on voit sa facture, sa taille et son nombre de pages (164 minimum), c’est très cohérent. Notre rapport au livre est assez charnel, en fait ; on voulait un livre avec lequel on puisse dormir, serré contre soi, le visage collé à son épaule, et lui dire au creux de l’oreille qu’on l’aime.
Revue AAARG !
bande dessinée et culture à la masse
1er numéro – Parution le 24/10/2013
164 pages
Prix : 14,90 €
En vente en librairie
Photo Pierrick-baignoire : ©Sandra Side
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