Denis Lavant incarne les errances de Céline: une performance complexe mais remarquable

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Par Florence Gopikian Yérémian – Le voici enfin sur scène ce Céline que tant de critiques ont détesté. Le voici donc le prosateur populaire à la langue râpeuse et aux pensées radicales. Comme de coutume, il est excessivement antipathique, il peste, il râle, mais cette fois-ci, il le fait depuis son lit car la fin le guette…

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Repoussant la faucheuse le temps d’un monologue, il se lève en grommelant : pas prêt d’agoniser le Père Celine! Pas avant de nous avoir conté son dur et authentique labeur d’écrivain. Six ans qu’il a mis pour pondre son fameux Voyage au bout de la nuit! Six ans et 50000 pages pressées et écrasées pour en extraire un livre si différent des autres qui allait chambouler les cerveaux de tous les pseudo-littérateurs de son temps!
C’est ce narrateur révolté et complexe qu’a choisi d’incarner le comédien Denis Lavant. S’aspergeant de pessimisme, il fait face à un public sur la défensive pour nous offrir le portrait de ce drôle de scribe doublement auréolé de son génie et de sa lucidité. Se parlant à lui-même pendant près de deux heures, Denis Lavant adopte avec une aisance bluffante le bagou populaire et grinçant du vieux pamphlétaire: et que j’bafouille mes déceptions, et que j’regrette ma vocation médicale, et que j’vous expose les secrets de ma prose parlée!
Le temps d’une pièce, toute la vie de Celine nous est servie brute de brut: avec cynisme lorsqu’il crache sur le prix Goncourt qui vient de lui passer sous le nez; avec aigreur lorsqu’il maudit les journalistes qui l’ont couvert d’ordures ; avec détresse enfin lorsqu’il rit à la face des grands pontifes de la Coupole et donne des coups de pieds rageurs dans tous les livres de sa bibliothèque : Aragon? Beurk! Dostoïevski? Trop russe! Racine? Des galipettes versifiées ! Proust? Colette ? Sagan ? … Sans aucune pitié, Celine les dégomme tous publiquement et règle ses comptes avec la littérature et les éditeurs. Qui sont-ils ces oiseaux de mauvais augure qui encensent de faux écrivains? Qui sont-ils ces adeptes du beau style qui annihilent toute émotion réelle? Ce n’est pas comme cela qu’il faut versifier au XXe siècle !! Il faut savoir donner de la véracité au texte, de la cruauté aux propos! Lui seul parvient à écrire comme les gens parlent: avec une langue active, argotique et pure! Styliste du langage, cet écrivain s’est maudit lui-même en provocant le rejet de ses pairs car, avouons-le à sa place, malgré sa rancune, il aurait tout de même bien apprécié un soupçon de reconnaissance académique… Oh, il peut bien faire le pitre, taper sur son vieux piano ou grimper en haut de son escabeau pour beugler, la voix de ce pantin désavoué demeure branlante car excepté son unique Voyage, ses écrits se sont soldés par de cuisants échecs: Son étude sur le communisme ? Sa Bagatelle pour un massacre? Son école des cadavres? Aucun écho dans la presse…Il a pourtant ramé sur l’encre cet infatigable polémiste mais ses idées allaient bien au delà de toutes les convenances: Céline était contre les juifs, contre les francs maçons, contre les communistes, contre les bourgeois… Bavard insupportable, il n’épargnait personne. Avec autant de haine et de franchise, comment voulait-il obtenir la gratitude de ses semblables? Peut-être, comme il le dit, aurait-il fallu adhérer à une loge ou à une synagogue pour y avoir droit? Quoi qu’il en soit, épuisé par sa lutte perpétuelle avec les mots, avec les gens, avec la vie, Céline s’est éteint un soir de juillet 1961.
Lui, qui se vantait de savoir capter la musique du fond des choses au point de pouvoir faire danser les alligators … et bien, celui-là même n’a pas eu le droit posthume de rejoindre ses confrères sous la coupole du Panthéon. Heureusement qu’Ivan Morane lui offre un hommage grandiose en remettant sa vie en scène et en choisissant Denis Lavant pour faire encore raisonner cette voix d’écorché vif et cette audace.

Faire danser les alligators sur la flûte de pan
Texte : Emile Brami à partir des correspondances de Louis-Ferdinand Céline
Mise en scène : Ivan Morane
Avec Denis Lavant

Crédit-photo: DR

Dates de représentation:

– Le samedi 16 novembre 2013 à l’ Espace Culture André Malraux au Théâtre du Kremlin Bicêtre

– Au Festival OFF d’Avignon en juillet 2014 au Théâtre du Chêne Noir à 20h15

– A partir du 20 novembre 2014 au Théâtre de l’oeuvre ( 55, rue de Clichy, 9ème Paris)

 

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