Pierre Bergougnioux : les vices originels de l’écriture
Par Laurence Biava – bscnews.fr/ A travers cet essai/traité, Pierre Bergougnioux revient sur la théorie de l’écriture dans son rapport au monde réel, sur l’usage inattendu des mots, et explique le sens de tout mode de langage depuis les écritures sommaires du monde des cavernes, ces sociétés primitives qui ne connaissaient pas la subjectivité, jusqu’à aujourd’hui, dans une société encore plus inégalitaire qu’auparavant, parce qu’elle tente d’être objective.
En matière de style, l’auteur parle d’expérience, non pas au singulier, mais au pluriel. Il revient sur la recherche stylistique de trois écrivains hors normes Joyce, Kafka et Proust. Les plus inventifs, les plus créatifs sans doute. Et avec un bémol pour Stendhal qui pose et impose du réel dans la trame de tous ses récits classiques. Pierre Bergougnioux rapproche sans cesse la problématique stylistique du contexte historique, et pense que celle-ci est indissociable des sociétés de classe. De ce fait, il pense que le regard de l’individu ne peut qu’être distant avec l’écriture et que tout s’est joué en Grèce vers le IXe siècle avant Jésus-Christ, quand fut inventé l’alphabet grec. Il insiste sur la rationalité de notre culture. Et pense que le geste d’écrire est l’éclatante marque de rupture opérée par la civilisation occidentale. Ce que ne connaissaient pas précisément les sociétés primitives puisqu’elles ignoraient l’inégalité. Or l’écriture, qui a à voir avec la raison, ne tend de miroir qu’à ceux qui sont au faîte du monde social.
Pour Bergougnioux, le style essaie de capter le temps, de faire renaître le vieux cœur des choses, de compenser, de nommer ce qui ne peut être vu. Il a à voir avec un monde sans voix, un monde dominé et en silence. Il est géologique et généalogique. Et il est indissociable d’une bonne répartition entre les individus de leurs richesses matérielles et intellectuelles. Tout le monde aura du style lorsque celui-ci cessera d’être un marqueur, révélateur de l’appartenance à diverses couches sociales. Le style comme expérience est ce qui fait accéder à plus de monde, plus de réalité, ce moyen par quoi se trouve illuminés notre rapport au monde ou la présence du monde en nous, quitte à ce que l’on parle de rupture, d’informulations, de mots juchés sur un corps anonyme. Ce livre expérimental, particulièrement riche, fourmille d’infos quasi encyclopédiques.
Un de ces essais qui vous rendent « plus intelligents », une fois la dernière page refermée.
Le style comme expérience
Pierre Bergougnioux
Editions de l’Olivier
80 pages
Prix : 9.5 €
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