« Cette année, le Festival de cinéma brésilien de Paris célèbre son 15e anniversaire. Au cours de cette période, le développement de cet événement a coïncidé avec un renouveau du cinéma auriverde, de telle sorte que, avec l’augmentation de l’offre cinématographique brésilienne, le festival est en mesure de proposer au public parisien, chaque année, les nouvelles productions nationales. Ce festival joue un rôle important dans la diffusion de la richesse de la culture brésilienne. Il est l’occasion pour les amateurs de notre cinéma de découvrir les nouveaux films, ainsi que les nouveaux cinéastes, acteurs et scénaristes brésiliens. Pour ceux qui ne connaissent pas notre pays, le vaste programme du festival dresse un portrait actuel du Brésil ».
Les organisateurs du festival se sont attachés à mettre en valeur les références importantes du cinéma brésilien contemporain, avec la projection de films de grands réalisateurs. Cette année, Carlos Diegues est mis à l’honneur et nous avons eu le plaisir de voir et revoir quelques-uns de ses films emblématiques tels que « Ganga Zumba » (1964), « Joanna Francesa » (1973) avec Jeanne Moreau ou encore « Xica da Silva » (1976). À noter que c’est son film « Bye Bye Brasil » (1979) qui lui octroiera une renommée internationale en étant sélectionné pour le Festival de Cannes en 1980. Au cours de ces quinze dernières années, l’ambassade a porté un soutien constant au Festival du cinéma brésilien de Paris. Sont également présents à la cérémonie d’ouverture la directrice du festival Katia Adler, le réalisateur franco-grec Costa-Gavras et l’invité d’honneur Carlos Diegues. Sur les vingt-sept films présentés cette année, dix nous permettront de découvrir ou redécouvrir l’œuvre d’un des co-fondateurs du Cinema Novo, passionné de musique et fortement engagé dans la promotion de l’histoire du Brésil. Le festival a débuté avec le film « Gonzaga – de père en fils » (2012) du réalisateur Breno Silveira. Cette biographie de deux grands musiciens est un véritable succès au Brésil et compte déjà deux millions d’entrées ! Luiz Gonzaga (1912-89) vient du désert du Nordeste et sillonne les villages avec son accordéon, à la recherche du rythme qui conquerra le pays tout entier et fera de lui « le Roi du Baião ». Cet artiste qui voulait tant donner au peuple a peut-être par la même occasion négligé son propre fils, Gonzaguinha (1945-91). Celui-ci est né à Rio de Janeiro, et va ardemment s’acharner à écrire sa propre histoire musicale en s’éloignant de son icône de père au son de sa guitare. On recommandera chaudement ce film qui, en plus de nous introduire à la culture et la musique populaire d’un pays, nous offre l’histoire éternelle du conflit père-fils, dans une gravité inévitable, mais dans une grande chaleur aussi.
Dans le cadre de cette édition dédiée à l’œuvre de Carlos Diegues, le BSC News a rencontré le réalisateur Breno Silveira.
Qu’avez-vous pensé du film de Breno Silveira, « Gonzaga – de père en fils » ? Offre-t-il une représentation exacte de l’importance de la famille et de la culture au Brésil ?
J’ai trouvé le film très bien fait, il exprime très biennotre diversité. Le cinéma brésilien aujourd’hui explore notre diversité régionale, générationnelle, thématique. Ce film est complètement musical, il nous parle d’un chanteur, un compositeur, un musicien très connu au Brésil. Gonzaga est un exemple, une preuve, d’une certaine culture populaire qui ne meurt jamais au Brésil. Son fils aussi était musicien. Le film est un succès au Brésil, parce que le personnage y est très connu, mais aussi parce que le film est très bien fait.
Y avez-vous retrouvé des morceaux de votre histoire ? De votre propre cinéma ?
Oui, tout à fait. Le film parle d’un thème qui est souvent traité par le Cinema Novo, le Nordeste. C’est une région très particulière du Brésil – où je suis né d’ailleurs – c’est une région très pauvre, où il y a une sécheresse incroyable. Cela fait quatre ans qui n’y pleut pas. Mais c’est aussi une région avec une culture très forte, qui domine pratiquement le reste du Brésil. Il n’y a pas de conflits avec le reste du pays mais beaucoup en partent pour rejoindre les grandes villes comme Rio ou Sao Paolo. La majeure partie des habitants des bidonvilles ou favelas viennent du Nordeste.
Vous habitez Rio aujourd’hui ?
Oui, j’y habite depuis quarante ans. J’ai fait mes études là-bas.
Pouvez-vous nous parler de votre film avec Jeanne Moreau, « Johanna Francesa » (1973) et de votre relation avec la France ?
Il était impossible de travailler au Brésil dans les années 60. Et puis quand la dictature s’est adoucie en 1969, je suis allée au Festival de Venise y présenter « Les Héritiers », et j’y suis resté finalement trois ans ! « Johanna Francesa » est né pendant mon séjour en France. C’est l’histoire d’une prostituée de Sao Paulo qui se marie à un grand fermier du Nordeste. Quand j’habitais en France, je me suis rendu compte que beaucoup d’Européens venaient au Brésil dans les années trente et cela m’a intéressé de choisir une héroïne française. Jeanne Moreau est la seule actrice française avec laquelle j’ai tourné. J’avais aussi tourné avec Jean-Pierre Léaud un peu avant.
Après avoir discuté avec vos collègues brésiliens, il semble que votre génération ait été marquée par la Nouvelle Vague française et surtout les films de Godard ou ceux de Truffaut. Alors, vous, Godard ou Truffaut ?
Renoir ! Jean Renoir avant tout, c’est mon maître ! C’est le plus grand cinéaste de l’histoire du cinéma. C’est avec lui que j’ai appris à faire mes films. Évidemment, la Nouvelle Vague a eu une importance incroyable par rapport au cinéma brésilien parce qu’elle nous a apporté des moyens de faire des films qui étaient réalisables au Brésil. Les cinéastes de la Nouvelle Vague faisaient leurs films d’une manière qui nous plaisait et nous étions très liés à ces gens-là, mêmes s’ils étaient plus âgés que nous d’une dizaine d’années. Nous étions tous très liés. Moi-même, j’ai connu Truffaut, j’ai connu Godard. J’adore « À bout de souffle » et j’adore « Jules et Jim », comme j’adore « Hiroshima mon Amour ». Ils étaient tous de bons cinéastes, mais le maître c’est Renoir.
Est-ce que vous avez un film culte de Renoir ?
Presque tous ! Mais j’adore « Le Carrosse d’or » (1952), et surtout, évidemment « La Règle du jeu » (1939).
Diriez-vous que le Néoréalisme italien a eu un certain impact sur votre travail également ?
Oui, nous sommes la génération des fils du Réalisme. Le cinéma italien avait autant de poids que le cinéma français à l’époque. On voyait beaucoup de films de Rossellini, de Visconti, de Fellini. J’aime particulièrement Fellini d’ailleurs, c’est celui que je préfère.
Lequel de vos films souhaiteriez-vous que tous les Français aient vu ?
Tous ! Ils devraient les voir tous. Plusieurs de mes films sont sortis en France et ont bien marché. Un qui a très bien marché est « Bye Bye Brésil ! ». C’est un film qui m’a donné beaucoup de joie et qui a été bien accueilli partout dans le monde. Je fais des films avec mon cœur et ma passion. Je fais des films parce ce que je suis curieux de savoir ce que c’est que le Brésil. Le Brésil est un mystère que je veux dévoiler dans mes films. Je ne fais pas des films pour insérer n’importe quoi, mais je fais des films pour apprendre sur le Brésil.
Comment est né votre intérêt pour le Quilombo de Palmares et l’esclavage au Brésil ?
Tout cela a commencé quand j’étais petit, j’avais une nounou noire qui me racontait des histoires sur le Quilombo, elle me parlait du Ganga Zumba qui pouvait voler et que personne ne pouvait toucher. Enfant, on y croit, et cela donne envie d’en parler. Pendant la dictature militaire, j’ai fait quelques films sur la résistance, qui avaient plutôt rapport avec la censure, le retrait des libertés, ça dépend. Ce qui me fait faire des films c’est avant tout mon amour pour le cinéma.
Et depuis « Ganga Zumba » (1964), souhaitez-vous toujours diffuser la même image du Brésil ? Qu’est-ce qui n’a pas changé dans votre façon de voir le cinéma ?
Mon intérêt pour le Brésil est le même. Je fais des films avec la même euphorie depuis le début, la même urgence. Chaque film que je fais est une expérience unique, je ne veux pas être condamné par ce que j’ai fait avant. Ce qui, peut-être, fait le lien entre tous mes films est cet intérêt pour savoir ce que c’est que le Brésil. Je peux très bien faire un film gai comme un film très triste comme « Le plus grand amour du monde ».
Qu’est-ce qui a évolué dans votre façon de voir le cinéma ?
J’essaye de faire un cinéma du présent. Je n’ai pas de nostalgie du passé, je suis très fier de ce que j’ai fait dans le passé, mais je n’ai pas de nostalgie. Je ne veux pas non plus envoyer des messages pour le futur, je veux faire des films du présent, pour les gens qui sont là, à ce moment précis. Le cinéma a changé dans la mesure où le monde a changé, le Brésil a changé. Chaque fois que je commence un film, j’essaye de le faire pour les contemporains, pour les gens qui vivent à côté de moi aujourd’hui. C’est ce que je recherche toujours dans mon travail.
Pas de messages pour le futur donc, mais qu’attendez-vous de la nouvelle génération de cinéastes brésiliens ?
Je crois que ce qui est le point fort du cinéma brésilien aujourd’hui c’est sa diversité. On a de tout dans notre cinéma, le film musical, comme « Gonzaga », beaucoup de comédies. Il faut se demander, qu’est-ce qu’un film brésilien ? Un film qui se passe dans la forêt amazonienne, ou dans les rues de Sao Paolo, tout ça c’est le cinéma brésilien. Avec le Cinema Novo, nous étions peu, peut-être huit ou neuf réalisateurs qui faisaient non les mêmes films mais qui partageaient les mêmes projets de cinéma. Aujourd’hui ce n’est plus comme ça, il n’y a plus que les films. Les films sont tous différents les uns des autres. Il y a de jeunes réalisateurs et des vétérans ; c’est une diversité aussi bien régionale que générationnelle, c’est du thématique avec plusieurs tendances. Comme partout, il y a de bons et de mauvais films, il y a des bonnes comédies et des mauvaises comédies, de bonnes comédies musicales et des mauvaises, et c’est cela qui fait une cinématographie nationale. Je crois qu’aujourd’hui le cinéma brésilien n’est plus un genre de cinéma mais une cinématographie nationale.
Des bons et de moins bons films ? À votre avis, cinéma hollywoodien a-t-il eu une influence sur le nouveau cinéma brésilien ?
Oui tout à fait, il y a toute une tendance cinématographique au Brésil qui est complètement influencée par le cinéma hollywoodien, tout comme il y a une autre tendance qui est inspirée du cinéma européen et par le cinéma asiatique aussi. Mais parmi tout cela, il y a aussi des films tout à fait brésiliens, et qui sont introuvables ailleurs. Par exemple, « Les Bruits du voisinage » (Kleber Mendonça Filho, 2012) est un film exceptionnel, qui est très rare, un film sur la classe moyenne qui devient très importante au Brésil.
Pensez-vous qu’Hollywood représente une facilité de réussite et s’avère plus intéressante pour les jeunes réalisateurs ?
Vous avez trois types de films qui circulent. Le groupe des ‘blockbusters’ d’Hollywood, les films locaux qui ne voyagent pas, et puis une catégorie intermédiaire qui n’est ni l’un ni l’autre. C’est le cas partout dans le monde, en France, au Brésil… sauf aux États-Unis, où ils ne passent que leurs films. Mais c’est vrai que ma génération était plus liée au cinéma européen et particulièrement au cinéma italien et français. C’est plus rare aujourd’hui mais il ne faut pas dire que l’intérêt pour le cinéma français a disparu au Brésil. « Intouchables », « Amour » sont des grands succès au Brésil, évidemment, ce n’est pas la même chose que « Iron Man » ou « Batman ». Mais je suis convaincu que le cinéma français est le cinéma européen le plus connu au Brésil, plus que l’italien, plus que l’allemand, plus que l’espagnol. « Jeune et jolie » de François Ozon a aussi bien marché.
Nous vous avons vu ému lorsque Costa-Gavras vous a remis votre récompense à la cérémonie d’ouverture, quelle est votre relation artistique ?
Oui, c’est un ami. C’est en France que le cinéma français est devenu connu dans le monde, grâce aux festivals, notamment celui de Cannes. Je ne parle pas seulement des journalistes, mais aussi des cinéastes. Costa est l’un de ceux qui nous ont aidés à la diffusion du cinéma brésilien. Je suis un ami de Costa depuis des années, peut-être quarante, mais nous n’avons pas de projet artistique en commun.
Artistiquement donc, qu’est-ce qui vous motive à faire un film ? L’esclavage, Dieu, l’amour, la musique ?
Je ne sais pas comment les films naissent. Cela peut venir d’un morceau de chanson, un personnage que l’on découvre, une ligne que l’on a lue quelque part, je ne sais pas. Moi ce qui m’intéresse, c’est la découverte. Dans le cas de mon film « Le plus grand amour du monde », j’ai voulu explorer le conflit entre le monde parfait de l’astrophysicien et le monde réel de Mosca, pour dire aux gens qu’il faut vivre sa vie pleinement, à chaque moment.
Et quel sera votre prochain film ?
Il s’appelle « Le grand cirque mystique » et il sortira en fin d’année. Cela raconte l’histoire d’un cirque sur tout un siècle. C’est une autre représentation du Brésil, toujours avec beaucoup de musique.
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