Depuis un an, sa mise en scène des Serments Indiscrets de Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux est en tournée : une petite merveille d’inventivité scénique où la fébrilité des amoureux est si palpable qu’elle en est troublante. Une mise en scène aux petits oignons où tous les comédiens sont aussi justes qu’excentriquement délicieux, où les décors, l’utilisation de la vidéo et les accessoires contribuent brillamment à souligner l’intrigue. Le texte de Marivaux, de surcroît, parfois précieux et donc chargé de tournures compliquées à nos oreilles contemporaines, devient d’une fluidité remarquable et le tout est une leçon sur l’amour admirablement orchestré! Stop à cette pluie de compliments mérités : vous l’aurez compris…nous étions donc très tentés d’en savoir davantage sur la genèse de ce projet et ses enjeux. Lever de rideau sur Christophe Rauck !
Quelle a été la genèse de cette mise en scène ?
Une question pratique et matérielle au départ; il y avait des travaux dans la Grande Salle et il ne nous restait qu’une seule salle pour travailler. On avait envie de travailler sur la durée donc il fallait qu’on reste sur un classique. Il nous fallait un classique pour une scène assez petite. C’est ma compagne Cécile Garcia Fogel ( qui joue dedans et avec laquelle je souhaitais monter un spectacle parce que ça faisait un moment que l’on n’en avait pas eu l’occasion) qui m’a aiguillé sur cette pièce qui était la préférée de Marivaux. C’est , en effet, la pièce qui a inspiré Musset pour écrire « On ne badine pas avec l’amour » donc tout ça me confortait dans mon choix , même si beaucoup de gens me déconseillaient de la monter et arguaient qu’elle était très « écrite » , au sens premier, c’est à dire qu’il y a beaucoup de subjonctifs, des litotes etc…Mon idée à moi était plutôt que toute cette façon de parler à l’endroit à l’envers racontait bien l’espèce d’emprisonnement intellectuel de ces deux jeunes gens qui se désirent mais n’arrivent pas à se le dire, de peur de tomber dans des schémas caricaturaux de mariage. Cette intuition s’est vérifiée durant le travail de répétitions. C’est une langue qu’on ne parle plus mais que l’on dit pendant deux heures et que l’on reconnaît.
Après les Serments indiscrets, Marivaux n’a plus écrit de pièces en cinq actes comme celle-ci…lui avait-on reproché qu’elle était trop longue? Avez-vous ainsi ressenti le besoin d’en ôter quelques scènes ou répliques?
Pas du tout. C’est une pièce très écrite à laquelle il faut s’atteler; il faut simplement avoir, selon moi, des comédiens puissants pour arriver à sortir cette langue. J’ai d’ailleurs augmenté un peu l’âge des rôles de par le choix des acteurs avec lesquels je travaille car pour jouer Marivaux il faut des acteurs forts. Ces acteurs plus âgés donnent une autre dimension au texte, plus complexe que le simple rapport entre la coquette et le jeune premier, et en font une comédie sombre mais drôle.
Les personnages que l’on trouve traditionnellement dans la comédie sont détournés dans cette pièce ( comme les amoureux par exemple): ils n’ont pas les mêmes aspirations que les personnages-type…d’où une autre justification pour les faire jouer par des acteurs plus âgés?
Non! Les acteurs jouent les jeunes premiers ; ils ne sont pas plus âgés pour faire un acte de mise en scène ; je voulais simplement avoir avec moi des acteurs qui pourraient endosser ce monument car, colle je l’ai dit, la pièce est complexe. Il fallait des acteurs qui aient un rapport expérimenté à la langue, au jeu , au tragique pour que ce texte s’envole.
Dans l’imaginaire de Marivaux, on retrouve souvent les thèmes de la manipulation , du mensonge et du complot….est-ce un cocktail qui vous a obligé à créer une fébrilité particulière sur scène?
Marivaux écrit non pas pour qu’on écoute sa langue mais il écrit une langue de jeu. Sa langue n’a d’intérêt que lorsqu’elle est incarnée. Je travaille donc à cette incarnation, avec un grand respect du texte car c’est le fondement de mes positions théâtrales. Quand on entend juste le texte, c’est l’ennui mortel dans un théâtre…. C’est l’incarnation des acteurs par le biais du jeu qui va faire qu’on va entendre le texte ….parce qu’on va se reconnaître dans un personnage.
Vous avez pu dire dans la présentation du TNS que » c’est une pièce qui est appelée à se glisser entre les lignes pour arriver à faire entendre le rythme cardiaque des amoureux »...
S’il n’y a pas d’incarnation, ça n’a pas de sens. La densité du texte est tellement importante qu’elle fait peur au départ quand on la lit. Pour moi, cette densité faisait partie du projet de Marivaux d’inscrire ses personnages et leurs relations par cette densité textuelle. L’objectif était donc avec les acteurs de se glisser entre les lignes pour pouvoir s’amuser avec les mots , non pas comme des blocs de marbre mais comme des ballons.
Du point de vue des décors et des costumes, avez-vous choisi quelque chose d’épurer pour alterner avec cette densité de texte?
Ça ne me touche pas quand on met des acteurs dans un cadre XVIIIeme ou XXeme; je les regarde un peu comme des poissons rouges dans leur aquarium à ce moment-là. On peut les mettre dans un cadre contemporain effectivement mais je trouve que ça aplatit tout…et si on le remet dans le cadre de l’époque de la pièce, d’abord on n’y arrive jamais vraiment et ensuite cela demande une reconstitution compliquée. On ne va pas réinventer le fil à couper le beurre bien sûr…mais ce qui m’intéressait c’était la modernité intrinsèque de Marivaux. Il a su être un homme de son temps, c’est à dire l’homme d’un siècle qui a fait de nous ce qu’on est: un vieux siècle mais en même temps un siècle tout jeune, celui des Lumières, du réveil et d’où tout va redémarrer. Ce siècle est peut-être plus jeune que le nôtre parce qu’il est encore porteur de plein d’illusions , d’intelligence et de soif de connaître. J’ai voulu donc faire le voyage entre hier et aujourd’hui puisque cette pièce est toujours d’actualité et présente aujourd’hui. On a donc travaillé plus sur des signes que sur l’imposition de costumes pour essayer de faire croire qu’on est à telle ou telle époque, ou pour se faciliter le travail ou être dans le courant et se dire qu’on est contemporain. Par contre, on s’amuse avec des costumes qui seraient comme des patrons de robes, avec des caméras vidéo pour le mensonge…
Vous avez été récemment nommé directeur du Théâtre du Nord…un mot sur cette nomination?
C’est un théâtre que j’aime beaucoup ainsi que sa région et sa ville hyper dynamique. C’est un théâtre qui a aussi une école, l’EPSAD, ce qui est assez important pour moi parce que la pédagogie et le travail avec les jeunes acteurs m’intéressent. Je trouve ça intéressant aussi de sortir de la banlieue parisienne ( même si j’adore le TGP) et du coup ce sera l’occasion de mettre en place un autre projet, plus ample.
« Je remarque que les hommes ne sont bons qu’en qualité d’amants, c’est la plus jolie chose du monde que leur coeur, quand l’espérance les tient en haleine ; soumis, respectueux et galants, pour le peu que vous soyez aimable avec eux, votre amour-propre est enchanté ; il est servi délicieusement ; on le rassasie de plaisirs, folie, fierté, dédain, caprices, impertinences, tout nous réussit, tout est raison, tout est loi ; on règne, on tyrannise, et nos idolâtres sont toujours à nos genoux. Mais les épousez-vous, la déesse s’humanise-t-elle, leur idolâtrie finit où nos bontés commencent. Dès qu’ils sont heureux, les ingrats ne méritent plus de l’être. » ( Lucile, Acte I, scène 2, Les serments indiscrets, Marivaux)
Dates de représentation:
– Du 12 au 16 novembre au Théâtre des Treize Vents, Montpellier – CDN
– Du 20 au 22 novembre à Le Moulin du Roc, Niort – Scène Nationale
– Du 26 au 28 novembre au Théâtre d’Angoulême – Scène Nationale
– Du 4 au 14 décembre au TNT, Toulouse – CDN
– 17 décembre au Théâtre du Vésinet
– Du 19 au 20 décembre à L’Onde, Théâtre et Centre d’Art de Vélizy-Villacoublay
– 22 décembre à Le Carré Sévigné, Cesson-Sévigné
– Du 9 au 11 avril 2014 à La Halle aux Grains, Blois – Scène Nationale
– Du 16 au 26 avril à Les Célestins, Théâtre de Lyon
– 29 avril au Théâtre des Bergeries, Noisy-le-Sec
– Du 6 au 17 mai au TNS, Strasbourg – Théâtre National
– Du 20 au 24 mai au Théâtre du Gymnase, Marseille
– 27 mai à l’Espace Marcel Carné, Saint-Michel-Sur-Orge
– 31 mai au Centre Culturel des Portes de l’Essonne, Athis-Mons
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