Masculin / Masculin : Où est le Mal(e) ?
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr / Mesdames (mais aussi Messieurs), réjouissez-vous ! Le musée d’Orsay a enfin eu l’idée heureuse et osée – de mettre en scène une exposition entièrement dédiée au Nu masculin ! Même si certaines œuvres frôlent parfois le blasphème ou la provocation, force est de constater que l’on ressort de ce voluptueux parcours amusé et émoustillé avec une idée concrète du Male contemporain.
I – SAINTS SENSUELS OU SENSUALITÉ SANCTIFIÉE ?
Les premières salles portent à l’interrogation: n’est-il pas étrange, voir profane, d’exhiber des Saints et des Martyrs pour mettre en avant la thématique du nu masculin ? La présence d’œuvres pieuses dans un étalage émancipé de corps nus est, en effet, difficilement compréhensible: que fait donc ce chaste « Saint Sébastien » de George de la Tour au milieu de cette meute de males sensuels et athlétiques ? Avec son corps meurtri et décrépi, ce vieillard aurait d’avantage sa place entre deux crucifixions au cœur d’une galerie vaticane dédiée à la peinture religieuse !
Il en va de même pour la figure de Jésus qui orne plusieurs panneaux: bien que le fils de Dieu soit un Homme avec un grand H, comment demander aux spectateurs de renier sa dimension christique pour se concentrer sur l’esthétique de son corps sexué? Cette introduction au nu masculin est quelque peu maladroite, malsaine même : dans un accrochage consacré à la nudité féminine, peu de commissaires auraient osé placer une toile de la Sainte Vierge à deux pas d’une série érotique de Picasso… Il y a, avouons-le, une certaine perversion à vouloir associer le sacré à la sexualité. Mais passons sur ce choix qui doit certainement appartenir au domaine de la provocation artistique plus qu’à l’hérésie.
II – NUS HÉROÏQUES ET «SURMÂLES»
Depuis l’Antiquité, les canons corporels hellénistiques ont toujours dominé le monde de l’art. Qu’il s’agissent de Dieux ou de simples mortels, l’archétype classique masculin pourrait se résumer à celui d’un bel athlète au corps viril que chaque époque accommode selon ses pensées et ses affinités.
Si les peintres académiques tels que Jean Louis David ou Hippolyte Flandrin ont – vraiment trop – idéalisé cet exemplum virtutis, d’autres se sont amusés à le faire fusionner philosophiquement avec la nature à l’exemple des « Baigneurs » de Cézanne, ou à ceux – bien moins connus du public – d’Edward Munch.
Beaucoup de régimes totalitaires (dont l’inévitable IIIe Reich) ont aussi utilisé la force physique de l’image masculine pour personnifier la puissance brute de leur nation (Ah! le modèle aryen !) tandis que certains artistes plus savants – voir plus hygiénistes – se sont penchés sur des détails anatomiques et morphologiques comme l’on peut en voir sur certains dessins. A ce propos, la venue de la photographie et d’artistes comme Muybridge ont largement contribué à la diffusion d’images de gymnastes, lutteurs et autres dieux du stade mettant en avant le « surmâle » dans toute sa gloire.
III – BEAUTÉS ANDROGYNES
Au fil des siècles et particulièrement des deux derniers, il semblerait que la virilité ne soit plus de mise dans la représentation masculine. La plupart des peintres et des photographes – qui sont pourtant des hommes – tendent progressivement vers un nouvel idéal : révéler la part de féminité du mâle !
Les puissants Ulysse, Thésée et Hercule se sont ainsi parés d’une douceur mièvre et désolante s’harmonisant difficilement avec leurs statuts de guerriers ou de héros invincibles !
Une trop forte recherche de perfection plastique les a rendus tous imberbes et excessivement maniérés. Il en va ainsi de la toile de Desmarais qui a choisi de représenter le « Berger Pâris » avec une sublime peau de nacre et un croisé de jambes désopilant ! Sans parler du séduisant Eros peint par Gustave Moreau avec sa chevelure ondoyante et sa couronne fleurie. Et que dire de la photo de « Mercure » exquisément mise en scène par Pierre & Gille : bien des visiteurs continueront à avoir leur esprit hanté par le déhanché si suggestif de ce bellâtre efféminé ! Disons-le : l’androgynie de ces nouveaux mâles apporte une lecture ambiguë à nos critères classiques de petits bourgeois mais ces éphèbes sont si parfaits qu’on ne peut que laisser nos yeux se délecter de leurs charmes.
IV – DÉBAUCHE DE CORPS
L’idéalisation doit néanmoins avoir certaines limites car elle peut rapidement côtoyer le ridicule. Que fait donc cet « Atlas » de Karl Sterrer se lovant mollement dans de la ouate au lieu de soulever la terre de ses bras fougueux? Et que penser de la composition douteuse et kitchissime de Pierre et Gilles entourant d’hydres en plastique un « Hercule » huileux et bodybuildé ? Le mauvais goût et le grotesque sont hélas aussi au rendez-vous de cette vaste exposition…
A l’inverse, le message (principal ?) de cet accrochage est moins manifeste: il se devine graduellement au fil des salles. D’une œuvre à l’autre, bien qu’elle soit en filigranes, la « tentation du mal » est bien là et elle vous entraine délicatement sur les pas de Sodome…
Ne nous mentons pas : Masculin / Masculin est une parade en parfaite adéquation avec les récents – et turbulents – épisodes du mariage homosexuel. Pour être honnête, on pourrait même l’interpréter comme une propagande esthétique et idéologique du mouvement gay : attardez-vous un instant devant les jeunes garçons des « Douches collectives » de Deineka et contemplez patiemment chacun des étudiants lascifs entourant « Platon » dans l’œuvre de Jean Delville. Nul doute n’est permis quant à leur préférence sexuelle. « L’Ecce Homo » (cherchez le jeu de mot…) de Kehin de Wiley pourrait d’ailleurs être le couronnement de cet éloge érotique et désinhibé du couple mâle, dommage qu’il soit entouré d’œuvres obscènes et transgressives tel que le tirage de David La Chapelle représentant Eminem « about to blow » …
À l’inverse des expositions classiques, l’événement Masculin / Masculin devrait d’avantage être considéré comme une déambulation ludique. Même si le Musée d’Orsay est une institution fort sérieuse dont les visées sont partiellement pédagogiques, vous verrez qu’il est impossible de demeurer stoïque face à la charge érotique qui se dégage de cette profusion de belles pièces (si je puis m’exprimer ainsi…) !
Preuve en est: la « queue » qui règne devant l’espiègle cliché de Pierre & Gilles (encore eux ?!) représentant trois joueurs de foot en tenue d’Adam au milieu d’un stade bondé à bloc ! Mesdames (et Messieurs) essayez donc de regardez ces trois sportifs dans les yeux! Si, si ! Cela est possible!
Hormis prudes et pudibonds, personne donc ne se plaindra de cet étalage de chair et de beauté masculine! Pas même ceux qui découvriront qu’il existe un pendant à « L’Origine du monde » de Courbet : l’impudique et pornographique « Origine de la guerre » d’Orlan !
Mais pour une fois qu’une exposition fait appel à tous nos sens y compris celui de l’humouR. Il n’y a pas de Mal (e).
Masculin / Masculin
L’homme nu dans l’art de 1800 à nos jours
Musée d’Orsay
1, rue de la Légion d’honneur – Paris 7E
Du 24 septembre 2013 au 2 février 2014
(Mercure – Pierre et Gilles
Modèle : Enzo Junior
2001 – collection particulière
© Pierre et Gilles – Courtesy Gal. Jérôme de Noirmont, Paris)
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