« En voyage, les noms m’attirent avant les lieux… »
Par Julie Cadilhac – bscnews.fr/ Alors qu’un déluge de nouveaux romans s’abat sur la rentrée littéraire comme à l’accoutumée, le plaisir de se pencher vers un classique est doublement tentant…davantage encore pour ceux qui résistent aux mouvements de foule et refusent de se conformer aux lectures du moment.
La rêveuse d’Ostende et les quatre nouvelles qui l’accompagnent dans le recueil édité en 2007 chez Albin Michel satisferont les appétits frugaux de lecture aussi bien que tous les amoureux du verbe , quelle qu’en soit la forme, et de ses potentialités merveilleuses. Éric Emmanuel Schmitt y décline le thème du pouvoir de l’imagination; on y rencontre ainsi une vieille-fille infirme qui affirme avoir eu un prince charmant pour amant, un écrivain au coeur brisé qui se réfugie à Ostende, une épouse criminelle, un époux à la libido défaillante, une infirmière amoureuse de son patient aveugle, un érudit qui méprise la lecture des romans et une vieille dame qui patiente depuis des années sur le quai d’une gare, un bouquet à la main. Au creux du quotidien de ces êtres, l’imagination agit comme un révélateur puissant et influe sur leurs agissements. L’écrivain , conscient du pouvoir de l’imaginaire, s’amuse même à inverser les rôles: le patient guérit l’infirmière, l’amant s’étourdit des caresses d’une vierge, la fiction l’emporte sur la raison, l’époux trop amoureux est soupçonné de trahison…En quelques pages, le lecteur pénètre dans l’intimité et la psychologie d’un personnage, ressent ses fragilités et ses douleurs intestines et s’émeut de ses défaillances autant que de ses succès. L’imagination n’a pas la même résonance pour chacun: certains en sont des victimes , d’autres y trouvent un réconfort, d’autres encore l’usent comme matière première pour leur métier…Chaque nouvelle est une démonstration brillante d’une vérité déstabilisante: nous ne pouvons maîtriser notre imagination qui peut ainsi nous offrir d’extraordinaires heures de répit dans la souffrance comme nous anéantir par des délires et soupçons insupportables. Fiction ou réalité? La vie et sa complexité font que nous sommes le jouet des apparences, tiraillés sans cesse par l’existence de preuves plus ou moins tangibles.. Le livre reste le seul lieu dans lequel l’homme raisonnable peut flirter avec l’imagination sans en faire les frais : il a ainsi l’assurance qu’il plonge dans un univers irréel: l’imagination y est alors un simple outil de divertissement et le lecteur sait de lui-même qu’il est dupé pour son plus grand plaisir…
« – Vous me pardonnerez, je n’ai pas lu vos romans, me dit-elle en se méprenant sur mon désarroi.
– Ne vous en excusez pas. Personne ne peut tout connaître. En outre, je n’attends pas cela des gens que je fréquente.
Tranquillisée, elle cessa d’agiter son bracelet de corail autour de son maigre poignet et sourit aux murs.
– Pourtant je consacre mon temps à la lecture. Et à la relecture. Oui, surtout. Je relis beaucoup. Les chefs d’œuvre ne se révèlent qu’à la troisième ou à la quatrième fois, non?
– À quoi repérez vous un chef d’œuvre?
– Je ne saute pas les mêmes passages. «
La rêveuse d’Ostende et autres nouvelles
Auteur: Éric Emmnuel Schmitt
Éditions: Le livre de poche
Prix: 6,50€
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