L’écrivain face au doute, à l’angoisse et à la mélancolie
Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr / L’angoisse, le doute, la mélancolie, l’urgence, l’irrésolution, les mirages ou les béances de la mémoire ne cessent de tenailler l’homme. L’écrivain qui les affronte est conscient de démêler un noeud de vipères. Mais la cruauté n’est-elle pas l’élégance du remords ?
Chez Arnaud Cathrine, le romancier estompe le scénariste et le parolier, deux champs d’action plus anodins, quoique semblablement estimables. Aurélien revient dans son village natal pour assurer la vente de la maison familiale. Il s’y prêtera avec une procrastination flottante, accaparé puis harcelé par les fantômes de l‘adolescence, une saison qu’il a traversée de Charybde en Scylla. Le voilà devenu passant aux cent soucis, retrouvant par hasard un des tortionnaires de sa jeunesse. Va-t-il comprendre a posteriori ? En réalité, Aurélien est plus accaparé par le présent : un frère qu’il aime mais avec lequel il échoue à dialoguer ; sa rupture avec Junon et sa grande affection pour l’enfant de la jeune femme ; sa liaison aléatoire avec l’écriture dont il a fait son métier. Une crise de la trentaine gouvernée par l’incertitude, que guette en permanence une mélancolie doucereuse. Alors qu’il devrait assurer la promotion de son dernier livre paru, Aurélien se terre dans cette enclave normande et vide consciencieusement la cave à vin pour tenter d’engourdir sa déréliction. Un petit chanteur à la gueule de bois, venu déposer son bilan à l’instar de René Crevel. Et gagner du temps. Sur quoi ? Pourquoi ? Cathrine écrit bien, juste, avec une élégance au déroulé naturel. Il évoque Perros et sa danse du charme par défaut. On a envie qu’il arrive à Aurélien quelque chose de bien. Allez Arnaud, soyez bon prince !
Pirotte est multiple lui aussi. Depuis toujours. Avant le romancier, le peintre, le poète, il y eut l’adolescent au long cours, le rebelle flamboyant, du creuset desquels est sorti l’homme en fusion, le funambule au balancier lesté de grâce et de douleur. Son narrateur chemine depuis longtemps, dans un labyrinthe aventureux où il a croisé et halé ce que l’on désigne – à défaut de mieux – par les aléas de la vie. Puis un jour on croit entendre l’injonction « Poète, vos papiers ! », on convoque ses souvenirs enchevêtrés, on leur donne un autre ordre, un sens jusqu’alors rejeté, on a envie de farder le noir foncé des couleurs de la dé-fête, de lui donner des nuances hospitalières d’estaminet, on s’enguirlande pour un seul en scène où il est possible de choisir son personnage ou de les jouer tous : Barnabooth, l’homme aux semelles de vent, le prince de l’Arbois, le Ravaillac vu par Tallemant des Réaux, John Silver, Fabre d’Eglantine, l’Andreas de Joseph Roth, Barabbas, Ulysse … Tout ne fut pas rose. Le doux-amer réclame son dû, mais il ne peut rien contre le souvenir des éclats de rire, l’effronterie des luronnes, le chuchotis complice des soies troussées, la danse du soleil dans le sancerre ou des amours dans le pouilly, les châteaux de sable d’encre et de papier. Au diable les bagages ! « C’est que j’avais encore envie de vivre, et de voir passer les nuages, et d’écrire ceci, ou autre chose/…/ je m’obstine, je tiens la fenêtre ouverte, au moins je respire et un chien aboie ». Tout est bien. Baudelaire et son vieux capitaine attendront. Festina lente, Camarade.
« Je ne retrouve personne », Arnaud Cathrine, Verticales, 17,90 euros
« Brouillard », Jean-Claude Pirotte, Cherche Midi, 13,50 euros
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