Chagall entre Guerre et Paix au Musée du Luxembourg
Par Florence Gopikian Yérémian – bscnews.fr/ Le musée du Luxembourg rend un bel hommage à Marc Chagall. A travers cent cinq œuvres, il convie les visiteurs à parcourir l’univers métaphorique d’un artiste qui a su s’affranchir de toutes les règles picturales de son époque. Un concentré de délicatesse et d’émotions vives déclinées au gré des méandres de l’Histoire : entre Guerre et Paix.
Marc Chagall est un artiste libre : bien qu’il ait traversé tout le XXe siècle et côtoyé une foule de mouvements artistiques, ce créateur n’est pas tombé dans le courant de l’abstraction ni dans celui des avant-gardismes. Indépendant et poète, il a su conserver un art figuratif qu’il a précieusement paré d’émotion, d’histoires folkloriques et de symboles. De façon consciente ou instinctive, il a construit ses toiles à travers son vécu : révolution, conflits, exil mais aussi amour passionnel et paternité, tous ces évènements caractérisent l’œuvre de Chagall qui alterne de façon redondante entre images de guerre, de paix, de dévotion spirituelle et d’amour. C’est cette mise en parallèle complexe que tente de raconter l’exposition du Luxembourg à travers un parcours narratif qui se déploie comme un rouleau de Torah.
SAGRADA FAMILIA
Il y a d’abord l’Amour. L’amour que Chagall éprouve pour Bella. Bella sa femme, son amante, la mère de sa fille Ida, née en 1916. Cet amour inonde l’ensemble des peintures de Chagall qui prennent l’apparence de déclarations picturales et font de son épouse une véritable déesse mythologique. Adulation, vénération, ferveur amoureuse, chacun de ces nobles sentiments est posé couche après couche sur chacune des toiles de l’artiste. Par le biais de ses pinceaux imbibés de rouge sombre et de vert-malachite, Chagall décline de subtils autoportraits de couple (Vue de la fenêtre à Zaolchie) ou de maternité à l’exemple du tableau iconique de Bella en Madone berçant avec dévotion son enfant endormie (Bella et Ida à la fenêtre). Délicate et aimante, Bella est aussi une épouse obélisque qui aide son amant, années après années, à traverser la Révolution russe, l’exil aux Etats-Unis ainsi que les guerres qui déciment l’Europe. Pilier de l’univers artistique chagallien, elle prend souvent l’aspect irréel d’un ange protecteur qui se promène au fil des toiles : sempiternellement vêtue de sa robe nuptiale couleur de neige, Bella est un monde en soi, un cocon nourricier et spirituel où Chagall vient puiser ses forces autant que son inspiration poétique. Une muse en somme, délicate et divine, qui parvient à envelopper sa « Sagrada Familia » d’une bulle étanche à toute violence.
LE JUIF ERRANT
La seconde figure qui apparaît systématiquement dans l’exposition est celle du mendiant. Muni de son baluchon et de son bâton, il hante les toiles de Chagall comme un spectre, apparaît au dessus des maisons, s’élève dans le ciel (Au dessus de Vitebsk) ou fuit le malheur et la souffrance d’un village dévasté (La guerre). Bien que ses guenilles et ses grosses bottes puissent faire songer à un sombre personnage de conte, c’est un messager bien réel que représente Chagall, une métaphore bicéphale : celle du mendiant qui peuplait les rues de Vitebsk au début du XXe siècle au moment où la Révolution appauvrissait les campagnes russes ; et celle du juif errant, symbole de l’itinérance et de l’exil que connu l’artiste tout au long de sa vie. Depuis son village natal de Vitebsk – en pleine Russie Tsariste – jusqu’à sa dernière demeure ensoleillée de Saint Paul de Vence, Marc Chagall a parcouru Berlin, vécu à Paris et s’est exilé durant la seconde guerre mondiale aux Etats-Unis. Son juif errant est donc un double, un figurant indispensable au récit de son histoire iconographique. A l’exemple d’une signature, cette image fantomatique atteste de sa vie de bohème et de son exil autant que des persécutions de la communauté juive à laquelle l’artiste est très attachée. L’exposition déborde d’ailleurs de dessins et d’aquarelles faisant référence aux rituels judéo-russes : rabbins, joueurs de Shofar ou porteurs de Thora y sont représentés à foison. L’une des plus belles représentations demeure cependant une gouache aquarellée du juif et de la chèvre. Enigmatique à souhait, le tendre animal symbolise à lui seul toute l’innocence du peuple martyr promis au sacrifice.
LA BIBLE ET LE CHRIST
Lorsque Chagall s’installe en France en 1923, l’écrivain et galeriste Ambroise Vollard lui demande d’illustrer la Bible. Dans le cadre de cet immense projet, l’artiste part alors pour la Palestine afin de s’imprégner de la terre mythique de ses ancêtres. De retour à Paris, il va se lancer dans une série de dessins, de gouaches et d’eaux-fortes et engendrer une multitude de figures prophétiques et patriarcales. A travers une vingtaine d’œuvres provenant essentiellement du Musée Chagall de Nice, l’exposition nous laisse pleinement apprécier la création d’Eve, l’épisode de Moise brisant les tables de la Loi ou la douleur d’Abraham pleurant son épouse. Au fil des œuvres et des salles, on constate que la Bible se transforme progressivement en une source d’inspiration infinie pour Chagall. Regorgeant de récits et d’allégories, ce texte sacré devient non seulement une motivation esthétique pour l’artiste mais également un instrument religieux pour le croyant ! Ainsi, afin de conjurer les guerres et les atrocités qu’il traverse, Chagall va étonnamment avoir recours à une figure de l’iconographie chrétienne : celle du Christ ! Ce fils du Dieu chrétien va soudainement ressusciter dans la création chagallienne et se répercuter d’une œuvre à l’autre pendant plus de cinquante années ! Sans tenir compte des mouvements artistiques du XXe siècle qui ont définitivement écarté toute référence à la peinture religieuse, Chagall ne va pas hésiter à déployer une myriade de crucifixions et de résurrections déclinées dans toutes les couleurs.
LE REVE ET LA SERENITE
Ce n’est par hasard si l’œuvre de Chagall séduit les enfants. Multicolore et très expressive, elle déborde de rêves, de contes et d’imaginaire. Nul besoin d’analyse iconographique pour y croiser des lapins géants (Le rêve), des chevaux volants, des funambules (Le cheval rouge) ou des anges dorés. Tout y parle comme dans un grand livre d’images féériques où les hommes ont la tête à l’envers, où les toits des maisons deviennent bleus et où les jeunes filles en fleurs sont parées de belles robes de mariée à toutes les pages ! Si l’on se contente de regarder la centaine de toile exposées au Musée du Luxembourg, on peut déjà constituer un vertigineux bestiaire : personnages à tête de coq (Homme-coq au dessus de Vitebsk), mariés à tête de veau, anges rouges, poissons volants…Dans ce monde surréaliste pullulant d’ êtres hybrides et extraordinaires, il semblerait que les animaux puissent murmurer des secrets à l’oreille des enfants. Les voici happés, ces têtes folles, par la magie de l’Art sans même comprendre ce qu’il leur arrive ! N’est ce pas là l’un des plus beaux rôles que la peinture puisse avoir ? Dans son superbe triptyque nommé Résistance, Libération, Résurrection, Chagall nous livre également un Christ Salvateur et porteur de Paix envers les malheurs qui traversent son siècle. Œuvre phare de l’exposition, cette immense composition a été découpée en trois volets en 1943. On peut y puiser toute la symbolique chagallienne : mariés, juifs errants, christ en croix, musiciens, œil gigantesque, animaux fantasmagoriques…
Musée du Luxembourg
19, rue de Vaugirard – 75006 Paris
T. 01 40 13 62 00
Jusqu’au 21 juillet 2013
Tous les jours de 10h à 19h30
Nocturne le lundi et le vendredi jusqu’à 22h
Pour les visites-conférences, débats et ateliers artistiques (bestiaires et métamorphoses) :
http://www.museeduluxembourg.fr/
Lecture conseillée :
L’œuvre chagallienne et très riche en symbolique et en vocabulaire iconographique. Pour tenter d’en découvrir les mystères, munissez-vous de ce petit ouvrage qui recense 52 clefs de lecture. Anes, horloges, œil géant et couples hybrides n’auront désormais plus de secret à vos yeux !
Le petit dictionnaire Chagall en 52 symboles
De Jean-Michel Foray
160 pages – 70 illustrations
Editions RMN – 12€
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