Mademoiselle Else ou le dilemme d’une jeune fille en fleur
Par Florence Gopikian Yeremian – bscnews.fr/ Mlle Else est une pièce étonnante. Un cru estival et inattendu à la mise en scène aussi déroutante que séduisante. Trois actrices altières aux cheveux blond vénitien prennent place sur scène comme les Grâces d’un tableau de Dürer. A tour de rôle ou simultanément, elles vont interpréter le personnage fragile et conflictuel de Fräulein Else, une jeune fille « bien comme il faut » issue de la grande bourgeoisie autrichienne. Dans un monologue à trois voix, Pauline Gardes, Sophie Bricaire et Pauline Vaubaillon vont se démultiplier à l’infini pour traduire avec ivresse et complicité les pensées les plus intimes de cette créature en proie à l’émancipation .
L’intrigue prend place au siècle dernier. Envoyée en Italie en villégiature aux cotes de sa tante, Mlle Else est astreinte à demander une forte somme d’argent à un vieil homme sans scrupules afin de sauver son père de la prison. En dépit de son élégant monocle et de sa noble particule, ce Monsieur Van Dorsday va lui proposer un pacte pernicieux : Else doit l’autoriser à contempler sa nudité durant un quart d’heure en échange de la somme requise… Face à ce maître chanteur lubrique, la pudique demoiselle se retrouve déchirée entre son devoir filial et la honte d’apparaitre nue face à un inconnu. Du haut de ses dix neuf ans, la belle Fräulein va devoir grandir trop vite en apprenant qu’en ce bas monde tout a un prix ! Tour à tour hésitante, exhibitionniste ou hystérique, Else se voit traversée par mille et une pensées qui l’emmènent progressivement à s’interroger sur sa propre sexualité et sur le statut de sa féminité: est-elle une femme soumise ou libérée ? En constante contradiction, elle se demande si cet acte de nudité va devenir une humiliation ou l’affirmation de sa personne? Se mettre en tenue d’Eve pour sauver son père, est-ce du dévouement ou de la prostitution? A-t-elle donc été éduquée pour se vendre? Contraignant dilemme qu’Else tranchera par un acte final plus que libérateur. La beauté de la pièce réside dans l’interprétation vive et succulente du texte féministe d’Arthur Schnitzler : telle une trinité en perpétuelle mouvance, les trois actrices s’immiscent dans le rôle de la protagoniste avec une sincérité percutante et une audace aguicheuse. Dialoguant en miroir, parlant à l’unisson ou se répondant en échos, elles incarnent successivement la bonne conscience, la mauvaise et le subconscient de la jeune fille qui ne cessent de se quereller : l’une est moqueuse et ironique, l’autre craintive et introvertie, la troisième, quant à elle, est la plus fourbe et se laisse dériver vers des élans voluptueux ou des pulsions suicidaires. Avec une diction éloquente et une assurance singulière, ces comédiennes parviennent remarquablement à nous entraîner dans la psychologie d’une jeune femme prude et virginale contrainte de se transformer en une entrepreneuse aux bas de soie. Une métamorphose ascensionnelle et grisante, …jusqu’à la chute. Génial !
Mademoiselle Else
D’Arthur Schnitzler
Mise en scène Francine Walter
Avec Sophie Bricaire, Pauline Vaubaillon, Marion Servole en alternance avec Pauline Gardes
Théâtre Le Lucernaire
53, rue Notre Dame des Champs
75006 Paris
www.lucernaire.fr
Resa: 0145445734
Jusqu’au 22 septembre 2013 – Du mardi au samedi à 21h30
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