A ses débuts, en 1970, alors qu’il a tout juste 21 ans, Marvel Cravenne l’engage pour Tartuffe et Jacques Weber le mettra lui-même en scène ensuite en 1994 et en 1995. En 1973, il met en scène Les Fourberies de Scapin et son prologue. Il interprète également Don Juan en 1987 dans une mise en scène de Francis Huster et l’incarne à nouveau au cinéma en 1998. Il met en scène Le Misanthrope en 1988 et en 1990 et joue Alceste pour la télévision en 1994. Enfin en 1991, dirigé par Jean-Luc Boutté, il joue dans l’Ecole des femmes. Depuis 2003, avec son épouse Christine Weber, ils ont conçu une lecture du Roman de Monsieur Molière de l’écrivain russe Mikhaïl Boulgakov. Connu pour mêler habilement le fantastique et le réel, cet auteur, aimant passionnément le théâtre, imagine en 1933 une biographie de Molière qui lui permet de dénoncer par procuration les rapports entre l’artiste et le pouvoir, la censure et le poids de l’étatisme. Victime du stalinisme, il voit en Molière un révolté qui lui ressemble. Jacques Weber lui prête sa voix et sa présence charismatique, le temps d’une parenthèse littéraire et théâtrale privilégiée. Nous sommes très honorés d’accueillir dans nos pages ce grand homme du théâtre français et vous laissons en compagnie d’un acteur qui ne manque pas de..panache!
Quels souvenirs gardez-vous de votre première rencontre avec le texte de Boulgakov?
J’étais ébloui parce que je connais très bien- non pas tous les livres mais – beaucoup de livres concernant Molière suite à mon parcours privilégié, puisque c’est un des auteurs que j’ai le plus travaillés dans ma vie et je trouvais que la plupart des biographies que j’avais lues étaient très intéressantes sur le plan de l’analyse et du commentaire mais je n’en voyais jamais beaucoup d’intéressantes sur le plan littéraire. Souvent c’était de l’ordre de l’idolâtrie, écrit par certains acteurs et je n’étais pas très touché. Boulgakov est non seulement un immense auteur, un des plus grands représentants de la littérature russe du vingtième siècle mais c’est aussi un homme de théâtre extrêmement important, un homme qui a été en combat avec l’auditoire et qui a entretenu une relation extrêmement ambigu avec Staline et c’est aussi pour cela qu’il écrira la biographie de Molière; pour contourner la censure et parler d’une façon extrêmement implicite du rapport entre l’artiste et le pouvoir.
En montant ce Roman de Monsieur Molière, on fait aussi monter un peu sur scène Mickaël Boulgakov? Avez-vous travaillé en ce sens, dans l’idée d’une incarnation double en quelque sorte?
Cette représentation, c’est une lecture vivante, et je l’espère par moments incarnée même si ce que je raconte c’est avant tout la vie de Molière ,avec évidemment les mots de Boulgakov, il n’est toutefois pas question pour moi d’interpréter Molière, ni d’interpréter Boulgakov. Comme toute lecture, ce qui est important c’est de faire passer un texte, de faire passer l’urgence d’un créateur, sa fièvre, ses angoisses, ses moments de dépression et de gaieté , bref tout ce qu’a su merveilleusement indiquer Boulgakov à l’endroit de Molière.
Le canevas de cette représentation, mise en scène par votre épouse Christine Weber, se base sur le texte de Boulgakov et vous y avez inséré des digressions, c’est bien cela?
Ma femme a fait l’adaptation de ce texte parce que si j’avais du le lire en entier, ça aurait fait sept ou huit heures et il y a parfois , pour agrémenter ce texte, des extraits de pièces de Molière qui s’égrènent ça et là au gré de la lecture.
Ce spectacle est joué depuis 2003…y-a-t-il eu des évolutions notables au fur et à mesure des représentations?
Cela change évidemment un peu selon les lieux et les endroits mais le texte reste le même. Je lis sur de très grandes feuilles qui me permettent de me promener en récitant et de vivre ça de façon extrêmement vivante…et je ne suis pas assis à une table en train de lire le nez dans mes papiers.C’est tout à fait le contraire!
Vous aviez monté en 1973 un Jean-Baptiste Poquelin…
Tout à fait mais ça, c’était autre chose: c’était un prologue des Fourberies de Scapin qu’on avait travaillé mais qui n’avait rien à voir avec la vie de Molière.
Dans votre répertoire, parmi les œuvres de Molière, certaines semblent avoir dominé comme Tartuffe ou Le Misanthrope, pièces dites les plus nobles et les plus complexes du répertoire de Molière…sont-ce vos préférées?
J’ai joué aussi dans L’Ecole des femmes et puis le rôle d’Arnolphe, Don Juan aussi que j’ai mis en scène au cinéma et joué au théâtre. Vous savez, je n’ai pas de pièces ni même d’auteurs préférés mais Molière est en tous cas l’un des auteurs les plus importants pour moi et un de ceux que je connais le mieux car j’ai eu la chance de jouer tous ses grands rôles plus de 300 fois chacun et » on ne commence à bien jouer qu’après cinquante représentations ». Comme j’ai eu la chance de les jouer longtemps, ce sont des personnages que je connais absolument et qui me donnent de ce fait envie de les connaître encore mieux, c’est à dire encore plus loin. Plus on joue des rôles, plus ils s’ouvrent et plus le travail est sans fin…c’est ça qui est passionnant!
Avez-vous joué des rôles dans des comédies de Molière plus légères?
Des comédies de Molière, j’en ai peu faites. Comme personnages de Molière, j’ai joué Don Juan, Alceste, Tartuffe et Arnolphe. Je vais sans doute jouer plus tard ou Dandin ou Harpagon mais pour l’instant je n’en ai pas joué d’autres…mais je ne demande que ça! C’est vrai que ce sont des grands premiers rôles et moi j’ai la chance de jouer des grands premiers rôles.
Qu’est-ce vous séduit en particulier dans le personnage de Molière? Son génie des situations, des caractères, son verbe?
Je crois que cela ne peut pas se départager comme cela; c’est un tout. Il y a cependant une thématique chez Molière qui m’est chère , c’est la nécessité du désordre. C’est un homme qui, très souvent, met en place un personnage central et qui désordonne le monde dans lequel il s’inscrit. Tartuffe désordonne les familles, Don Juan désordonne le monde, Alceste désordonne les classes sociales privilégiées, Scapin désordonne le peuple dans lequel il vit..Il y a toujours quelque chose de cet ordre-là, quelqu’un qui est posé là et qui, dans sa façon d’agir et d’être, remet en question les schémas classiques, auxquels nous sommes habitués. C’est dans ce sens que Molière écrit un théâtre extrêmement subversif et c’est cela que j’aime beaucoup.
Il y a en même temps un paradoxe chez Molière, qui est sans doute un paradoxe d’artiste, et même si à la fin de sa vie il a été « déchu », il se produisait à la cour et fréquentait la noblesse….
Oui, il participe à l’art de cour, à l’art précieux mais de tous temps cela a été comme ça (rires)…les plus grands subversifs ont commencé dans un premier temps comme des marginaux et ont ensuite été récupérés par les classes dominantes . Les classes dominantes ont besoin de récupérer leurs propres critiques et en même temps ils leur permettent d’exister aussi: il y a toujours cette ambiguité-là. Boulgakov en est l’un des plus grands témoins.
Si vous deviez citer une anecdote, un passage de la vie de Molière que vous dîtes sur le plateau, lequel serait-ce?
Ce qui est formidable de la part de Boulgakov, c’est qu’il garde son style qui part de choses assez concrètes et s’en va très vite dans le fantastique. Il a l’habileté de scruter de tout petits détails comme, par exemple, le fait que les gens croient que la maison de naissance de Molière était La maison aux singes et à partir de là, il se met à broder à partir de ce détail, avec beaucoup d’humour….de même qu’il nous apprend que le fameux Baron qu’a remplacé Molière était claveciniste….maître d’un clavecin censé marcher tout seul et donc il tournait dans toute la France et cet homme faisait toujours croire que le clavecin fonctionnait tout seul et un jour , il se produit devant le roi et le roi dit » mais ce n’est pas possible que ça marche tout seul! ouvrez cette machine! » et là il y avait un homme recroquevillé dedans et qui n’était autre que celui qui deviendra un acteur célèbre et remplacera Molière dans tous ses rôles et qui sera l’acteur Michel Baron. Voilà, ce sont des petites anecdotes qui m’ont amusé.
Cette année, vous avez participé à Le Prix Martin d’Eugène Labiche mis en scène par Peter Stein au Théâtre de l’Odéon? Quels souvenirs de cette expérience?
Cela a été un triomphe au Théâtre de l’Odéon. Ce fut pour moi une des très grandes rencontres de ma vie et depuis j’ai un regard différent sur mon métier. Peter Stein est un homme qui parle simplement, qui s’attache au concret des choses, aux faits et aux lois fondamentales de son métier et qui en a une connaissance très profonde et très poétique. Il a une façon de diriger qui lui est propre et qui est absolument géniale et qui n’est pas de l’esbroufe; c’est toujours très humain, très simple.
D’autres actualités?
Oui, à la rentrée, je vais jouer La dame de la mer d’Henrik Ibsen au Théâtre Montparnasse.
Les Mots en soie ont fait paraître un documentaire cette année intitulé « Cyrano, ma vie dans la sienne »: de même que Cyrano est le rôle qui vous hante, pensez-vous que tous les grands acteurs ont un rôle qui les hante?
Je ne sais pas si tous les acteurs ont un rôle qui les hante mais je sais que Cyrano est important pour moi parce que je l’ai joué plus de 300 fois et que c’est un évènement marquant de ma vie. Et ça a été un évènement tout court puisqu’il paraît que j’ai marqué le rôle donc tout cela fait que c’est un rôle qui m’a marqué pour toute ma vie. C’est vrai que j’y pense d’une façon peut-être parfois immodérée mais bon je ne peux pas le nier. Je sais que Cyrano est un rôle que pas mal d’acteurs rêvent de jouer et j’ai eu de la chance de l’incarner…
« Le Roman de Monsieur de Molière » raconté par Jacques Weber
Le 15 juin 2013 à 21h30, Mise en scène de Christine Weber au Théâtre de Pézenas ( Hérault )
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