Bye Bye Leningrad : la satire féroce de deux grandes puissances
Par Régis Sully – bscnews.fr/ Qu’y a-t-il de mieux pour s’immerger dans l’histoire d’un pays, surtout si celle-ci est tragique, que de se plonger dans un roman ou une autobiographie pour sentir se dérouler la grande histoire à l’échelle de l’individu.
En effet, le livre d‘histoire aussi indispensable soit-il pour appréhender une époque, un pays, ne restitue que partiellement ce que les habitants vivent. Alors, entre en jeu la fiction ou le témoignage. C’est dans ce cadre-là qu’il faut situer le livre en partie biographique de Ludmila Shtern « Bye Bye Leningrad ». Par petites touches successives, l’auteur dévoile l’univers totalitaire soviétique. Un univers glacial où la menace rôde constamment. Très tôt, la narratrice issue d’un milieu intellectuel se heurte à l’univers impitoyable du régime. Ainsi son père « cachotte » pour reprendre l’expression de l’auteur dans les prisons du KGB durant le siège de Leningrad et ne doit sa survie qu’au reste de la gamelle du chien d’un haut responsable du parti et lorsque le geôlier a prélevé son dû. D’autres passages relatent la pesanteur de la bureaucratie sur l’individu. Rien de tel pour mesurer l’énergie que devait déployer le citoyen pour survivre dans un tel contexte. Mais le récit va au-delà, c’est aussi un roman de l’initiation au travers des démêlés de la narratrice avec l’institution scolaire. En 1976, l ‘auteur émigre aux Etats-Unis avec sa famille. Elle portera là aussi un regard tout aussi lucide sur cet univers aux antipodes du précédent avec des comparaisons que, seuls les émigrés peuvent faire. Au travers des différents épisodes se dessine un portrait des Américains à la fois généreux, accueillants surtout avec les émigrés russes mais aussi naïfs, parfois durs. Au total se révèle une Amérique où l’individu est invité à savourer la liberté d’expression, de presse, de culte et de réunion mais où son esprit est préoccupé par son travail, l’accès au logement … Bref à des préoccupations bassement matérielles. D’où le recours à des gourous prêts à vendre très cher une sérénité largement entamée par les aléas de l’American way of life. Ce n’est pas le seul livre qui relate la vie des citoyens ordinaires dans ce qui était la patrie du socialisme, ce n’est pas le seul livre qui porte un regard lucide sur la vie aux Etats-Unis. Mais ce qui fait son originalité et son principal attrait c’est le ton, toujours drôle souvent grinçant avec lequel est restituée cette tranche de vie. La satire des deux grandes puissances est impitoyable.Comme la crème Chantilly, ce livre est à la fois léger et nourrissant. À déguster sans plus tarder.
Bye Bye Leningrad
Ludmila Shtern
Editions Intervalles
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