Elle a également créé en 2006 avec Denis Bajram, son époux, les Editions Quadrant Solaire et en a été la directrice de collection jusqu’en 2008. Elle travaille aujourd’hui sur un triptyque édité chez Aire Libre, intitulé Abymes, qui joue sur le procédé de la mise en abyme en liant trois destins: celui de Balzac, de Clouzot et de Valérie Mangin elle-même. Une série enthousiasmante autant pour sa forme que pour son fond !
Quel a été la genèse de ce triptyque?
L’idée d’Abymes est née un matin dans un festival BD, il y a quelques années. Je regardais la télévision pendant que Denis (Bajram, mon mari et auteur d’UW1) occupait la salle de bain. Les acteurs du film étaient si mauvais que j’avais l’impression que les personnages connaissaient le scénario à l’avance. Ça m’a donné envie d’écrire une BD dont les héros connaîtraient vraiment le scénario. J’en ai parlé à Denis. Il a enchaîné et tout est parti de là.
Pourquoi avoir choisi que chaque tome soit imaginé par un dessinateur différent? Il semble en effet que l’on retrouve de nombreux points communs graphiques…c’était une sorte d’exercice de style?
Oui, mais pas seulement. Je voulais vraiment des graphismes qui collent aux récits.Le dessin semi-réaliste de Griffo rend bien la truculence de Balzac et du début du XIXè siècle. Pour Clouzot, je voulais un graphisme plus sombre et plus sobre à la fois. L’après seconde guerre mondiale est une période difficile et Clouzot un personnage vraiment dramatique. Loïc Malnati a réussi à rendre les aspects les plus noirs des deux.Quant au choix de Denis Bajram pour le tome 3, ce n’en était pas vraiment un : pour que la mise en abyme soit totale, il fallait que les auteurs et les personnages du dernier tome coïncident.
Henri-Georges Clouzot, Honoré de Balzac : pourquoi les avoir rapprochés au départ?
Je voulais mettre en scène un romancier et un cinéaste avant un auteur de BD. Évidemment, il fallait qu’ils aient de fortes personnalités qui se prêtent au genre de récits que je voulais faire.
Le choix de Balzac a été très rapide. C’est un de mes écrivains préférés et je savais qu’il avait habité Bayeux comme Denis et moi, ce qui fournissait d’emblée un point d’accroche entre les albums. Clouzot n’a été choisi que beaucoup plus tard. J’ai longtemps hésité entre plusieurs réalisateurs. Mais José-Louis Bocquet, le directeur éditorial d’Aire Libre, m’a raconté qu’il était son filleul. Il avait même écrit un livre sur lui. C’était un signe. Quand j’ai su que Clouzot avait tourné près de chez nous, sur les plages normandes, j’ai compris que j’avais vraiment fait le bon choix.
Deux figures qui vous fascinent particulièrement, on suppose; quelle(s) oeuvre(s), en particulier, citeriez-vous de l’un et de l’autre?
C’est toujours difficile de choisir parmi des œuvres aussi intenses. Pour Balzac, je dirais la Peau de Chagrin car c’est un roman fantastique, mon genre de prédilection. Pour Clouzot, je choisirais le Corbeau pour son atmosphère incroyablement déstabilisante et sa virtuosité visuelle.
Il semble que la part de fantaisie biographique ait augmenté dans le second volume, on se trompe?
En fait, dans les deux cas, le contexte historique ainsi que les caractères des personnages sont directement inspirés de la réalité. Mais les récits eux-mêmes sont totalement inventés bien sûr. Ni Balzac ni Clouzot n’ont eu de destin aussi tragique.
Le procédé de la mise en abyme : une technique qui a du vous demander de nombreuses heures de réflexion pour l’élaboration de vos scénarii :le choix de ce procédé a précédé celui des « héros » de chaque volume?
Effectivement, le concept est venu avant le choix des héros.
Dans quelle mesure chacun des scénariiis s’inspirent -t-il de l’univers littéraire ou cinématographique de Balzac ou de Clouzot? Avez-vous travaillé en ce sens, c’est à dire presque écrit comme Balzac puis « filmé » comme Clouzot? Ou est-ce, dans les deux cas, du « Valérie Mangin »?
Disons que c’est du Valérie Mangin faisant du Balzac puis du Clouzot. On ne peut pas disparaître complètement derrière un autre auteur. Mais j’ai essayé de respecter l’esprit dans lequel ils travaillaient tous les deux. J’ai voulu leur donner des destinées dignes de celles de leurs personnages.
Une anecdote vraie sur Balzac que vous avez mise en place?
Il s’appelait bien Honoré « Balzac » et non « de Balzac ». Il a ajouté la particule après la mort de son père. C’est bien un faux noble.
Et une sur Clouzot?
Clouzot n’hésitait pas à malmener ses comédiens pour qu’ils satisfassent ses exigences de metteur en scène. Ainsi, Suzy Delair, actrice et compagne du réalisateur, raconte qu’il n’a pas hésité à la gifler sur le tournage de L’Assassin habite au 21, pour qu’elle pleure vraiment devant les caméras.
On suppose donc que dans le dernier volume vont vous arriver des mésaventures dignes d’un thriller fantastique… Allez-vous y manipuler tout votre entourage et la rédaction de Dupuis afin d’arriver à vos fins….un prix à Angoulême?
Est-ce qu’avoir un prix à Angoulême relève du thriller fantastique ? c’est une idée amusante. En tout cas, ce n’est pas mon objectif dans l’album, même si ce serait très flatteur dans la réalité, évidemment. Mais vous verrez, Denis (co-scénariste et dessinateur de l’album) et moi sommes allés vraiment beaucoup plus loin.
Abymes
Editions: Aire Libre
Scénarii: Valérie Mangin
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