Une heure de tranquillité : Fabrice Luchini ne parvient pas à trouver l’octave de la vraie farce
Par Florence Gopikian Yeremian – bscnews.fr / Lorsque Fabrice Luchini monte sur les planches, la foule se presse, s’engouffre et se bouscule dans les théâtres! Quelle que soit l’œuvre, les fidèles sont là, en pamoison latente avant même le lever du rideau. Pour la nouvelle pièce de Florian Zeller, les places s’arrachent à la volée depuis l’ouverture des réservations et chaque soir le théâtre Antoine fait bien évidemment salle comble. En accord avec l’arrivée de la saison nouvelle, Fabrice Luchini expérimente un répertoire plus printanier que de coutume : à mille lieues de ses monologues proustiens ou de ses splendides hommages à Céline, il se lance dans le vaudeville. Lunettes sur le nez et gilet de laine mal boutonné, il interprète Michel, tout simplement.
Michel est un petit bourgeois, engoncé dans un quotidien morne et insipide qu’il tente d’édulcorer par de menus plaisirs, en butinant notamment la meilleure amie de sa femme. Par le biais de ses ruses mesquines et de ses petits caprices, il incarne majestueusement la figure contemporaine de l’égoïste. Trépignant dans son appartement en travaux, rechignant contre toutes concessions familiales, il n’aspire qu’à être seul pour écouter le disque de jazz qu’il vient de dénicher aux Puces: « Me, myself and I », un pur concentré de narcissisme en un seul titre ! Tout s’abat cependant contre ce moment de tranquillité qu’il convoite tant: sa femme dépressive souhaite lui avouer son propre adultère, le plombier sans papiers déclenche une inondation, son fils gothique vient lui rendre visite et son voisin polonais (excellent et subtil Grégoire Bonnet) s’installe sur son canapé pour lui faire la conversation. Michel râle, peste et vocifère. Il alterne le désespoir et la mauvaise foi, le sourire hypocrite et la fausse affliction : tout est bon pour chasser ces parasites qui ne veulent pas décamper de son salon ! Malgré cette débauche de gesticulations et de grimaces, Luchini ne convainc pas. Il occupe la scène en majesté mais ne porte pas son texte comme il en a l’usage. Entouré de sa troupe de comédiens bourdonnants, il se force à faire rire et ne parvient pas à trouver l’octave de la vraie farce : il ne déclame pas, il rouspète. Il ne vit pas son rôle, il le feint. Son personnage accumule mécaniquement les gros mots et nous submerge de tirades si précipitées qu’elles lui retirent le charme de son élocution habituellement si succulente. La pièce mériterait quelques respirations afin que les spectateurs puissent d’avantage prendre le temps de l’apprécier et ne pas la ressentir comme une agression théâtrale où les acteurs eux-mêmes aspirent à plus de liberté scénique ! Le rythme du vaudeville est bien présent mais les rebondissements manquent de mordant. La verve humoristique transparait également mais les répliques n’ont pas assez de saveur. Bien que la pièce soit courte, elle s’étire, hélas, en longueur. Elle n’est rattrapée que par la sympathie que le public témoigne à Luchini : on rit par politesse ou parce qu’on adule le comédien mais en réalité, on reste sur sa faim. A quand un brillant monologue où la verve luchinienne, réactionnaire et libertaire, pourra de nouveau nous enivrer ?
Une heure de tranquillité
De Florian Zeller
Mise en scène : Ladislas Chollat
Avec : Christiane Millet, Hélène Medigue, Grégoire Bonnet, Joël Demarty, Xavier Aubert, Ivan Cori et Fabrice Luchini
Théâtre Antoine
14, boulevard de Strasbourg
Théâtre Antoine14, boulevard de Strasbourg Paris 10e
Résa: 01 42 08 77 71