De retour en France ensuite, elle a fait des chroniques théâtre et des reportages dans « Carnet Nomade »pour France Culture, est devenue dramaturge pour quelques festivals de théâtre puis productrice de documentaires de création à France-Culture encore. Son premier scénario, Drôles de femmes, dessiné par Catherine Meurisse, raconte ses aventures au pays de femmes célèbres de caractère comme Amélie Nothomb, Anémone ou encore Yolande Moreau. Actuellement c’est en compagnie de Clément Oubrerie qu’elle raconte en vignettes la jeunesse haute en couleurs du peintre Pablo Picasso. Une petite merveille à laquelle l’on a immédiatement succombé et dont on vous propose de rencontrer la plume sensible et brillante ….qui nous offre une parenthèse à Paname, au début du vingtième siècle, tout à fait grisante!
Quelle a été la genèse de ce projet éditorial?
L’idée de départ était de retrouver le Montmartre des années 1900. C’est mon quartier. J’y suis née, je l’ai vu changer, d’aucuns diraient perdre son âme.
Hé bien non, puisque des fantômes y planent aux heures bleues de l’aube, aux heures désertées par la neige ou les tempêtes. Parmi ces fantômes, j’ai rencontré celui de Fernande Olivier, nom qui sonne assez familier accolé à celui de Picasso, mais flou. Passant chaque matin devant la place du Bateau-Lavoir, j’ai voulu un jour en savoir plus, et j’ai dégotté les « Mémoires intimes » de cette femme. J’ai tout de suite été séduite par sa voix, celle qu’on percevait entre les lignes. Elle était authentique, fine, farfelue… Et soudain j’ai pressenti qu’elle avait dû jouer un rôle crucial dans la transformation de la peinture de son amant, le jeune Pablo Picasso fraîchement débarqué de Barcelone.
C’est alors que j’ai commencé mon enquête. Et j’ai plongé dans cette époque où Montmartre était encore agricole, peuplé de vaches, de maréchaux-ferrants, sur le versant nord, c’était une friche appelée le maquis… c’était une sorte de république libre aux portes de la ville où s’abritaient aussi une colonie de poètes et d’artistes métèques, parmi eux, la colonie espagnole avec en son centre, Picasso, le prodigieux.
Quels sont les règles pour éviter qu’une leçon d’histoire de l’art devienne ennuyeuse? Quels ont été les écueils que vous avez voulu éviter?
Ma narratrice est une femme. Une femme que tous ont aimé, qui a séduit les poètes et les grands peintres en devenir de l’époque. Il fallait réussir à montrer ce qui la rendait désirable, et ce n’était uniquement plastique — Fernande n’est pas une beauté classique. Et puis, avec Picasso, quand on est proche des sources, difficile d’être ennuyeux. Ce n’est que passion, rage de peindre et enthousiasmes poétiques, le tout cerné d’amis excentriques, profonds et subversifs.
On peut lire sur la quatrième de couverture du tome 2 » Qu’on se le dise, tout est vrai dans cette histoire! ». A partir de quels documents avez-vous travaillé pour sélectionner toutes ces anecdotes colorées et romanesques?
Mes documents sont nombreux. J’ai vite lu les biographies classiques, mais ceux que j’ai retenus, ce sont les témoignages, les poèmes de Max Jacob et d’Apollinaire, et puis les livres éclairants d’une autre compagne de Picasso, Françoise Gilot, qui disent beaucoup sur la façon étrange qu’avait le peintre d’aimer les femmes.
Combien de tomes sont prévus pour raconter la vie passionnante de cet artiste? Et peut-on connaître leur nom? Sont-ce les rencontres amicales ou amoureuses, selon vous, qui ont fait évoluer l’art de Picasso?
La série comptera 4 tomes. Picasso était une éponge, et il a eu la chance de rencontrer à cette époque des personnalités exceptionnelles qui l’ont nourri. Max Jacob (tome 1) l’a nourri au sens premier du terme, puisque le poète a travaillé pour entretenir son ami plongé dans sa Période Bleue dont aucun marchand ne voulait. Apollinaire (tome 2), ensuite, qui est son alter ego de la Période Rose, alors que tous deux sont des mal-aimés qui rêvent de gloire et de conquérir la femme désirée.Gertrude Stein est la troisième rencontre décisive de Picasso. En faisant son portrait, qui va lui valoir de sacrées suées, Picasso pose les bases de sa modernité. Elle apparait déjà dans le tome 2, Apollinaire. Après avoir réussi à peindre son portrait, Picasso est de taille à rencontrer son seul grand rival, Henri Matisse. Leur rencontre a lieu dans le Pablo tome 3 à paraître le 26 avril. Elle augure entre les deux artistes surnommés parfois Pôle Nord et Pôle Sud une rivalité acharnée qui est autant une émulation qu’une compétition…Le quatrième tome clôturera la période Montmartroise de Picasso. Ce sera l’invention du cubisme, le triomphe inespéré de Picasso qui, de réprouvé, deviendra une star, et… la fin de son histoire d’amour avec Fernande. Elle était une aube nouvelle apparue dans la peinture en 1905, elle deviendra un visage décomposé en formes géométriques, pas mieux traité qu’un compotier. Triste ? Sans doute un peu, mais aussi formidable accumulateur d’énergie, et clownesque toujours, comme l’est l’étrange et inclassable banquet donné par Picasso chez lui en l’honneur du Douanier Rousseau.
Enfin, si vous deviez citer une anecdote liée à Picasso qui met en exergue l’idée que vous vous faîtes du personnage, laquelle serait-ce?
Picasso est changeant. Je l’aime mal-aimé, totalement hypnotisé par le clown Grock qui est en 1905 son modèle absolu : apparemment maladroit, en vérité un prodige d’adresse, champion de boxe, toréador occasionnel adulé et tombeur de ces dames.
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