Jul : le crayon trublion de la Grande Librairie

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Par Julie Cadilhac –bscnews.fr/ Vous aimez vous abandonner avec délectation au creux des pages accueillantes d’auteurs narcissiques, égocentriques, allumés, décalés, inspirés, fantaisistes, polémiques, rêveurs…? L’odeur du livre tout juste imprimé, le bruit des pages tournées, le contact des nervures d’un dos, la vue d’un titre enlevé exalte votre enthousiasme?

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Pas de doute que vous laissez vadrouiller un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, vos oreilles du côté de La grande Librairie sur France 5 le jeudi ou le dimanche! Y sévit un crayon-trublion qui se complaît à croquer avec malice et intelligence l’actualité littéraire , complice de François Busnel, grand Manitou de la Question. Jul commente par ses dessins les causeries plus ou moins de haute volée, les convergences et divergences d’opinions esthétiques, les explications pratiques et théoriques à propos du doux ( dur?) métier d’auteur. Jul est un croqueur d’instants génial ; Au coeur même de l’Ordre des Plumes émérites et des Chéri(e)s des Muses, là où tout se veut ordre et beauté, Jul distille un parfum de rébellion graphique, sème la dérision, désacralise pour mieux vanter…ben oui, tiens! et si le rire sauvait la littérature? Vous ne l’avez pas croisé à Angoulême? Grossière erreur de goût cher lecteur! Hic et nunc, l’occasion de réparer votre cruel manque d’orientation festivalesque ( quoi? qu’est-ce qu’il a mon néologisme?) , de vous laisser littéralement séduire par l’humour et la pertinence de l’auteur de La planète des sages, Silex and the City ou encore Le président de vos rêves et de vous précipiter dans les bras de la première librairie venue pour vous compromettre délicieusement avec Sa Grande Librairie!

Si vous pouviez concevoir l’émission idéale en outrepassant les contraintes temporelles et spatiales (ouvrons les tombes et les frontières si nécessaires!), quels invités rêveriez-vous ou auriez-vous rêvé de croquer à la Grande Librairie et…. à propos de quels ouvrages?
Mon point de vue de dessinateur n’est pas le même que mon point de vue de lecteur… Mes « cibles » préférées sont les écrivains célèbres, médiocres et vaniteux… Mais il est vrai que pouvoir rencontrer des génies admirables serait aussi une chance : il faudrait panacher… Alors mettons (il en faut 4 par émission ) : Hitler pour « Mein Kampf », Mao pour « Le Petit Livre Rouge »… et Nicolas Bouvier (excellent iconographe en plus d’être un génie poétique), et Arthur Rimbaud qui foutrait le bordel sur le plateau !

Ecrire et être orateur, deux capacités qui ne vont pas toujours de pair, si? Quels auteurs vont ont surpris en ce sens?
C’est vrai que Modiano est la parfaite illustration de l’autisme médiatique et de la grandeur littéraire ! D’autres sont très mineurs voire ringards, mais excellents causeurs (les académiciens genre d’Ormesson ou de Obaldia par exemple…)… Alors les oiseaux rares ? James Ellroy, Umberto Eco, par exemple, ont été magnifiques…

François Busnuel explique dans la préface que votre présence au sein de l’émission allait dans le sens de « dissoudre l’esprit de sérieux »? Une sacrée responsabilité, non?! Quelle est votre recette?
Je travaille toujours dans un esprit satirique, dans la presse et en bande-dessinée : je n’ai aucun mal à transposer cette disposition naturelle à la critique et à l’humour en direct à la télévision. Et c’est vrai que cela fait tache bien souvent, dans le monde compassé et révérencieux des Lettres françaises. Mais quel plaisir de transgresser les convenances et de dégonfler les vanités, en étant payé pour ça et en plus en entendant rire les spectateurs (subtil et exquis plaisir narcissique pour le dessinateur !)

Dessiner à La Grande Librairie, c’est une façon de contribuer à la résistance de l’objet-livre? Êtes-vous soucieux en ce sens?librairie1Tiens, je n’y ai jamais pensé… En fait, non : publier un recueil de ces dessins, oui, ça c’est faire vivre le livre, les libraires, etc. En revanche, la télé reste un concurrent féroce au livre, même une émission littéraire : dans le tourbillon des existences modernes et chronométrées pour le travail et l’aliénation de la consommation, c’est toujours une heure de moins pour la lecture !

On a souvent l’impression que la littérature appartient à un cénacle parisien assez fermé, une idée qui semble ne pas avoir lieu d’être en bd….votre collaboration avec François Busnuel est-elle une façon de combattre cet élitisme littéraire?
J’ai eu une formation ultra élitiste, ultra intello, ultra parisienne : le microcosme littéraire ne m’a donc jamais fait rêver, et je suis aux premières loges pour le tourner en dérision… Le pendant de cela, c’est que je n’ai jamais diabolisé ce milieu, j’ai toujours savouré ses bons côtés et ri de ses travers, sans en faire tout une affaire. Mais c’est vrai que j’aime exister à la marge : intello de service dans la bd, dynamiteur dans le monde des Lettres. Le luxe, c’est ça : être dedans ET dehors, et n’avoir à craindre personne dans le maillage du pouvoir et de l’influence. La bande-dessinée se prend certainement moins au sérieux, et c’est plutôt agréable… mais il y a aussi le monde du dessin de presse, de l’animation : chaque milieu et chaque profession a ses codes et ses coquetteries, de toute façon.

Et pour quel bilan: arrivez-vous à attirer un public plus varié?
Je ne crois pas que mes dessins à La Grande Librairie attirent particulièrement le public de la bande-dessinée vers ce genre d’émission. En réalité, mes lecteurs sont plutôt des littéraires qui n’ouvrent pas trop de bd. En revanche, les spectateurs ne sont pas habitués à l’irrévérence envers les romanciers : je pense qu’il y a une jubilation particulière à voir profaner certains monuments un peu trop pompeux…

Vos dessins sont truffés de références littéraires classiques…Jul, un grand lecteur dès l’enfance?
A vrai dire, je n’ai jamais hiérarchisé mes lectures : j’ai lu très très (voire trop trop) tôt des classiques, en même temps que Gotlib, Franquin, Edika… J’ai souvent du mal à accréditer la distinction entre grande culture et culture populaire : vivre dans son époque, c’est mélanger l’héritage du passé et l’écume du présent, non ? Alors, oui, je suis un fervent lecteur, plutôt d’auteurs morts finalement (ils sont plus nombreux), et étrangers (ils sont plus étranges)… Et la notion de « référence » est fondamentale dans mon travail : l’humour de mes albums et de mes dessins repose souvent sur des décalages, des collisions, où tout ce qui constitue le réel a sa place. Flaubert, Michel Berger, Brice Hortefeux, Voltaire, Zadig et Voltaire, c’est ça la vie !

Si vous deviez citer une émission qui vous laissera un souvenir indélébile ( agréable ou désagréable), laquelle serait-ce et pourquoi ?
Je me suis tellement marré pendant l’émission où Brigitte Fontaine qui présentait un recueil de ses textes illustrés par Sempé est sortie des rails et s’est mise à arpenter en maugréant le plateau en tous sens parce qu’elle ne pouvait pas fumer et qu’elle craquait, tandis que François Busnel essayait tant bien que mal de gérer le chaos… Et puis les émission où Roberto Saviano arrivait avec huit gardes du corps, à cause des contrats mafieux sur sa tête, et qu’il plongeait son regard noir dans les yeux de Busnel. J’en ai encore des frissons.

Lors de ces émissions en direct, le stress est intense, j’imagine, puisque vous devez assurer un certain nombre de dessins quoi qu’il arrive…pour éviter la panne d’inspiration, vous vous préparez des dessins sous le coude? Vous est-il arrivé en 4 ans d’être « sec », « sans inspiration »?
C’est une crainte que j’ai à chaque fois, mais comme par miracle, le déclic finit toujours par avoir lieu… Ayant reçu les livres, ayant révisé l’itinéraire des invités, je suis assez préparé, et j’ai parfois des idées de gags en tête avant de démarrer…

C’est dans les bons pots qu’on fait les meilleures confitures, dit-on…est-ce avec les meilleurs livres que vous avez conçu les « meilleurs » dessins selon vous?
Les Classiques sont suffisamment riches pour être un inépuisable réservoir de dessins… mais les gros navets aussi ! En réalité, ça dépend beaucoup de ma forme du moment.

Une grande librairie avec des scénaristes et des dessinateurs consacrée à 9ème Art aurait-elle son public? Vous enthousiasmerait j’imagine?
Pas mal de dessinateurs sont déjà venus à la Grande Librairie : Moebius, Sfar, Bilal, Blain, Sempé, Tardi… Je n’aimerais pas cloisonner les genres : au contraire, voir assis côte à côte un romancier, un dessinateur et un historien, là ça devient intéressant.

L’humour et la littérature font-ils toujours bon ménage? Certains auteurs se sont-ils offusqués de vos dessins? Il semble en effet que si l’auteur de bds pratique beaucoup l’autodérision, l’auteur de romans pratique l’autosatisfaction ( sans faire de généralités).
Mis à part Alaa el Aswany, sans doute pour une question de traduction mal comprise, personne n’a jamais fait d’esclandre, mais c’est vrai que j’ai vu quelques sommités avaler des couleuvres grosses comme un Goncourt en s’efforçant de trouver un dessin drôle…

Quand on regarde vos dessins, une évidence s’impose comme un postulat inaltérable : pour comprendre vos clins d’oeil, il faut avoir en commun des trésors de références littéraires…Sans culture, on est isolé, on ne peut pas partager rire…malgré vous, vous évincez un peu ceux qui ne lisent pas..pourriez-vous imaginer de concevoir un ouvrage qui viendrait repêcher les nuls en lecture?
Lorsque j’ai publié La Planète des Sages, Encyclopédie mondiale des philosophes et des philosophies, j’avais en tête l’idée de transmettre énormément de savoir autour de la philo, sans jamais exclure de lecteurs, même lorsqu’il n’avait aucune référence en la matière… Ici, c’est différent : l’auteur est présent, on parle d’une oeuvre en particulier… Mais pourtant j’ai sélectionné dans ce recueil les dessins qui pouvaient généralement être compris par tous ou presque. C’est vrai que ma mère est un peu passée à côté des blagues sur « Hello Kitty » !

Quelles actualités pour Jul cette année 2013? Dans quelles émissions retrouvera-t-on vos dessins ? des parutions en projet? des dédicaces?
Je suis maintenant à la tête d’un projet pharaonique, mené dans la plus pure tradition dictatoriale : la deuxième saison de mon dessin animé « Silex and the City » pour ARTE. La diffusion est attendue pour septembre 2013, et j’espère pouvoir achever le tome 4 des aventures des Dotcom pour arriver en librairie au même moment… Sauf si le calendrier maya s’est trompé de 6 mois au sujet de la fin du monde…

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Libraires, indignez-vous!

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