Félix Ziem, alchimiste de la lumière
Par Florence Gopikian Yérémian –bscnews.fr/ Le Petit Palais a eu l’heureuse initiative de sortir de ses réserves les peintures et les aquarelles de Félix Ziem. Ces œuvres méconnues du grand public sont entrées au musée des Beaux-arts de Paris en 1905 et n’ont, hélas, jamais fait l’objet d’une véritable rétrospective. Voici donc l’occasion de découvrir le talent d’un artiste prolixe injustement enseveli par la foule poussiéreuse des peintres réalistes du XIXe siècle.
Félix Ziem ? Ziem ? Mais qui est-il ? Ne vous étonnez pas si ce nom ne vous dit rien, peu de gens le connaissent hormis les historiens d’art.Faisons rapidement les présentations et laissons ensuite parler ses œuvres : Félix Ziem est un artiste d’origine arméno-polonaise, né en 1821 aux alentours de Beaune. Ami des peintres de Barbizon, grand voyageur, amoureux de l’Orient et passionné par la lumière, il a réalisé des centaines de toiles et d’aquarelles au style inclassable. La meilleure façon de le découvrir est de se confronter à ses créations dans un authentique face à face : multiple et inégale, sa production est apte à séduire un éventail de visiteurs aux goûts les plus éclectiques. Fusain, lavis de sépia, huile, encre de chine… Félix Ziem a exploré toutes les techniques possibles au gré de ses gouts et de ses humeurs.
L’exposition du Petit Palais s’ouvre dans un chatoiement de couleurs avec une représentation de la Place Saint Marc sous les eaux : faste des architectures, miroitement de la lagune, immensité des cieux… Le ton est donné à l’ostentation et au décorum pompeux et pourtant la technique de Ziem est si juste, si vive qu’on ne peut qu’être séduit par la singularité qui s’en dégage. On embarque donc sur une noble gondole, au fil des salles pour parcourir une succession de paysages imaginés ou peints sur le vif au cours des innombrables voyages de ce fabuleux coloriste. Commençons par ses carnets de croquis qui sont tout simplement « à croquer » : outre son amour de la nature et des perspectives, l’on y sent le gout du détail pour les mâtures des bateaux, le travail des lavis qui engendre les ombres ou la maitrise de l’encre diluée qui donne un souffle à chacune des pages. On songe à Francesco Guardi ou à Canaletto à travers la perfection de ses architectures tout en pensant à Delacroix pour la liberté de sa touche et l’amour qu’il porte aux mystères de l’Orient. Indifférent à la vague réaliste qui a submergé le XIXe siècle, Félix Ziem a toujours été en quête d’une nature idéale, un brin chimérique. Italie, Russie, Ecosse, Liban, Grèce, ses incroyables pérégrinations sont prétextes à tous les genres : paysages, autoportraits, copies…D’une salle à l’autre, il vous invite à faire escale au bazar de Constantinople, à admirer les coupoles rayonnantes de Tobolsk en Sibérie ou à rêvasser devant un vibrant coucher de soleil en Camargue. Prenez aussi le temps de sillonner Barbizon où Ziem a séjourné avec ses amis et façonné de subtils petits paysages sur des panneaux de bois à peine dégrossis : parmi les forêts et les étangs, vous y apercevrez une vieille chaumière isolée et vous sentirez vibrer l’eau d’un torrent emportant l’âme des dernières feuilles d’automne.
Chaque œuvre présentée dans cette rétrospective est à regarder de très près afin d’y puiser tout l’art de Ziem : son pinceau vif mais assuré, sa main insistante au point de laisser sur la toile la marque de la brosse ou des amas de peinture en relief, sans parler de sa touche preste à la limite de l’impressionnisme (Attardez-vous donc sur les voiles incandescentes de ses bateaux ou sur son envol de flamants roses : vous aurez l’impression de voir des plumes s’échapper du tableau !). Ziem conçoit son répertoire avec une grande liberté et selon ses intuitions ; le choix même de ses supports n’est pas innocent : il aime peindre sur bois brut ou sur papier marouflé afin de donner une dimension supplémentaire aux éléments qui l’entourent. Il en va ainsi de ses grands panneaux conçus dans la lumière du Midi ou de son soleil couchant sur le port de Marseille duquel émane une bénéfique torpeur méditerranéenne. En contemplant longuement ces cieux crépusculaires oranges et pourpres vous serez surpris d’y percevoir une brume atmosphérique propre à l’abstraction des tableaux de William Turner ! Seule ombre au tableau ? Ses représentations animalières et ses natures mortes : Ziem n’apprécie pas le confinement d’un atelier et cela se ressent ! Son homard tire au cramoisi, ses potirons sont sans consistance et ses pivoines n’ont aucun attrait. Nul besoin d’explication pour deviner que l’artiste nomade n’adhère pas aux mondanités parisiennes de la Belle Epoque et qu’il n’aspire qu’au grand air et aux émanations salines. Preuve en est : cette promenade picturale du Petit Palais qui s’achève déjà à bord du caïque de la Sultane à Constantinople. Un spectacle panoramique issu des Mille et unes nuits et concentrant à lui seul une palette de couleurs rougeoyantes, d’empâtements, de taches solaires et de modernité. Félix Ziem ? Un artiste inclassable à découvrir sans tarder !
Félix Ziem : J’ai rêvé le beau
Peintures et aquarelles
Petit Palais – Av. Winston Churchill
Paris 8e
Du mardi au dimanche de 10h à 18h
Jusqu’au 4 août 2013
A découvrir aussi:
Eloge du marbre à la chapelle de l’Hôtel Biron
Cadavre Exquis : les mystères de la Méditerranée
Les Arcanes d’Andreas, J-C Denis, Uderzo in extenso et Cie
Pierre Soulages : le XXI siècle à Lyon
La bohème ou la philosophie de vie de cette « tribu prophétique aux prunelles ardentes »