Un métier riche de sens dans la narration. Il part sur les traces du psychanalyste qui aurait été à l’origine du suicide de sa sœur, il y a vingt ans. Dans les méandres d’une ville tourmentée, géante, fascinante, à la fois dangereuse et sensuelle, la découverte de la vérité va lui permettre de mettre à jour des liens familiaux secrets, de retrouver la sérénité. Un roman subtil et envoûtant porté par un style puissant, sensible. Il y a chez ce jeune auteur de talent une maturité, une humanité, un sens de la fiction étonnants. Pierre Stasse ira loin.
Comment est née l’idée de ce roman ?
Pierre Stasse : Depuis mon premier roman, je me suis intéressé aux rapports conscients ou inconscients qu’entretiennent mes personnages vis-à-vis de leur passé. Par hasard, j’ai rencontré quelqu’un dont le métier est de retoucher des photographies pour des marques commerciales : la nuit qui a suivi notre rencontre, j’ai imaginé les possibilités vertigineuses que pourraient offrir les retouches photographiques dans les domaines familial ou judiciaire. La base de La nuit pacifique était née: l’application d’un pouvoir technologique aujourd’hui hyper répandu (la retouche photo) à la complexité des liens familiaux et aux secrets qu’ils engendrent. A partir de là, j’ai pu construire ma narration.
Avez-vous vécu et travaillé à Bangkok ? Dans quelles circonstances ?
Je vivais à Bangkok en 2011, où je travaillais comme journaliste. Cette expérience fabuleuse m’a permis de suivre dans « La nuit pacifique » une approche intime de la ville, une approche sensible. J’ai vécu cette ville, ses odeurs, ses bruits, ses couleurs, ses entrelacements infinis de ruelles et de gigantesques boulevards, son anarchie, son charme, son gigantisme effrayant, son magnifique pouvoir de vie. En tant que journaliste, j’ai pu connaître beaucoup plus rapidement le pays, me renseigner, rencontrer des gens, en interviewer. Je n’étais pas un touriste à Bangkok.
Que représente pour vous Bangkok ? Avez-vous voulu établir un parallèle entre cette ville « de l’image » et l’état intérieur du narrateur ?
Bangkok constitue un point de tension extrême entre le dynamisme ultra-moderne d’une cité – univers et la résistance d’une sérénité quasi-rurale : quiconque s’est laissé happer par Bangkok a connu cette tension, ce tiraillement vital que, personnellement, je n’ai jamais rencontré ailleurs. Je ne pense pas avoir établi un parallèle car je me méfie en littérature des structures trop rigides, trop visibles, les gros fils narratifs qui essayent de manipuler le lecteur. En revanche, il y a des résonnances entre l’environnement de « la nuit pacifique » (la Thaïlande, et Bangkok en particulier) et les personnages du roman. Les doutes de mes personnages sont en partie ceux du pays, le déni dans lequel ils sombrent parfois trouve un écho dans les silences d’une Thaïlande qui se cherche encore, une Thaïlande intranquille dont l’incroyable douceur côtoie la violence. Ce sont de ces résonnances que nait la question de l’image : individuelle ou collective, jusqu’où peut-on manipuler l’histoire, jusqu’où altérer les images sans aboutir à des êtres déchirés ?
Après « Hôtel Argentina », vous considérez-vous comme un écrivain voyageur ?
Je ne nie pas que le voyage est une drogue dure ! C’est dans mon sang et j’en tire un plaisir inégalable. Je ne sais pas si je suis un écrivain voyageur, mais j’aime le recul que procure le voyage, j’aime cette sensation d’éloignement qu’il fait éclore et les face-à-face qu’il me permet avec la littérature, plus facilement que si je restais ancré dans mon quotidien.
Avez-vous excercé le même travail que votre narrateur, Hadrien Verneuil ? Dans « La nuit pacifique », le choix de ce métier de retoucheur photographique n’est pas anodin : il se révèle essentiel. Pourriez-vous en donner la signification ?
Je n’ai jamais exercé le métier de mon narrateur. Hadrien Verneuil, qui vit et travaille depuis cinq ans à Bangkok, dirige une société de retouches photographiques. Ses clients, des sociétés commerciales, lui demandent ainsi d’intervenir sur le travail de photographes pour remodeler les photographies afin d’en optimiser le potentiel commercial, qu’il s’agisse d’une compagnie aérienne ou d’une marque de shampoing. La particularité du métier d’Hadrien Verneuil tient aux dossiers « spéciaux » qu’il traite : lorsqu’on lui demande de modifier une scène de crime ou de saisie narcotique. Son métier va le confronter à la question de ce qui, dans la réalité présente ou passée, est modifiable.
La recherche de vérité d’Hadrien Verneuil, son désir de venger sa sœur disparue il y a vingt ans se transforme peu à peu en un échange édifiant avec le docteur Malle ; les résistances tombent. Quel sens donnez-vous à cette quête ?
La sœur d’Hadrien Verneuil est morte vingt ans auparavant et il décide de consulter un psychanalyste. A mon sens, on aperçoit dans leurs entretiens la violence d’un amour fraternel englouti et leurs discussions, je l’espère, inviteront le lecteur à s’interroger sur la place du déni dans les constructions personnelles.
Est-elle en partie autobiographique ? Par quoi vous a-t-elle été inspirée ?
Ce roman n’a absolument rien d’autobiographique. Je me suis aidé de mes souvenirs pour décrire certains lieux, mais la part autobiographique s’arrête là. Je propose une fiction pure, assez classique finalement dans son procédé, et qui permet je l’espère au lecteur de se laisser porter par l’histoire, de plonger dans l’aventure sans avoir à se demander quel a été mon rôle.
Pour ce qui est de l’inspiration, j’adorerais pouvoir vous répondre, mais il s’agit de centaines de pages de notes prises ça et là, des bouts de rêves, des cauchemars, des idées qui n’avaient rien à voir et qui sont venues déranger le fil de ma narration, etc…J’essaye de me laisser guider le plus possible par l’écriture au moment de la rédaction et de ne pas m’attacher au préconçu, à l’image que j’avais de mon roman avant de le débuter.
Sans dévoiler la fin de votre roman, la découverte de la vérité conduit à la sérénité. En ce sens, estimez-vous que le roman par ses masques, sa liberté, ses qualités artistiques, a une valeur thérapeutique ?
Je crois que la bonne littérature doit nous rendre plus humains, nous faire apercevoir, y compris dans les zones les plus sombres, la part universelle dissimulée dans les trajectoires individuelles. Peut-être peut-on appeler ça une valeur thérapeutique ?
Comment écrivez-vous ? Prenez-vous des notes ? Vous corrigez-vous beaucoup ?
J’écris tout à la main, sur différents carnets, post-it, pages volantes, tout ce qui traîne. Je prends des notes, je gribouille, je prends des photos, je trace des schémas, je me lève au beau milieu de la nuit en croyant tenir une idée géniale puis me rend compte au petit matin qu’elle n’a aucun intérêt, je lis énormément, je prends à nouveau des notes sur les livres qui m’intéressent, et lorsque je me suis suffisamment laissé baigné dans cette masse informe, je me lance. J’essaye de faire un premier jet rapide (pour « La nuit pacifique », le premier jet a duré un peu plus de dix mois), puis je le tape à l’ordinateur, et là je commence les corrections. Je suis assez exigeant, donc, pour vous donner une idée, il y a eu treize versions du manuscrit et, je crois, cinq jeux d’épreuves.
Quels sont les écrivains que vous admirez, qu’ils soient morts ou vivants ? La liste serait trop longue ! Mais on pourrait commencer, pour le simple plaisir de nommer des gens infiniment talentueux, par Char, Camus, Coetzee, Garcia Marquez, Vargas Llosa ou encore Robert Mc Liam Wilson ! Mais je ne suis pas inconditionnel d’une œuvre entière, je me laisse éblouir, au gré des mes lectures.
Vous consacrez-vous à l’écriture ou exercez-vous un autre métier ?
Je me consacre à l’écriture et suis également admis au barreau de Paris. Pour l’instant, je n’exerce pas le métier d’avocat.
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