Dans les années 90, dirigé par Christian Schiaretti, il joue Ahmed, une série de quatre spectacles écrits par le philosophe Alain Badiou, et pour lequel il sera nominé aux Molières en 1995 dans la catégorie Meilleur Acteur. Riche d’expériences diverses et pédagogue à l’ERAC puis à l’EPSAD, depuis plusieurs années maintenant, il se passionne pour la figure de Scapin-Arlequin et depuis 2010, il tourne avec un spectacle intitulé l’Arlequin de Trickster qui repose sur le jeu, le corps, le mime, la danse et le masque. Seul en scène, Didier Galas interprète ce valet glouton, farceur et naïf et invente un monde empreint de poésie et de féérie. Bas les masques, l’heure est aux questions…auxquelles le comédien s’est confronté avec pertinence et modestie.
Qu’avez-vous retenu de votre initiation au masque par Mario Gonzalez au Conservatoire National de Paris?
Ce qui me reste de plus important, c’est peut-être qu’il faut prendre le temps de jouer les actions sur une scène ; voilà ce que j’ai gardé de l’enseignement du masque. Cette règle que Mario appelait Les trois secondes, c’est à dire qu’il faut toujours prendre trois secondes avant de faire une action. Pédagogiquement, c’était assez efficace. Après, ce travail sur le masque est un développement qui s’est fait au cours des années de façon autodidacte mais, puisqu’on parle de maîtres et de reconnaissance de maîtres, je dirais que l’enseignement de Claude Régy a été fondamental pour moi, même pour le masque. Même si son théâtre n’a -en apparence – rien à voir avec le masque; il m’a aidé à travailler sur une forme de sincérité avec moi-même et de relation à ce que je sens, à l’instinct…et pour improviser, c’est important.
Vous avez aussi suivi l’enseignement de maîtres japonais et chinois?
J’ai fait fait du théâtre de Nô avec un maître et en Chine, j’ai travaillé avec l’Opéra chinois. Ce n’est pas évident de dire ce que ça m’a apporté directement car travailler quelques mois l’Opéra de Pékin n’est pas ce qui va faire qu’on va le maîtriser et pareil pour le Nô. Cela m’a permis par contre de vérifier que l’engagement corporel est fondamental en Asie, de manière évidente et traditionnelle….beaucoup plus que dans le théâtre traditionnel européen. La différence avec la Commedia dell’arte, c’est que les traditions du théâtre chinois ou du Nô datent de plusieurs siècles alors qu’en occident, on n’a pas vraiment de tradition de mouvement aussi institué, aussi codifié. Je me suis ainsi confronté à une vraie tradition ; je veux dire par là qu’on ne sait pas comment jouaient les acteurs à la Renaissance lorsque la Commedia a été inventée. Dans le Nô, on sait comment on jouait au XIIIème siècle parce que, de père en fils, ça se transmet. On a une tradition en Occident à deux, trois générations et pas à quarante comme en Asie.Il y a une fascination des européens pour l’Asie bien réelle. Je la partage et j’ai pu vivre cette tradition. En Occident, on est ainsi beaucoup plus libre d’inventer.
Arlequin, figure centrale de la Commedia, vous a-t-il en quelque sorte choisi? Vous étiez davantage fait pour être Arlequin que Lélio ( l’amoureux) ou Zanni?
Le travail sur Arlequin vient sur du travail sur le personnage comique de Scapin. J’ai beaucoup travaillé sur ce personnage dans le projet Ahmed écrit par Alain Badiou , imaginé à partir de ce personnage justement. Il y a eu quatre spectacles autour de ce projet ; ça a été un boulot très important. Scapin, c’est un valet qui peut être dangereux.. Il ne fait pas que rire de lui mais il rit aussi des autres et à partir de là, il peut devenir dangereux. J’ai fait des recherches après ce projet Ahmed et j’ai découvert qu’à l’origine ce personnage tire son nom d’un démon et qu’il n’est pas du tout le personnage amusant qu’on imagine: c’est un démon assez effrayant au fond mais , après, il peut faire rire évidemment. J’ai d’abord fait un solo dans lequel on voyait un Arlequin assez traditionnel et je suis arrivé à ce spectacle qui se nomme Trickster : ce mot anglais résume ce que je viens de dire. Le Trickster est un personnage très drôle, celui qui fait des tours, un farceur…aux Etats-Unis, le trickster est le démon à l’origine de toute la cosmogonie indienne des Sioux, des Apaches, c’est le coyote…C’est un personnage sacrément plus complexe que ce que l’on voit. Je peux jouer cet Arlequin de façon hyper classique et en même temps à partir de sa réalité historique, je l’ai amené ailleurs, j’ai fini par me l’accaparer.
Sur le masque initial d’Arlequin, il y a une sorte de bosse, souvenir d’une corne évoquant le diable…
Tout à fait.
Le masque est à part entière un personnage de votre histoire théâtrale…
J’ai découvert le masque au Conservatoire et , avant de l’essayer, je ne trouvais pas ça terrible; ça ne m’attirait pas beaucoup. J’avais le souvenir de parades à Avignon qui ne me plaisaient pas; je voyais des gens dans la rue qui hurlaient et se forçaient à rire et que je ne trouvais pas cela drôle. Ce côté « je me travestis, je me maquille, je mets des machins sur ma tête »…sachant qu’au carnaval de Venise, j’avais trouvé que, par contre, le masque était séduisant parce qu’il cachait et qu’il avait de la discrétion : l’idée qu’on ne sait pas ce qu’il y a derrière, cette élégance de disparaître me plaisait…Quand j’ai vu un copain mettre le masque au Conservatoire, ça m’a assez impressionné de voir tout à coup quelqu’un qui devenait quelqu’un d’autre. Ce copain, dès qu’il a mis le masque, je ne le voyais plus. C’était un bon acteur qui était parti dans une improvisation intéressante car il n’en faisait pas des kilos; son corps devenait autre, son visage n’était plus là et donc on voyait mieux son corps. Le masque permet de devenir quelqu’un d’autre et l’on se révèle d’autant plus. J’ai lu à ce propos une interview de Jean-Louis Trintignant dans le TGV magazine dernièrement que j’ai trouvée assez touchante : il disait qu’il était très timide au début de sa carrière et qu’il avait joué des personnages où l’on mettait des masques comme pour se chercher soi-même et il ajoutait « maintenant je suis devenu moins timide à force de jouer des personnages et c’est comme si je pouvais enlever le masque et être qui je suis ». L’idée de se masquer, c’est peut-être d’abord pour se démasquer vraiment.
Comment choisit-on son masque?
C’est avec Erhard Stiefel que je travaille. J’utilise plusieurs masques dans ce spectacle et je suis soucieux de la qualité de la forme: Erhard est un sculpteur plasticien qui a fait les Beaux-Arts. Il y a une épure dans son travail qui m’inspire. Ce sont des formes hyper simples mais assez stylisées. Il ne faut pas juste que ça représente un visage , il faut qu’il y ait un regard esthétique sur le masque.
Dans votre Arlequin de Trickster, quelle est la part d’improvisation? En amont? durant le spectacle même?
Je suis parti d’un texte écrit mais je ne suis pas un écrivain, je suis un écrivain de plateau: j’écris , j’ai besoin d’avoir du texte, je peux m’inspirer de textes et écrire le mien à partir de ça. A partir de là, je répète et là, l’improvisation a une grande part; j’improvise comme un danseur, c’est à dire que le corps est fondamental et le silence aussi. Souvent j’enlève des parties de texte pour laisser du silence. Le spectacle évolue tout le temps; à chaque représentation, je continue à travailler; les répétitions sont donc en continu. Comme Claude Régy qui est présent à toutes ses représentations, même s’il n’est pas sur scène, et qui les retravaille ensuite, qui est tout le temps en train d’essayer d’affiner. Durant la représentation ensuite, je suis en train de chercher donc il y a une forme d’improvisation, en tous cas de présent, et depuis que j’ai joué au Japon, il y a même un moment d’improvisation complète qui va faire partie du spectacle.
Une forme de mise en danger?
C’est une mise en danger , oui, mais je n’improvise pas n’importe comment, je suis dans un cadre et l’objectif est qu’on ressente le fait que j’improvise.
C’est jubilatoire pour le public….
C’est jubilatoire,oui, enfin j’espère ( rires).
Si vous deviez citer un Arlequin qui vous a marqué?
Que j’ai vu jouer , il n’y en a pas. Dont on m’a parlé, je peux en citer deux. Le plus proche de nous, c’est Marcello Moretti qui était le premier Arlequin de Giorgio Strehler; il a travaillé avec Jacques Lecoq aussi. Cet Arlequin m’a passionné. Le deuxième était contemporain de Molière; il ne se nommait Domenico Biancolelli et jouait avec Scaramouche : il a écrit un livre sur son travail et il m’a beaucoup inspiré pour faire le spectacle.
A votre avis, comment fait-on rire? Qu’est-ce qui provoque le rire sur un plateau?
J’ai vu , il n’y a pas longtemps, un spectacle qui s’appelle L’art du rire de Jos Houben qui a la prétention – fondée car il en a les moyens – de répondre à cette question. Je dirais que le rire peut venir de plein d’endroits mais en tout cas, le rire burlesque est musical et rythmique. Il y a des rires burlesques dans mon spectacle: ils viennent d’une écriture rythmique, corporelle: le corps est soumis à un rythme, à des cassures, à des ruptures et tout ça provoque du rire. Le rire burlesque, c’est du rythme et de la musique. Je travaille sur une écriture burlesque mais de là à dire que ça va faire rire; je n’ai pas cette certitude; je ne suis pas encore assez devenu maître sur la question.
Les Dates :
Les 17 et 18 janvier 2013 à la Scène Nationale de Sète et Bassin de Thau (34)
Les 6 et 7 février 2013 au Théâtre de la Coupe d’Or ( Rochefort)
Les 27 et 28 mars 2013 au Rabelais à MeytheR)
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