Grèce : Quand les élites font défaut
Par Régis Sully – bscnews.fr / Du livre très éclairant de Nicolas Bloudanis surgit cette sempiternelle question : l’Histoire serait-elle un éternel recommencement ? Qu’on en juge : 1897 une commission financière internationale (CFI) regroupant les créanciers de la Grèce contrôle rigoureusement le budget de l’Etat qui a de grosses difficultés à rembourser ses emprunts. 2010 : mise en place d’une Troïka composée des représentants de la BCE, de la Commission Européenne et du FMI pour superviser ce pays dans l’incapacité de faire face correctement aux échéances de ses emprunts contactés les années auparavant.
Donc à plus d’un siècle de distance, ce pays se retrouve presque en état de défaut de paiement et sous la tutelle d’organismes étrangers. En 1932, la même mésaventure affecta, une fois de plus, le peuple grec. Cette nation serait-elle vouée périodiquement à connaître de sérieux problèmes financiers ? La question n’est pas dépourvue d’intérêt car elle oblige à analyser les raisons de ces trois quasi-faillites pour reprendre la terminologie de l’auteur.
Cette malédiction tient à des données spécifiques à ce pays. C’est l’explication que fournit l’auteur en restituant son histoire depuis l’indépendance (1829) jusqu’à nos jours. Il met en exergue les causes de cette situation.
En premier lieu, Il y a ce que Nicolas Bloudanis appelle « les pesanteurs ottomanes ». L’occupation turque a laissé le pays dépourvu d’infrastructures économiques et administratives. Plus grave, elle a pesé également sur les mentalités portées à la passivité et à l’indifférence aux affaires de la cité, le tout sur fond de corruption et de clientélisme.
Il faut y ajouter des circonstances qui au fil du temps n’ont fait qu’alimenter cet état d’esprit. En 1923, à la suite d’une malheureuse intervention militaire contre les Turcs qui se termina par un fiasco, 1,2 million de Grecs furent chassés d’Asie mineure et vinrent se réfugier en Grèce qui ne comptait à cette époque que 5 millions d’habitants avec pour conséquence « de renforcer le clientélisme et la corruption qui commençait à s’estomper quelque peu depuis 1909 »
D’autres épisodes n’ont fait que maintenir ou mieux renforcer les pesanteurs évoquées plus haut. Il en est ainsi de la période de l’occupation lors de la deuxième guerre mondiale et surtout les conséquences de la guerre civile qui s’en suivit. Pendant plusieurs années, tout esprit critique fut banni car considéré comme subversif par le régime en place, une véritable chape de plomb s’abattit sur la Grèce étouffant toutes velléités de réforme donc de renouveau.
La dictature militaire, au pouvoir de 1967 à 1974, ne fut pas une période propice à ébranler les certitudes antérieures.
Mais au-delà de l’héritage ottoman, des circonstances défavorables à une évolution des mentalités et des comportements des Grecs, l’auteur dresse un réquisitoire d’une extrême sévérité à l’encontre des classes dirigeantes qui ont parfois failli. Ainsi pour ne citer qu’un exemple entre 1828 et 1892 75% des emprunts ont été soustraits à des investissements productifs donc détournés au profit d’une caste dirigeante. Relever les mots utilisés pour qualifier les élites politiques serait éloquent. Au-delà d’une corruption endémique,il faut y ajouter le clientélisme qui se concrétise par des effectifs pléthoriques dans la fonction publique et des passe-droits en tout genre, et parfois l’incompétence. Le tout aggravé par « des dynasties et des camarillas fermées au sein desquelles les fils succèdent aux pères, les neveux aux oncles et parfois les protégés aux protecteurs ». Tous les maux engendrés par ces élites politiques peuvent se résumer à la politique menée par le PASOK lors de son accession au pouvoir en 1981. Une économie mixte, déjà bien avancée sous Caramanlis, se renforce par le rachat par l’Etat grec de nombreuses entreprises en difficulté, l’emploi y est maintenu artificiellement. Ainsi en 1986-87 l’Etat devient l’employeur direct de près de 45% de la population active, population qui bénéficie de prestations sociales non négligeables et de la sécurité de l’emploi. Le critère de sélection des cadres de ces entreprises tient plus de la proximité du parti au pouvoir que de compétences acquises. Le tout donnant l’illusion que l’Etat peut tout, mais cette politique est financée grâce à un endettement de plus en plus lourd et aboutira à la situation actuelle.
La Grèce échappera-t-elle,un jour, à cette gabegie? Nicolas Bloudanis, après avoir dressé un tel tableau de son pays se devait d’instiller un peu d’optimisme, fût-il à dose homéopathique. Selon l’auteur, ce n’est pas du côté des élites politiques que le salut viendra, « car peut-on faire du neuf avec du vieux ?» mais plutôt d’un sursaut du peuple grec qui pourra alors imposer aux politiques, ses choix. Le salut peut venir également de l’Union européenne si celle-ci laisse une juste place aux souverainetés nationales. Ce livre passionnant aide non seulement à comprendre les mésaventures du peuple grec avec son lot de sacrifices, mais également soulève bon nombre de questions auxquelles certains Européens pourraient, eux aussi, un jour, être appelés à répondre.
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