Raymond Radiguet : le droit à une nouvelle édition
Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr / Mort à vingt ans, archange des Années Folles, Raymond Radiguet n’a pas disparu des écrans radars le 12 décembre 1923, emporté par une fièvre typhoïde. Il continue de fasciner et ne se résume pas, comme trop de gens le pensent, au seul Diable au corps. L’édition et la librairie continuent de veiller l’enfant aux joues en feu.
Un tandem s’active avec talent : Chloé Radiguet – nièce de Raymond – et Julien Cendres. Auteurs l’un et l’autre, ils ont établi et présentent un volume des œuvres complètes de RR et la première parution de ses lettres retrouvées après plus de vingt ans de patientes recherches. L’ensemble dépasse les 1300 pages; pas mal pour un supposé brûleur de chandelle par les deux bouts.
Les oeuvres ont droit à une nouvelle édition, présentée comme exhaustive. Cet enfant du siècle passé est réjouissant d’éclectisme. L’écriture, certes, mais aussi l’illustration de ses premiers recueils de poèmes et la musique (une pantomime et deux livrets d’opéra). Il n’ a pas quinze ans lorsque paraît son premier poème. D’autres suivront, avant des pièces de théâtre, des articles, essais, contes, nouvelles, romans. C’est ce dernier domaine qui lui assurera une notoriété durable, Le Diable au corps ouvrant un ban trop tôt clôt par Le Bal du comte d’Orgel. Peut-on reprocher son inconstance sentimentale à quelqu’un par ailleurs fidèle en amitié, dévoré par une fièvre d’écrire qui exigera un tiers de sa vie ? Il importe avant tout de (re)lire ce que les préfaciers appellent « l’expression, sous l’apparence du désordre, d’un ordre intérieur impérieux, l’alliance jamais rompue de la jeunesse et de la maturité ». Ce qui fit alors le scandale du Diable relève aujourd’hui de l’anecdote et de l’aquarelle. L’argument était délicat, scabreux peut-être dans le contexte de l’époque, mais le récit est chaste. Il en demeure l’essentiel : une facture qui continue de lui valoir des comparaisons flatteuses de grands noms du roman français.
Les lettres couvrent janvier 1918 (RR a quatorze ans) à octobre 1923, période durant laquelle il a correspondu avec de nombreux artistes et intellectuels des Années Folles. Au nombre de 140, destinées à des écrivains, peintres, sculpteurs, éditeurs, membres de la famille, elles défilent dans l’ordre chronologique et une table les recense, à défaut d’un index.. Chacune est judicieusement replacée dans son contexte par une notice explicative. On y découvre un épistolier courtois, attentif à ses correspondants, soucieux de dissiper toute équivoque (ses lettres à Apollinaire, dont son « non je ne suis pas un fumiste » en témoignent). Leur éclairage de ce jeune titan est inestimable.
Bronia, entre toutes les femmes
En mars 1923, Radiguet, que Le Diable vient tout juste de rendre célèbre, rencontre Bronia Perlmutter, émigrée russo-polonaise de seize ans. Dans une dèche profonde – elle a même dû quitter son hôtel à la cloche de bois, comme, quelques années plus tôt, Apollinaire à Stavelot – Bronia pose pour des peintres, dont Kisling. Raymond est couvert de femmes et couvé par Cocteau. « J’ai été éblouie », confie-t-elle. Cet incorrigible coureur de filles, ce collectionneur d’aventures tente de séduire Bronia, qui se refuse à lui. L’apprivoisement sera laborieux, car « Il y avait en Raymond quelque chose d’insaisissable, un peu du jeune animal sauvage. Impossible de le tenir en laisse. Il rompait les liens qui l’attachaient, fuguait, disparaissait et rentrait au bercail seulement quand il l’avait décidé, souvent en piteux état ». Après soixante-dix ans de silence, Bronia reviendra sur cette histoire d’amour capital et douloureux qui ne prit fin qu’avec la disparition de Radiguet. Le portrait est passablement nuancé, d’un garçon sous la coupe de Cocteau « Cocteau était omniprésent, un véritable gourou », mais moins dupe qu’on a pu le dire car y trouvant son intérêt. Pourquoi ces confidences tardives à Pierre Barillet ? Dans l’intervalle, Bronia était devenue madame René Clair et ce passé bohème lui parut longtemps incompatible avec son honorabilité bourgeoise. Son cinéaste d’époux l’obligea même à détruire les lettres enflammées de Radiguet. Dommage. Voici un grand petit livre qui rétablit une réalité souvent gauchie par les biographes et prévient les envies d’interprétations tendancieuses, selon qu’on veuille glorifier Cocteau, Clair ou Radiguet lui-même. Comme tel, il est inévitable.
« Raymond Radiguet, Œuvres complètes », édition établie par Chloé Radiguet et Julien Cendres, Omnibus, 25 euros
« Raymond Radiguet, Lettres retrouvées », édition établie par Chloé Radiguet et Julien Cendres, Omnibus, 21 euros
« Bronia, dernier amour de Raymond Radiguet », Pierre Barillet, La Tour Verte, 8 euros
Le site des Editions Omnibus / Le site des Editions La Tour Verte
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