Guerre d’Espagne : Le témoignage de la désillusion
Par Régis Sully – bscnews.fr / Ce livre est le témoignage d’un juif polonais, la quarantaine, militant communiste de longue date ébranlé par les procès intentés à Moscou à deux hauts dirigeants communistes, Zinoviev et Kamenev (1937). La guerre civile qui vient d’éclater en Espagne (1936) va, pense-t-il, lui fournir l’occasion de consolider sa foi communiste, de chasser doutes et interrogations.
En effet, y a-t-il combat plus noble que de lutter aux côtés des républicains espagnols pour la liberté et la démocratie contre les forces réactionnaires du général Franco ? Cet affrontement est un enjeu majeur pour l’Europe, car ces dernières sont soutenues par les fascistes italiens et les Nazis.
En 1937,l’auteur s’engage donc dans les brigades internationales créées à l’initiative du Komintern, internationale communiste à la botte de Staline. Il retrace son périple qui le conduira de Prague à Marseille en passant par Paris. Comme des milliers d’autres jeunes gens prêts à en découdre avec le fascisme, l’auteur fut sensible, dès le débarquement à Barcelone à l’accueil chaleureux de la population.
L’euphorie sera de courte durée. Au sein des brigades internationales, Sygmunt Stein sera affecté au service de propagande. Il sera le témoin indigné de l’emprise des communistes soviétiques et de leurs affidés, plus enclins à lutter contre les prétendus ennemis intérieurs que de lutter contre les franquistes.Tout individu critique ou dubitatif sur la politique menée sera impitoyablement éliminé d’une balle dans le dos. Leur volonté d’épurer les rangs des républicains connaîtra son apogée lors de l’écrasement des militants du POUM(1) à Barcelone en mai1937. L’encadrement parfois aux mains d’individus louches est décevant. Les gradés, les commissaires politiques, vivent dans l’aisance et se livrent à des orgies alors que la piétaille souffre de froid et de faim. Au sein des brigades, le climat est délétère, la suspicion est générale. Dans la plus pure tradition soviétique, la propagande travestit la réalité, l’aide militaire soviétique magnifiée ne se réduit en réalité qu’à du matériel obsolète datant en général de la première guerre mondiale, lorsqu’il est plus récent comme les avions, il est loin de rivaliser avec les appareils du camp d’en face. En outre cet armement est facturé à la République espagnole, fort cher. L’auteur en arrive à la conclusion que L’URSS ne souhaitait pas la victoire d’une république démocratique victorieuse en Europe occidentale. Les dernières pages du livre relatent l’assaut de la brigade « Botwin » composée essentiellement de juifs sur le front d’Estrémadure en février 1938, assaut qui se fera sans armes pour la majorité des brigadistes, à mains nues, qui se soldera par des pertes humaines importantes et l’échec de l’offensive. Ensuite, malade, l’auteur est ramené en France où il peut mesurer l’amertume des autres brigadistes qui imputent le recul des Républicains aux « trotskystes juifs ».
Le récit se termine abruptement, en effet, on aimerait savoir comment un individu qui a voué la moitié de sa vie à défendre une cause peut-il se relever d’une telle désillusion ? La réponse est en partie fournie par une note biographique, livrée par sa fille et jointe fort opportunément à la fin de l’ouvrage.
Ce témoignage bien qu’il soit passionnant de bout en bout ne doit pas être pris pour argent comptant. Compte tenu de la déception immense ressentie par l’auteur, son récit est-il objectif ? N’a-t-il pas exagéré ? La postface de Jean-Jacques Marie vient en partie répondre à ces interrogations. Nul n’empêche le lecteur d’aller poursuivre sa réflexion grâce à d’autres ouvrages.
POUM : Partito obrero de unificacion marxista marxiste mais antisoviétique.
À titre indicatif: Bennassar Bartolomé La guerre d’Espagne et ses lendemains Perrin 2004. Beevor Antony La guerre d’Espagne Calmann-Levy 2006.
Ma guerre d’Espagne
Brigades internationales : la fin d’un mythe
Sygmunt Stein.
Seuil
2012
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