Adolescence

Claude-Henry du Bord : L’adolescence héroïque

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Par Emmanuelle de Boysson – bscnews.fr/ Jeune alsacien de seize ans, traumatisé par l’annexion de sa région à l’Allemagne nazie, Marcel Weinum crée l’un des premiers réseaux français de Résistance : La Main Noire.

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Sans consulter le moindre adulte, il fait preuve d’un sens aigu de l’organisation en recrutant ses copains, tous adolescents, divisant le réseau en sous-groupes, étrangers les uns aux autres, afin de maintenir le secret et la sécurité. Ils prendront des risques inouïs pour déstabiliser l’occupant. Arrêté après une mission de renseignements en Suisse, Marcel, jugé à Strasbourg, est condamné à mort et décapité à Stuttgart le 14 avril 1942. La plupart de ses compagnons de lutte sont condamnés à l’incorporation de force dans la Wehrmacht et obligés de porter l’uniforme haï. Les « Malgrés-nous » ne cessent pas pour autant le combat.

Comment est née l’idée de ce livre sur ce jeune Marcel, résistant alsacien ?
Du combat qu’a mené Gérard Pfister pour mieux faire connaître la lutte et l’engagement extraordinaires de Marcel Weinum, cet adolescent patriote, chef du réseau « La Main noire ». La personnalité ardente et charismatique de Marcel m’a par ailleurs totalement bouleversé. Son exemple et le don qu’il a fait de lui-même rayonnent jusqu’à aujourd’hui.

Est-il connu dans sa région ?
À présent oui. Bien qu’il ait traversé un purgatoire long et injuste. Il fait même depuis peu partie des dix plus célèbres personnalités du panthéon alsacien.

Pouvez-vous nous situer le contexte historique de ce drame ? Quelles furent vos recherches ?
Le dix-huit octobre 1940, l’Alsace est annexée au Reich allemand et devient par décret un territoire germanique, le Gau de Bade-Alsace dont Strasbourg est la capitale. Quelques jours après la déclaration de guerre de septembre 1939, la quasi-totalité de la population d’Alsace-Lorraine a été contrainte à une évacuation générale vers la France de l’intérieure, notamment dans le Périgord. Marcel Weinum, alors âgé de quinze ans, et ses parents se retrouvent « exilés » à Périgueux. Ils y restent jusqu’en août 1940 et décident, deux mois après la signature de l’armistice, de retourner à Strasbourg, dans l’espoir de vivre de leur travail. Marcel retrouve alors une ville qu’il ne reconnaît pas : envahie de drapeaux nazis, où il est interdit de parler français, où même le nom des rues a été germanisé. En outre, Marcel, qui est un fervent catholique, vit très mal la fermeture de la cathédrale comme les exactions nazis à l’encontre de la communauté juive. L’idée que l’Alsace soit une province du Reich le rend malade ! Il décide très vite de réagir.
Pour restituer son itinéraire et l’atmosphère du temps, je me suis fondé sur des sources convergentes, des témoignages, y compris de survivants, des documents historiques, des publications de l’époque (quotidiens, actualités cinématographiques), ainsi que sur la correspondance de Marcel qui est parvenu jusqu’à nous. Un long travail d’historien et donc d’enquêteur, les zones d’ombres m’ont permis de laisser libre cours à mon imagination, dans les limites du vraisemblable, bien sûr.

Parlez-vous de la famille de Marcel ? Ses parents étaient-ils engagés ? Comment ont-ils réagi à son combat ?
Abondamment. Il m’a paru capital de décrire le monde auquel il appartient : un milieu populaire, modeste, catholique fervent et foncièrement républicain. Son père est un simple commis boucher. Sa mère a été bonne à tout faire avant de se consacrer à ses enfants. Marcel est l’aîné. Ses parents étaient des Français comme bien d’autres qui pensaient d’abord, en ces temps difficiles, à sauver leur peau et à protéger leurs enfants. Ils n’ont appris l’action et les responsabilités de Marcel, chef d’un réseau d’adolescents, qu’au moment de son procès ou peu s’en faut. Leur sentiment a été très partagé, ils étaient à la fois très étonnés par son combat, fiers de son courage, tout en ne s’étant pas privés de qualifier ses agissements de « gamineries » – ce qui a fait sortir Marcel de ses gonds. Il se bat avec ferveur contre la « folie raciale » et pour sa patrie ; chez lui l’exercice des libertés fondamentales est inséparable de sa conception chrétienne de l’homme et du monde, il croit en la dignité de la personne comme aux valeurs de la démocratie. Il refuse violemment l’idéologie nazie, comme Guy Môquet, à la différence que Marcel, lui, s’est donné à corps perdu dans le combat…

Qu’est-ce qui a conduit Marcel à s’engager dans la résistance ?
Son amour des vertus républicaines et de la patrie, son sens aigu de la tolérance mise à mal par la barbarie nazie et sa volonté de servir Dieu et l’Évangile. Comme le nazisme est incompatible avec son idéal, ses croyances, ses convictions, il part en guerre pour l’anéantir.

Qu’était au juste La Main Noire ?
Un réseau constitué de vingt-cinq adolescents, de quatorze à dix-huit ans, extrêmement bien structuré, avec des sous-groupes d’action, des pseudonymes, des codes secrets et tout un programme pour déstabiliser l’occupant nazi : arrachage de drapeaux, vols de documents, d’argent, attentats, propagandes, destructions de vitrines ostentatoires… mais aussi missions de renseignements et d’espionnages au service des alliés. Rien ne l’arrête, rien ne l’effraie.

Savait-il les risques qu’il prenait ?
Oui bien sûr, il connaissait les risques, mais sans en mesurer l’exacte portée. C’est le feu de la jeunesse qui a primé. Ils avaient beaucoup entendu parler de la Gestapo par exemple, mais sans en rencontrer un seul agent, jusqu’au jour où… Malgré l’incarcération, la torture, les menaces, il n’a pas parlé, et rien regretté.

Que représente à vos yeux la mort de Marcel ?
C’est un sacrifice inestimable. Un exemple rare, un héros qui sort à peine de l’enfance. Marcel a accepté de mourir pour que les autres vivent. Comme le jeune Ceslav Sieradzki, seize ans, fils d’immigré polonais, liquidé d’une balle dans la tête, le premier martyr de la Résistance en Alsace.

Dans votre œuvre poétique et d’essayiste, comment s’inscrit ce livre ?
Comme une réaction viscérale à l’endroit d’un héros méconnu, d’une personnalité exemplaire. Cette biographie romancée est en quelque sorte un message d’espoir et plus encore la preuve adressée à ceux qui désespèrent de la jeunesse qu’ils ont tort. « La fièvre de la jeunesse permet au monde de garder sa température normale » écrit Bernanos, voilà ce que j’ai voulu dire.

Vous allez également publier, en novembre, une anthologie de la littérature érotique, chez Eyrolles, qu’est-ce qui la caractérise ?
Un mode de fonctionnement spécifique. La littérature érotique s’attache à glorifier des parties du corps alors que la littérature amoureuse par exemple célèbre une totalité. En postface, j’ai consacré une étude fouillée aux caractéristiques propres de cette littérature que beaucoup condamnent sans la connaître vraiment.


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