Jean Claude Fall

Jean-Claude Fall: « Un Fil à la patte est la pièce la plus « folle » de Feydeau, à la fois drôle et cauchemardesque »

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Par Julie Cadilhacbscnews.fr/ Photos Marc Ginot & visuel Quentin Bertoux/ Après avoir été huit ans directeur de compagnie, Jean-Claude Fall crée en 1982 le Théâtre de la Bastille puis, de 1989 à 1997, il dirige le Théâtre Gérard Philippe où, en plus de ses propres travaux et spectacles, il accueille des compagnies de résidence dont celle de Stanislas Nordey, Catherine Anne et Antoine Caubet. De 1998 à 2009, il devient directeur du Théâtre des 13 Vents, CDN de Montpellier , y crée une troupe de comédiens permanents et accueille aussi des compagnies en résidence: Jean-Marc Bourg, Marion Aubert et Julien Bouffier y présenteront ainsi successivement leurs travaux.

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Depuis 1974, Jean-Claude Fall a mis en scène près de 70 spectacles pour le théâtre et l’opéra : choisissant en priorité des textes qui favorisent le débat historique et de société, « sa démarche artistique s’attache à la responsabilité de la prise de parole publique qu’est la représentation ». Peu de textes classiques car le metteur en scène prise les auteurs du XXème et XXIème siècles et d’abord ses dramaturges de coeur que sont Tchekhov, Samuel Beckett et Bertolt Brecht. Jean-Claude Fall est également acteur dans ses propres mises en scène mais a été aussi dirigé par Philippe Adrien et Julien Bouffier. En 2010, il a fondé la compagnie LA MANUFACTURE avec laquelle il a notamment créé Belle du Seigneur d’après des extraits de l’oeuvre d’Albert Cohen, Hôtel Palestine de Falk Richter et ,cette saison, Un fil à la patte de Georges Feydeau. Une invitation à « parcourir ensemble cette véritable encyclopédie du rire » et à nous laisser entraîner dans une danse folle et enivrante . Comment Jean-Claude Fall a-t-il monté la pièce avec un regard résolument moderne? Comment a-t-il traité la folie, le rire en cascade et s’est-il pourtant débarrassé des clichés du vaudeville? Autant de questions que nous souhaitions lui soumettre et dont les réponses nous ont fortement donné l’envie de découvrir le spectacle! Feydeau fait dire à un de ses protagonistes que » si cela entre par une oreille et que cela sort aussi par l’autre, c’est que, entre les deux, il n’y a rien pour le retenir ». Entre gens de bonne intelligence, il semble que l’information devrait rester en mémoire. Sachez en outre que la distribution ne manque – elle aussi!- pas de talents!

Monter Feydeau semble être une entorse à vos habitudes….
On m’a effectivement demandé pourquoi – moi qui monte d’habitude des spectacles politiques – cette incursion dans un domaine qui ne serait pas celui dans lequel on a l’habitude de me voir. Je répondrai que ce qui lie l’ensemble de mes mises en scène est qu’en général l’humour n’est jamais absent. J’ai toujours fait des incursions dans le théâtre classique même s’il est vrai que mon répertoire de prédilection est le répertoire contemporain et du XXème…Est-ce que Feydeau est un auteur du XXème siècle? On peut répondre qu’il est à cheval sur les deux siècles. Par ailleurs, encore une fois, dans mes spectacles, il y a toujours une dimension d’humour, c’est quelque chose que j’ai toujours travaillé, même quand j’ai monté le Roi Lear , il y avait des scènes clownesques.

Le rire est nécessaire au théâtre?
Le rire est une des dimensions du théâtre et pour moi, quand on fait du théâtre, on le fait dans toutes ses dimensions. Chaque spectacle doit contenir la totalité du théâtre et donc , forcément, une dimension d’humour est nécessaire.

Monter Feydeau est une sorte de récréation de metteur en scène puisqu’on y trouve « tous les ressorts imaginables du rire?
C’est un plaisir en tous cas. Feydeau est un rendez-vous que j’ai depuis longtemps, c’est un auteur qui m’amuse et que je trouve intéressant parce qu’il rapproche le théâtre de vaudeville d’un théâtre qui s’apparente au théâtre de l’absurde ou du burlesque ou à l’émergence de groupes comme les Marx Brothers. Cela fait longtemps que je travaille sur Feydeau et que j’ai envie de le monter et tout particulièrement cette pièce, Un fil à la patte, parce que je trouve que c’est sa pièce la plus folle, à la fois drôle et cauchemardesque.

Vous évoquez une folie omniprésente dans cette pièce. Comment avez-vous choisi de la manifester? par le décor, le jeu? ou le texte et les situations suffisent?
Evidemment le texte et les situations suffisent, encore qu’il faille les traiter. On traite cette folie principalement par le jeu même si le décor participe aussi. On a ainsi travaillé à l’idée de « mise à nu », c’est à dire qu’on ne voulait pas mettre ça dans le décorum habituel ( papiers peints, salon surchargé d’objets ou de meubles etc..), et travailler sur un espace beaucoup plus nu- un peu comme dans Dogville – un espace juste dessiné au sol et un squelette de décor ( le squelette des portes et des murs). On voit donc à travers les portes et les murs et l’on voit arriver les évènements depuis longtemps ….ce qui ,souvent, crée un élément comique de plus.

Ce sera donc un Feydeau épuré de ses clichés de décors ou de mise en scène…vous le qualifiez de « résolument moderne ». Cela signifie-t-il que vous représentez un Feydeau beaucoup plus grinçant? Est-ce une tendance contemporaine de montrer que derrière le rire se cache quelque chose de plus engagé ou douloureux?
Pas du tout. Je n’essaie pas de faire dire à Feydeau ce qui serait une critique radicale de la bourgeoisie. Je pense que Feydeau ne raconte pas ça, il raconte simplement les erreurs et les fautes de chacun d’entre nous dans sa vie affective, sa vie sexuelle, sa vie de famille mais il n’y a pas dedans une critique au vitriol de la société bourgeoise. Il dépeint nos travers et nos catastrophes ,certes, mais son objet n’est pas de critiquer la bourgeoisie de son temps alors que Sacha Guitry, par exemple, avait cet objectif pour parler d’un auteur  » de boulevard ». Ce qui est par contre très frappant chez Feydeau, c’est la dimension de folie. Il met ses personnages dans des situations tellement extrêmes qu’ils en arrivent aux extrémités de la rationalité.

Vous avez opéré des modifications dans le texte puisque vous situez la pièce dans les années 50 d’après guerre…qu’avez-vous gommé par exemple?Un fil à la patteLe texte est intégralement de Feydeau, je n’ai rien ajouté, j’ai juste enlevé des formulations un peu datées. Le théâtre de cette époque-là n’est pas du tout celui d’aujourd’hui au niveau rythmique aussi, il y a besoin de dynamiser un peu donc j’ai enlevé pas mal d’indications de jeu, des « oh », des « ah », des « hein », des petites choses à l’intérieur du texte qui ralentissent ou qui indiquent aux acteurs les intentions de jeu. Je voulais de cette manière laisser beaucoup plus de liberté aux acteurs d’une part et, d’autre part, dynamiser le texte.

La musique est introduite par « bouffées » jusqu’à être omniprésente…c’était votre intention de départ, est-ce que cela a perduré lors des répétitions?
Oui, la musique intervient tout de suite et est assez présente. On n’a pas fait une comédie musicale mais du théâtre avec de la musique.

Cette musique cherche à souligner cette légèreté propre à Feydeau ou souligne-t-elle d’autres éléments ?
Les deux. Il y a d’une part quelque chose de drôle dans certains choeurs et par ailleurs , comme j’essaie de raconter une histoire et que je ne me contente pas de déployer une machine à faire rire, cette dernière est étayée par la musique, elle est mise en valeur par la musique et c’est une histoire d’amour principalement que je raconte.

Pour monter du Feydeau, vous vous êtes entouré d’une distribution de compagnons de longue date…
Tous les gens de cette distribution avaient déjà travaillé avec moi et certains faisaient même partie de la troupe du Théâtre des 13 Vents, notamment Roxane Borgna ( Lucette) et Isabelle Fürst ( Miss Betting et Nini) . J’ai beaucoup travaillé avec Patty Hannock (La Baronne) et notamment dans Hôtel Palestine dans lequel est aussi présent Vincent Leenhardt ( Chenneviette). Quant à David Ayala (Bois d’Enghien), il jouait dans Jean la Chance , dans Shakespeare…ceux-ci et les autres, Dominique Ratonnat ( Bouzin), Gregory Nardella ( Le Général), Vanessa Liautey ( Viviane), Anna Andreotti ( Marceline) , Didier Chaix ( Fontanet), Samuel Carneiro ( Assistant, Antonio, Emile, Jean, divers) sont des compagnons de route. C’était important pour moi d’avoir cet esprit de continuité de travail, un esprit de troupe.

Vous avez ainsi choisi le comédien David Ayala pour interpréter Bois d’Enghien…
Parmi les acteurs que je connais, David Ayala est un des trois qui soient capables et susceptibles de jouer Bois d’Enghien. Les autres sont Patrick Pineau et Hervé Pierre, ces deux l’ayant déjà joué, il me restait donc à offrir à David le rôle.

Et du côté des rôles féminins?
Roxane Borgna, qui joue Lucette, ajoute toujours à ses rôles une dimension de fragilité, presque tragique. Un peu comme la comédienne Anouk Grinberg qui a elle aussi cette capacité à ajouter une dimension de fragilité à ses rôles. C’est une Lucette très touchante, très bouleversante et non pas une Lucette cocotte. Après on a fait des blagues…ainsi Patty Hannock qui est anglo-américaine joue la Baronne qui est censée ne pas parler un mot d’anglais. Quant aux deux soeurs, Marceline et Lucette , j’en ai fait des italiennes car Anna Andreotti est italienne et a un accent italien..elles poussent donc de temps en temps des jurons en italien et ont cet esprit très latin, très volcanique.

Vous qui avez été longtemps directeur de théâtre, et êtes aussi comédien, metteur en scène et directeur de compagnie, que pensez-vous de l’état du théâtre aujourd’hui ?
Il est difficile de répondre à cette question. Pour moi, le théâtre est un objet toujours très vivant ; je ne pense pas du tout à une espèce de défaite du théâtre. Le théâtre est omniprésent, il a envahi presque toutes les autres formes du théâtre vivant: ainsi le cirque contemporain a de contemporain cette particularité qu’il s’est théâtralisé, il y a une partie de la danse contemporaine qui est très proche du théâtre …et la musique même! Dans beaucoup de concerts aujourd’hui, il y a une part de théâtre qui s’est mise en place. Exemple: Le quatuor Debussy travaille avec Emilie Valentin qui est une marionnettiste. Oui, je pense que le théâtre est en pleine forme. Après, on a un très gros problème à la fois de financement, de production, de diffusion qui sont là des problèmes institutionnels et qui sont à traiter au niveau du ministère et des représentants de la profession. Ce n’est pas l’art du théâtre en lui-même qui est menacé , c’est sa capacité à mettre en relation la production et la diffusion, les problèmes de médiation et d’élargissement des publics etc..ce sont des problèmes très différents de ce que proposent les artistes.

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TOURNÉE 2012/2013

Scène Nationale de Sète : Du 18 au 20 octobre 2012

– Le Cratère, Scène Nationale d’Alès : Du 13 au 14 décembre 2012

TNN, Théâtre National de Nice : Du 31 janvier au 03 février 2013

Le Carreau, Scène Nationale de Forbach) : 15 février 2013

Théâtre Jean Vilar (Montpellier) : Du 20 au 22 février 2013

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