Rentrée Littéraire : une vaste salle des pas perdus ?
Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr / La rentrée littéraire est une vaste salle des pas perdus, où se croisent les voyageuses aux valises fatiguées et celles qui prennent leur premier train. Les unes portent leur désinvolture en bandoulière. Les autres manoeuvrent des bagages lestés d’espoir et lourds de superflu.
Les bas-fonds du rêve
Madame Méril est pressée de rejoindre le long cortège de la tendance. Pour que tout soit manifeste, elle dédicace son petit dernier (du moins on l’espère) comme un « polar sexuel ». Dame, depuis le succès annoncé en France d’une œuvre érotique pour ménagères anglo-saxonnes, il est urgent d’occuper le terrain, toute honte bue. Ce sera avec l’histoire d’une femme vieillissante, subjuguée par un jeune culbuteur en série qui réveille avec des manières de butor ses sens engourdis. « Elle s’était juré de prendre une année sabbatique côté cœur, et de laisser son corps en jachère, lorsque Thomas est arrivé ». Et d’emblée cette révélation époustouflante : « Une femme qui est remarquée par un homme ne peut rester indifférente ». Mademoiselle Age Tendre revue par Modes & Travaux. Mais Lola – narratrice résolument autocentrée – sait être à l’heure au passage du démon de midi , quitte à répudier Ménie Grégoire au profit d’Alice Sapritch : « Une légère brûlure au niveau de l’entrejambe lui rappela qu’elle avait oublié de mettre de la crème ». Impardonnable, d’autant qu’elle avait pu apprécier à quel point Thomas est un « marcassin glouton »…
Comment ne pas se prendre pour la réincarnation de la grande Sarah Bernhardt lorsque « Leur accouplement prenait une tournure théâtrale, leurs ombres dessinaient sur les murs une épopée tragique, une bataille entre des héros antiques et légendaires». Thomas attirait la foudre. Il sera entendu et l’ardeur polissonne de la Bécassine en rut glissera vers la remontée policière.
Souvent femme charivarie. Non contente d’accumuler les lieux communs : « Il faut être seule, en première ligne face au réel, pour saisir toute la diversité des circonstances/…/ La nature humaine réserve des surprises, les écarts sont fréquents, même chez les plus beaux esprits », célébrant avec enthousiasme les fastes de l’auxiliaire avoir : « Il avait dit qu’il avait des épreuves à corriger, et qu’il avait besoin de calme et de silence », Mme Méril devient inclassable. Parmi les vamps ou chez les rigolotes ?
Pourvu que cet opus soit remarqué par les jurés du Goncourt 2012. A vaincre sans Méril, le lauréat triompherait sans gloire.
Le délicat métier de témoin
Clélia Anfray place son premier roman sous le saint patronat d’Emile Zola et Pierre Créange, poète ayant perdu la vie dans l’enfer concentrationnaire. Plaque tournante du récit, Simon Abramovitch est précisément un rescapé. Il a côtoyé dans un camp de travail le poète Pierre Weill, lequel lui a confié, avant de disparaître, un poème et une lettre destinés à son épouse. Fidèle à sa parole, Simon fait le voyage de Valenciennes pour rencontrer la famille. La romancière a le bon goût de contourner le lamento éculé pour s’attacher aux sentiments contradictoires qui affleurent dans ce type de situation. De quoi Simon doit-il se sentir coupable ? La destinataire décédée, que dire, que taire aux enfants ? Pourquoi ne pas tourner les talons devant l’accueil glacial de la belle-sœur, devenue mère de substitution ? Quel est donc l’intime secret de cette femme ? Au départ d’un argument ténu et si souvent exploité, Clélia Anfray construit une histoire nuancée et convaincante, dont la fin inspirera des sentiments contradictoires.
Pourtant les premières pages laissaient augurer le pire, l’auteure étant obnubilée – comme bien des néophytes – par l’envie de poudrer son style, le souci du mot peu usité, de l’adjectif étonnant. On bronche face à des cils faméliques qui éclairent les yeux d’un fard naturel de larmes et de chagrin, on regimbe lorsque des tisons se mettent à suffoquer devant les gifles qu’ils reçoivent. Rencontrant au détour d’une phrase un corps si peu aguerri à la concupiscence, on se dit toutefois que les premières gammes d’une nouvelle-venue sont autrement porteuses de promesses que les blandices fanées d’aînées blanchies sous le harnais, troussées à la va-vite, comme le coup de torchon d’un bistrotier auvergnat.
« Ce qu’il voulait », Macha Méril, Albin Michel -19 euros
« Le coursier de Valenciennes », Clélia Anfray, Gallimard – 14,90 euros
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