Marc Jolivet, L'électron libre

Marc Jolivet : l’électron libre

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Par Sophie Sendra – bscnews.fr / Marc Jolivet s’est livré à l’exercice passionnant que lui a proposé notre journaliste Sophie Sendra, une interview épistolaire à laquelle l’humoriste s’est prêté avec grand plaisir. Entre humour, burlesque et gravité, Marc Jolivet n’a rien perdu de sa singularité.

propos recueillis par

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Mardi 31 juillet 2012
Cher Marc Jolivet,
Vous êtes un des artistes qu’il est parfois difficile de qualifier, mais une chose est certaine c’est que vous portez plusieurs casquettes. Réalisateur, auteur, acteur, scénariste, humoriste. C’est sur ce dernier « terme » vous qualifiant qu’il est difficile de « trancher » la question concernant votre travail.
Ce qui me vient à l’esprit dans l’immédiat c’est Jean de La Fontaine. Sous ses airs de fabuliste et d’amuseur, il a su, par ses textes, dénoncer les travers de son époque, ceux de l’homme et parcourir les siècles. Par ses textes à double sens, il a su séduire des publics différents et faire grincer des dents ceux à qui ces textes étaient adressés.
Donnant ainsi un « corps » et une « âme » à ses fables, tels que le faisaient les fabulistes de l’antiquité avant lui.
Vos spectacles, vos textes semblent se composer de la même manière : une histoire qui semble extravagante, folle, drôle (le corps), et la morale qui, elle, remet en perspective ce qu’il y a à retenir (l’âme).
En fait l’idée qui me vient à l’esprit au moment où j’écris cette lettre c’est de me dire que vos textes sont construits comme votre maison « La Paléote », entre les éléments : entre ciel et terre ; entre une poésie évidente et une dure réalité ; entre rire et message politique.
D’ailleurs le débat n’est pas clôt à ce sujet : un artiste peut-il ou doit-il faire passer un message dans ses œuvres ? ou les deux ? Ce doit-être une question que l’on vous pose régulièrement (ou que l’on vous reproche peut-être ?)
En cette époque de « gazouillis » jetés en pâture au monde, je tiens à vous remercier d’engager cette aventure épistolaire bien loin des schémas actuels.
Comme un signe, j’ai l’impression que les cigales chantent plus fort que d’habitude, à tel point que je suis dans l’obligation de tendre l’oreille pour entendre la musique qui accompagne mon écriture… aujourd’hui c’est les Beatles !
Bien à Vous,
Sophie

Mardi 31 Juillet 2012
(dans les 10 minutes, une réponse me parvient déjà…)
Chère Sophie,
ben ..heu … merci et encore ….encore ….La Fontaine excellent …mais n’avez vous point remarqué que se cache aussi du Schopenhauer dans mes fables ?
Marc Jolivet

Mardi 31 Juillet 2012
Cher Marc Jolivet,
Je ne sais pas si là où vous vous trouvez vous avez entendu mon éclat de rire, mais je crois avoir fait taire les cigales qui m’entourent ! oui, j’entends beaucoup mieux les Beatles à présent.
Au-delà de cette première « lettre-réponse » qui n’en est pas une, je vais tenter de faire une relation entre vos fables et ce cher Arthur Schopenhauer (qui avait beaucoup moins d’humour que vous, soit dit en passant…).
Votre référence à Schopenhauer fait-elle appel au voile de Mâyâ ? Car alors vous êtes notre cher Arthur et le monde politique est le voile. Vous tentez de retirer ce dernier pour nous montrer le monde tel qu’il est et non l’illusion qui est la nôtre (et/ou que l’on nous impose parfois).
Merci encore pour le « excellent », mais n’avez-vous point remarqué que se cache une philosophe anti-conformiste derrière mes lettres ?
Bien à vous,
Sophie

Le 31 juillet 2012

Chère Sophie,
Vous êtes trop pointue pour moi, je ne suis qu’un petit clown de banlieue écolo qui n’a aucune culture ; « épistolaire  » veut-il dire que je doive vous écrire mes lettres au pistolet ? ou au soleil ? ou aidé de Philippe Sollers ? je suis perdu, je n’ai pas l’habitude, usually on me demande …combien vous gagnez ? avec qui vous couchez ? aimez vous le foot ?
Et je réponds avec un certain détachement, comme le dit mon ami Cioran : culture : feu d’artifice sur un arrière plan de néant !
Alors stop ou encore
Bien à vous,
Marc J.

A la suite de cette lettre, je décide de lui envoyer un de mes articles consacré aux relations épistolaires (daté de 2008) afin qu’il comprenne mieux ma démarche et qu’il m’écrive des lettres plus conséquentes dans lesquelles il se livrerait un peu plus.

31 juillet 2012
Chère Sophie,
Oh putain, vous êtes Docteur en philosophie …et spécialiste de l’inconscience et de la perception des impôts …..whaou ….Je montre vos lettres à mes amis et je leur dis que vous ne voulez pas qu’on se parle ni qu’on se voit car vous êtes trop belle et vous avez peur que je tombe amoureux de vous de votre voix rauque …..allez je crois que j’ai à peu près compris …… on continue ….
Marc J pour sophie …..je pars manger des fruits de mer (plein de pétrole)

Je lui redonne, sous la forme d’un petit mot, quelques précisions et lui signifie que je n’ai pas de voix rauque !!
La relation épistolaire commence alors réellement et je prends le parti de m’adapter au style de Marc Jolivet afin « d’entrer en contact » avec lui : âmes sensibles s’abstenir !!

Mercredi 01 Août 2012
Chère sophie,
Je note que vous me parlez de votre voix non rauque mais point de votre beauté hypothétique, cela cache peut être un problème fondamental, mais peu importe, ce n’est pas le sujet, le sujet est : suis-je capable de répondre à votre demande journalistique ? Je vous donne des éléments et vous décidez. Je ne sais écrire par mail que de la façon dont je vous réponds, je ne suis pas « cernable », et j’ai beaucoup de mal à parler de mes engagements, de mes projets par écrit, c’est long et ennuyeux …..j’ai besoin de déconner ….
Vite je pars, golfer …..
A plus,
Marc J.

Le 02 Août 2012
Cher Marc (puis-je?),
Concernant le fait de ne pas pouvoir me rencontrer c’est juste qu’on m’a toujours dit qu’il ne fallait pas regarder la lumière du soleil sous peine de devenir aveugle… alors je m’éclipse !!…
Vous me donnez pourtant des éléments pour vous cerner, mais il s’agit d’un code peut-être ?! Je vais tenter de vous décrypter à défaut de pouvoir vous cerner :
Vous dites faire du golf : golf = retraite : vous partez à la retraite ? ou alors : golf = petite voiturette : le col du fémur ? ou encore : golf = nature : vous avez décidé de vous présenter à la présidentielle de 2017 à la place d’Eva Joly ?
A plus,
Sophie

Le 03 Août 2012
Chère sophie,
Top c’est parti on joue ….. oui je pourrais être à la retraite (62 ans), mais que nenni non point ….je ne prends jamais de vacances, les vacances sont faites pour ceux qui n’aiment pas leur « travail » ou qui pratiquent des travaux épuisants (ministre, mineurs, traideurs, traiteurs, etc.) clown, humoriste, déconneur professionnel, c’est du plaisir……alors bien sur la retraite…. je la laisse aux vieux….
Ensuite mes projets : devenir le premier dictateur écologiste, car l’écologie politique aujourd’hui c’est plutôt le règne de l’égocologie et de l’escrologie …
Next …pour le golf …oui j’adore, mais à moitié, je suis un demi golfeur, je ne pratique le golf que seul à la tombée de la nuit afin de communiquer avec Odin et uniquement pour neuf ou douze trous, je suis donc la risée des pro, Tiger en tète, mon frère Pierre est classé 9, et comme je suis l’ainé, je me dois de lui tenir tête …alors je drive, je pote avec des potes et des grives. …
Vite je pars à la guerre …..heu au tennis …
A plus
Marc J.

Le 04 Août 2012
Cher Marc,
Je viens d’ouvrir ma boîte aux lettres…
Vous jouez donc les Thorgal à la tombée de la nuit !? 12 trous ? c’est en fait du mini-golf…je sais, c’est souvent le petit pont qui passe sur la rivière qui est le plus difficile, il faut persévérer…
Je vais à nouveau tenter de décoder le « Jolivet » : dictateur écologiste : il faut donc un gouvernement, Nicolas Hulot 1er Ministre (puisque vous soutenez sa fondation) ? et en quoi cela consisterait : bougies, golf et crustacés pour tout le monde ? Si j’osais, je vous demanderai le reste de la liste des ministres et des mesures …
Vous parlez de votre frère Pierre Jolivet : vous préparez un film ? Probablement l’histoire d’un type qui reçoit des lettres d’une personne qu’il ne connait pas et dont il attend les réponses avec impatience ?
Enfin, vous avez une cause à laquelle vous tenez, vous vivez à l’écart dans une maison isolée, vous avez votre ami « l’ours blanc », vous mangez des crustacés : seriez-vous la nouvelle Brigitte Bardot ?
Vite, je pars à mon cours qui s’intitule « Comment avoir une voix Rauque ? »
Bien à vous,
Sophie

Le 04 août 2012
chère sophie !
Je reviens de la pèche au gros, j’ai attrapé Teddy Riner, énorme, il se débat comme un diable, il me répète sans cesse « je ne suis pas un poisson mais un judoka international » ; combien de fois ai-je entendu des dorades ou des requins me hurler dans les oreilles « pitié je suis David Douillet » des dorades excellentes une fois grillées à la croute de sel, recette guérandaise dont je suis l’auteur, mais parlons plutôt de vous et votre travail, combien gagnez vous exactement pour « intertwietervelleriser » Marc Jolivet ?
Votre avenir dépend-il de mes réponses ? voilà des questions importantes.
Donc j’y réponds .
Le jour où je suis dictateur écolo (ce qui va arriver très vite, vu l’état de la planète) je vous nomme ministre de la émaillerie, et je nomme aussi le juge Giovanni Falcone à titre posthume, ministre du bon gout.
Oui je prépare un film sur la guerre de 1914, 100 ans après les archives s’ouvrent et nous allons découvrir les raisons qui ont poussées Gavrilo Princip à assassiner l’Archiduc Ferdinand (si tu es vraiment sympa, je te le ferai lire avant tout le monde, mais ça m’étonnerais que tu sois sympa puisque tu n’es pas jolie).
Ah important, les fautes d’orthographe sont volontaires, elles sont « las afaim de rebutter » les intellectuels qui désireraient ou qui souhaiteraient me voir jouer un rôle primordial en Syrie.
Oh putain, j’ai oublié l’heure, je pars en retard à mon stage de pilote de ligne (je ne suis pas monté dans un avion depuis 43 ans) et il est temps que cela cesse, un dictateur qui ne prend jamais l’avion, ça crin …..heu …c’est trop …..ça crain ….voilà ça c’est bien !
bien à vous
Marc

Le 05 août 2012
Cher Marc,
De la pêche au gros sur la Varenne ou sur le Lac de Saint Philbert ? L’Orne nouveau département de Saint Barth ? Non, il s’agit surement d’un code pour dire que vous regardez les J.O… en tout cas votre recette réveille les papilles.
Pour répondre à votre question, on m’oblige à vous écrire sous peine de réécouter, en boucle, vos émissions « Les nouveaux philosophes » diffusées en 1976 sur France Inter ! Pour une philosophe c’est une torture innommable, alors je me force…
Quant à votre film sur Gavrilo Princip jouerez-vous le rôle ou est-ce un documentaire ? De plus, je suppose la sortie en 2014, mais alors… vous sortirez votre film et, dans le même temps, vous vous présenterez à nouveau pour les municipales comme en 1989 ? Attention car pour être écologiste, les gros bateaux et les avions de lignes risquent de faire grossir votre « dossier » politique…pas très bon pour la planète tout ça…vos adversaires vont s’en servir.
Remarquez un dictateur en plein vol, il y en a qui en rêve en ce moment… vous jouez peut-être les BHL sans nous le dire !? ou alors vous vous rapprochez du John Travolta pilote de ligne : un nouveau spectacle ? de danse peut-être ?
Merci pour le poste de Ministre…ce que je remarque c’est que ça vous gêne de ne pas savoir à quoi je ressemble…je ne suis pas sympa, je suis extraordinaire, je ne suis pas jolie, je suis fabuleuse, mais sachez qu’aucun de mes correspondants ne m’a jamais rencontrés.
Un jour, peut-être, on vous tendra un petit mot vous disant « Je suis là. Signé : Sophie ».
J’espère que votre atterrissage s’est bien passé.
Je pars à mon cours de « Comment être plus drôle que Marc Jolivet ? » car je sors à peine de « Comment parler le martien *? »…et je suis en retard !
Bien à vous,
Sophie
*NDLR : En référence à « Do you speak martien ? » (Comédie musicale mise en scène par Marc Jolivet en 1968).

Le 06 Août 2012
Chère sophie !
Déjà trois lettres, je m’amuse beaucoup mais j’ai l’impression d’en avoir écrit mille, donc plus que 130864 et vous aurez une interview conséquente, époustouflante, affriolante voire monnayable, vu votre physique désobligeant cela va vous aider.
Je vais être franc, je crois que vous êtes payée par les renseignements généraux pour connaitre autant de détails sur ma vie, alors gagnons du temps, n’oubliez pas de me questionner sur le Club Med, Jacques Perrin, Diogène, Balavoine, Coluche, Georges Perec, Stan Getz, De Gaulle, Bourvil, Barjavel, Gérard Philipe, etc …..une seule de ces personnalités m’est inconnue, découvrez laquelle chère Sophie et vos gains vont doubler …..un temps …..vous réfléchissez …….puis vous vous précipitez sur le téléphone ….. « allo Manu (Valls) oui c’est Soph….. à propos de Jolivet non pas le compositeur qui a eu deux fils Marc et Pierre Alain (ce sera pour la 6539900 lettre) mais Marc Jolivet, sais-tu avec qui il couche ? Qui il fréquente ? Ce qu’il mange ? Ce qu’il pense et qui il a épousé ?…ah ah »…. etc etc ..
 » la vie secrète du clown éphémère  » quel début de scénario génial, je lance dès demain matin une souscription sur internet ….en attendant, je vais au bois de Boulogne ramasser mes recettes de la nuit …
A vous chère Sophie.

Le 06 août 2012
Cher Marc,
Rassurez-vous, cela ne fait que 4 ou 5 lettres (petits mots compris) et celle-ci est la dernière, après je vous quitterai définitivement.
Durant notre correspondance, j’ai été sur votre terrain épistolaire comme on va à la rencontre du Renard du Petit Prince de Saint-Exupéry.
Je vais alors dire, dans cette ultime lettre, ce que je retire de ma rencontre avec le « Marc Jolivet » :
Je persiste et je signe : il y a du La Fontaine dans vos spectacles et du Schopenhauer dans votre démarche et au-delà du « clown éphémère », il y a, comme pour tous les clowns, une larme cachée sous le maquillage de l’humour. Vos spectacles sont des prétextes dont il faut décoder le message. Vous êtes l’essentiel, comme tous les humoristes, car vous retirez du monde dans lequel nous sommes, et dont les intellectuels s’emparent, ce qui reste pour se battre : l’ironie, la drôlerie, les sourires malicieux qu’on devine et le spectacle rêveur que vous offrez.
Lorsqu’on fait l’Ecole des arts du cirque, on entend souvent cette phrase « il faut que vous trouviez le clown qui est en vous ». Tout au long de notre correspondance vous avez montré, entre les lignes, le clown que vous êtes et j’ai cru y voir le « Renard » qu’il faut apprivoiser. Je pense que j’ai réussi à ne pas me faire mordre. Quant à vous apprivoiser, je ne sais pas.
Je dois dire que mon frère Stéphane avait raison lorsqu’il m’a proposé votre nom, vous êtes « un mec bien »…
…mais vous non plus vous n’êtes pas beau ; la célébrité ça doit aider !
Il fallait bien cela pour terminer en beauté !
Bien à vous,
Sophie

Le 07 août 2012
Chère sophie,
Horreur, angoisse, déception, abomination et décadence ….. cette correspondance emailoplatonique se termine, et je suis pantois, désabusé, en un mot ……libéré !
Je vous ai bien eu, à force de déconnades, vous ne savez rien de moi, de mes vies secrètes, de mon futur coup d’état, de mon vaccin anticonnerie, vous ne me croyez pas beau, tant mieux vous ne foutrez pas votre vie en l’air à cause de moi, au moins une !
Trêve de balivernes, ce fut un moment fort agréable, qui m’a sorti de ma torpeur (effectivement écrire un chef d’œuvre n’est pas de tout repos) et j’espère vous rencontrer un jour au détour de la banquise, en compagnie de mon frère l’ours blanc.
Amitiés,
Marc Jolivet

S’il fallait conclure
Marc Jolivet prétend qu’on ne sait rien de lui et qu’il a réussi à se cacher derrière ses « déconnades » mais en fait c’est tout le contraire. On sait ce qu’il fait, ce qu’il aime, son futur film et on connait mieux cet aspect insaisissable du Jolivet sauvage. Bref, un électron libre catalyseur d’humour. Merci à lui.

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