Elle a monté , il y un an, As you like it de William Shakespeare avec sa propre compagnie. Entretien passionnant à propos de cette pièce- «conte de fée» où règnent «l’omnipotence et la tyrannie chatoyante des jeunes amants»…
Comment s’est porté votre choix sur « As you like it »?
Depuis longtemps j’avais le projet d’aborder Shakespeare. A la fin de l’année 2009, mon choix s’est arrêté sur As you like it. Je voulais monter une ses comédie et As you like it est l’une des plus belles, des plus subtiles, des plus abouties. Elle est peu montée parce qu’elle a la réputation d’être difficile. Mais aucune comédie de Shakespeare n’est simple à monter ! Dans la forêt d’Arden , une forêt imaginée, -une forêt comme un théâtre : espace des possibles et lieu d’expérimentation de la liberté-, les enfants exilés ont tout le temps de jouer et d’apprendre. L’enchantement est la réalité de ces jeunes amants, leur parole, le pouvoir en chemin. Les thématiques qui sont celles de la pièce rencontraient celles qui traversaient la vie de la compagnie : la découverte de l’amour et le dialogue amoureux, la transmission, le théâtre dans le théâtre qui dit comment opère le théâtre, la mort symbolique et la renaissance… Et puis, parce que je suis une femme qui a choisi un métier qui est historiquement plutôt un métier exercé par les hommes, la manière dont la pièce aborde les questions du genre d’une part et de l’identité sexuelle d’autre part m’intéressaient. Comment, lorsqu’il s’agit de garantir sa sécurité et celle de Célia, Rosalind a l’idée de s’habiller en homme et de se « comporter en tous points comme un homme ». Comment cette solution s’impose à elle et comment ce choix l’entraine à instrumentaliser la langue des hommes, cette langue qui, à l’acte 1, est celle de l’usurpateur inquiet de sa légitimité. Comment rencontrant dans la forêt d’Arden, le jeune homme qu’elle aime, elle est entrainée avec lui dans un jeu érotique qui s’affranchit des questions de genres. L’identité qu’elle usurpe, la transgression qu’elle affirme par jeu, sa liberté de femme disant les mots de l’homme pour la femme, guide les parcours initiatiques qui traversent la pièce.
Etait-ce votre première mise en scène d’un Shakespeare?
Oui.
Si vous deviez citer une caractéristique de son écriture qui vous séduit particulièrement, laquelle serait-ce?
Je pourrais peut-être répondre à cette question en montant dix autres de ses pièces ! Et très probablement, à ce moment-là, je déciderais d’en monter une onzième pour tenter de répondre à votre question ! Je ne suis pas séduite, mais plutôt « transportée », comme par la découverte d’un continent. Mais pour tenter une réponse dès maintenant, je commencerai par parler écriture, de sa force vive. « Ainsi font toutes les pensées, elles ont des ailes », c’est une réplique d’As you like it. Et la pensée de Shakespeare est rapide, extraordinairement rapide. Et cette rapidité, par nécessité de se fabriquer un outil à sa main, travaille la langue, la réinvente, la féconde. Shakespeare est un poète : il pense plus vite, il voit plus loin et dans son élan, puissamment, il façonne la langue anglaise.
Comment avez-vous choisi de monter cette comédie pastorale et romantique? avec peu d’artifices et le texte en vedette?
Les limites budgétaires des compagnies peu subventionnées leur imposent de faire des choix. Mais après tout, choisir ses contraintes et ses priorités, c’est être libre de son geste. J’ai fait le choix de ce qui me semble nécessaire et suffisant pour que la représentation ait du sens, que la rencontre ait lieu, que l’expérience sensible soit partagée : le choix de la rencontre entre l’œuvre, les acteurs et les spectateurs. Concrètement, il y a besoin de très peu de choses pour monter une pièce de Shakespeare avec de beaux comédiens. La parole suscite le théâtre et crée un espace symbolique commun. Rosalind dit : « Alors, c’est ici la forêt d’Arden » et nous sommes dans la forêt d’Arden. A l’invitation de de la fertilité, oui, de la fertilité de son Shakespeare et guidée par la comédienne, l’imagination de chacun des spectateurs vient peupler d’arbres l’espace vide.
Emmanuelle Bouchez ( Télérama) décrit votre travail par ces mots » ce travail-là nous prouve aussi qu’il suffit de peu d’artifices et de l’engagement d’un groupe au service d’un texte pour faire entrer le monde sur une simple estrade ». L’engagement d’un groupe est le fruit d’un travail de plusieurs heures, mois, années? Une façon spécifique de concevoir le théâtre?
Je ne pense pas qu’elle soit « spécifique », en ce sens que l’expérience en est ancienne et qu’elle est une constante à travers les siècles. « Troupe », compagnie », « groupe »,« collectif », autant de termes qui recouvrent des réalités proches les unes des autres. Cela ne se décide pas par principe, c’est une expérience de vie, qui s’écrit jour après jour, année après année. Parce que l’on a envie d’apprendre à faire ensemble et que l’aventure est heureuse.
La compagnie fonctionne comme une troupe et lorsque je choisis un projet, je le choisis en pensant aux comédiens qui vont le construire avec moi et le jouer. J’ai donc choisi la pièce en connaissant la distribution en partie. Par ailleurs, dans une troupe, dans une compagnie, la question de la transmission est essentielle, me semble-t-il. Une aventure collective de ce type est bien vivante si elle est ouverte aux rencontres, si elle est capable de les nourrir. As you like it met en scène le dialogue entre différentes générations, comme toutes les œuvres des grands auteurs de troupe. C’est le cas en France avec Molière, par exemple. De jeunes comédiens nous ont donc rejoints sur ce projet. Oui, la qualité de l’engagement d’un groupe est un fruit, en quelque sorte. Il lui faut du temps, du soleil, de la pluie et des circonstances favorables à sa maturation. Mais les textes sont des engrais puissants ; ils suffisent aussi, parfois, à faire naître une troupe.
« Le monde entier est un théâtre et, tout le monde, hommes et femmes y sont acteurs » Cette fameuse phrase, inscrite sur le frontispice du théâtre du Globe , extraite de la pièce a-t-elle influencé votre mise en scène?
Cette réplique de la pièce est si célèbre et si fréquemment citée qu’on ne peut l’oublier. Et pour autant, lorsque Jaques le mélancolique la prononce, la représentation d’As you like it se déploie depuis une heure déjà. Je veux dire par là que la communauté de femmes et d’hommes que crée la représentation existe déjà bel et bien. Et c’est pour cette raison et à cet instant même que cette phrase résonne. Les mots de Jaques prennent tout leur sens dans le temps et l’espace de la représentation. En les prononçant, il ouvre le théâtre au monde dans un formidable mouvement d’expansion. Et ce mouvement, c’est celui de l’acte théâtral. Ce pourrait être une définition de la représentation théâtrale. En ce sens, oui, cette phrase a nourri, a habité nos répétitions.
Si vous deviez citer une autre réplique de la pièce, laquelle serait- ce et pourquoi?
« Que la raison cède à l’étonnement ! ». C’est une invitation, un appel à faire place à la poésie. Cette injonction de Shakespeare survient au terme de la pièce. Elle conclue le dénouement et à proprement parler, elle dénoue le lien, en douceur, offerte comme un viatique à chacun de ceux qui ont suivi la représentation, acteurs et spectateurs. Elle nomme l’expérience qui a été la nôtre pendant plus de deux heures et nous invite à la poursuivre et à la renouveler.
Vous jouez également sur le plateau : Quel rôle? Comment avez-vous imaginé votre personnage?
En fait, je reprends ce rôle, ou du moins ce parcours de jeu, et le jouerai pour la première fois le 23 juillet dans le cadre des Nuits de la Terrasse. La comédienne qui l’interprétait depuis la création en juin 2011 se marie cet été au Cameroun et attend un enfant. Il fallait donc la remplacer pour la tournée à venir. C’est un grand bonheur de retrouver sur le plateau les acteurs que j’aime et de jouer avec eux. Pour ce qui est d’imaginer les trois rôles que j’interprète, je m’y suis préparée en revenant au texte, en le redécouvrant. Cette connaissance que l’acteur a de l’œuvre et qu’il est seul à avoir, est tout instinct et toute conscience, parce que l’acteur est traversé par la parole. C’est un mouvement, une respiration. La metteure en scène est l’artisan qui travaille à créer les conditions nécessaires à faire advenir ce mouvement de connaissance mais c’est l’acteur qui en a l’expérience sensible et qui révèle l’intimité de l’œuvre.
Une anecdote restée en mémoire sur la tournée de cette pièce pour conclure?
Lors de la représentation à Fort Médoc, il y a un an environ, le vent s’est levé. Nous jouions en extérieur, sous les arbres, et les bourrasques de vent ,de plus en plus fortes, ont fait tomber doucement du ciel de petites feuilles qui venaient en pluie sur les comédiens, toutes dorées dans la lumière des projecteurs. C’était au moment où Ganymède et Orlando jouent à se marier, et cette pluie de feuilles a accompagné la fin de la représentation. A dire vrai, pas tout à fait la fin, parce que l’orage nous a empêché de jouer les dix dernières minutes du spectacle !
Dates des représentations:
– le 23 et 24 Juillet 2012 à Sortie Ouest, Béziers, France
– le 15 janvier 2013 à Nérac, France
-le 19 Janvier 2013 à Dax, France
– le 27Janvier 2013 à Auch, France
– le 14 Février 2013 à Eysines, France
– le 19 Mars 2013 à Tulle, France
– le 09 Avril 2013 à Pont De Claix, France
– le 06 Juillet 2013 à Bellac, France A lire aussi: Entre Tempête et Songe, une nuit au Printemps avec Shakespeare La scène nationale de Sète trinque avec Shakespeare SHAKESPEARE & CO : PLUS QU’UNE LIBRAIRIE, UNE INSTITUTION