Sébastien Giniaux : un musicien engagé
Par Laureline Amanieux- bscnews.fr / Dès l’âge de 6 ans, Sébastien Giniaux prend des cours de violoncelle, et suit pendant quinze ans une formation classique en Ile-de-France. A 19 ans, il se passionne pour le jazz manouche et la guitare dont il devient un virtuose autodidacte. Il travaille alors avec de nombreux artistes : Norig, le Taraf de Haïdouks, Selmer 607, Rona Hartner…. Il présente ses propres compositions de jazz manouche avec son quartet et monte le SG Balkan project pour faire découvrir la musique méconnue des Balkans.
Pour autant, Sébastien Giniaux refuse les étiquettes. En 2012, il sort son album solo La Mélodie des choses, un album inclassable au titre poétique, emprunté à un texte de Rilke. L’album se présente comme un livre reliant ses compositions musicales et les reproductions de ses peintures à la parole poétique d’Anahita Gohari. Cet album décline quatre thèmes selon les influences de ce musicien voyageur : jazz manouche, musique des Balkans, mais aussi celle du Mali et la musique classique.
La Mélodie des choses révèle surtout sa philosophie d’artiste : s’ouvrir aux autres cultures, prendre sans cesse de nouveaux risques, et soutenir un discours socialement engagé, pour « parler aux gens avec ce que j’ai dans les mains ». C’est avec cet album que Sébastien Giniaux participera au festival Django Reinhardt, dont la 33ième édition se déroule à Samois-sur-Seine du 27 juin au 1er juillet 2012.
Sébastien, tu as reçu une longue formation classique, alors comment as-tu découvert la musique manouche ?
Quand j’avais 13 ans, j’ai travaillé dans une école de chant, Glottes-Trotters, fondée par Martina Catella : elle est ethnomusicologue ; elle a fait une thèse sur la musique soufi du Pakistan, une musique de transe religieuse. Sa technique était d’apprendre le chant par des musiques traditionnelles, de tous les pays. Je faisais des relevés de chants inuits pour que les élèves les chantent ensuite. C’est là que j’ai entendu pour la première fois de la musique tzigane à travers des compilations. Je faisais du violoncelle au conservatoire en même temps, et je faisais ce travail à côté. Puis, j’ai commencé à m’intéresser à la musique des Balkans et au jazz manouche, parce que je voulais me mettre à la guitare, et que cette musique est une école de virtuosité, donc pour apprendre, c’est génial. J’ai monté ensuite un répertoire avec une fille de cette école, la chanteuse Norig. Je joue encore avec elle aujourd’hui et, depuis, elle a écrit ses propres chansons. On a tourné des années avec la musique de l’Est.
En tant que musicien de jazz manouche et de musique des Balkans, tu es donc tout à fait autodidacte.
La musique classique, c’est un langage que j’ai appris et qu’ensuite j’ai déconstruit. Il faut travailler pour « dé-travailler ». Mais dans le jazz, si tu veux faire une école, tu n’as qu’à sortir de chez toi. De toute façon, ce n’est pas une école qui va t’apporter la finalité de ce que tu fais. Si tu fais une école, tu vas devenir un jazzman parmi des millions d’autres qui font les mêmes plans d’improvisations. Mais pour devenir un artiste, tu devras déconstruire tout ça.
Est-ce qu’il existe une différence entre la musique des Balkans et le jazz manouche ?
En vérité, ces deux types de musique sont différents, car le jazz manouche est né à Paris avec le gitan Django Reinhardt, et à partir du jazz américain. La musique des Balkans, elle, est une musique traditionnelle. Elle a été influencée par la Russie par le haut, et par la Turquie par le bas : donc c’est un carrefour musical, entre Occident et Orient. Ce sont les gitans qui la jouent lors des fêtes et cérémonies en Roumanie par exemple. On ne connaît pas du tout en France ces musiciens virtuoses, en dehors du Taraf de Haïdouks avec qui j’ai joué pendant quatre ans, et quelques rares autres groupes.
Tu as justement créé le SG Balkan project pour faire connaître en France cette musique des Balkans. Quelle image voudrais-tu en donner ?
Pas une image, mais une idée. Je veux faire connaître la musique des Balkans pour parler des tziganes qui la jouent, car la condition des gens m’importe encore plus que la musique. Soit le regard est dégueulasse sur ces gens du voyage (ndlr : tziganes, manouches, et gitans qui sont aussi appelés les « Roms »), on ne veut pas les accepter, on est raciste sans trop le dire, « oui, ils sont gentils mais loin de chez nous », soit on les voit de façon inverse, ce qui est aussi dégueulasse pour moi : des tziganes libres et heureux qui jouent du violon, qui ont des longues robes à fleurs… alors que la plupart vivent avec des jeans troués et mangent trois patates. J’aimerais recentrer ces deux extrêmes : ils ne sont ni géniaux, libres et sympas avec une vie de Bohême comme des hippies le diront, ni des voleurs de poule. Ce sont des gens qui possèdent une identité et une culture communautaire qu’ils veulent préserver, et c’est important de leur donner du crédit. En France, aujourd’hui, c’est la mode du jazz manouche et de la musique tzigane, mais les véritables musiciens de Roumanie restent inconnus ici et l’image des gitans, dans la conscience des gens, n’a pas évolué et même elle empire. Je constate que des chanteurs français surfent sur cette vague, mais ne prennent pas la parole pour dénoncer la condition des manouches en France. En tant que musicien, le moins que je puisse faire, c’est de défendre le lien social qui existe derrière cette musique tzigane.
Ton album solo, La Mélodie des Choses, c’est un projet qui mêle différentes pratiques artistiques : c’est un livre, une série de tableaux et des compositions musicales aux influences variées. Peux-tu nous le présenter ?
Sur l’album, je joue avec des amis que j’avais envie d’inviter sur un disque depuis longtemps. J’ai fait aussi un tri parmi les grandes influences musicales de ma vie : celle des Balkans, la musique classique, Django et celle du Mali où j’ai fait un voyage qui m’a marqué, où j’ai rencontré des musiciens supers. La peinture m’est venue de façon hyper-naturelle. J’ai toujours dessiné car pour moi, c’est plus naturel que les mots, je peux donner à voir à des inconnus. J’ai réalisé chaque peinture après avoir écrit mes morceaux, pour raconter quelque chose. C’est mon discours utopiste, car j’aimerais être détaché de ça un jour, de la recherche esthétique. Aux expositions de mes toiles, ça m’intéresse d’écouter toutes les interprétations des gens. J’aime que certains y voient un âne, d’autres l’amour, et ça peut s’interpénétrer. Si tu expliques ta peinture, c’est fichu, c’est une idéologie et je n’aime pas les idéologies. Je préfère l’improvisation. Les gens improvisent quand ils vont à un concert, ou quand ils voient un tableau, chacun réagit à ce contact.
Que représente la musique pour toi alors ? Est-ce un dialogue avec les autres ?
La musique me passionne, elle me fait passer le temps sur un truc avec lequel je peux repousser mes capacités. J’ai évolué dans le classique comme dans le jazz manouche, et j’ai constaté la même tendance dans les deux univers, à savoir que le système dans lequel tu vis a plus de poids que ce que tu fais. La compétitivité prime, et « si tu veux marcher un peu sur la gueule de l’autre au passage, ne te gêne pas »… C’est un système assez oppresseur pour pervertir n’importe quel domaine, pas juste celui de la finance.
En musique, il y a désormais une course à la technique qui n’en finit pas, alors qu’à la base la musique, ce sont des gens autour d’un feu qui prennent trois bouts de bois pour jouer avec et se raconter leur journée. La musique crée des liens entre les gens ; c’est juste une manière d’être ensemble. Le problème que je rencontre face à ça, c’est que, pour vivre de ma musique, je dois vendre des disques. Je vois ce paradoxe entre créer du lien social et faire acheter un disque aux gens, c’est schizophrène. En plus, ça demande de la compétitivité face aux autres musiciens, et ça impose d’aller toujours plus loin dans la technique. A un moment donné, je trouve qu’on perd ce qu’on a à dire avec la musique.
A la base, la musique est d’abord, pour moi, un support pour parler à mon voisin. L’émotion musicale, je m’en fiche. C’est le discours que je cherche. C’est un pont pour dire aux gens : « alors ça va ? ». J’ai besoin des deux, de ma musique et de jouer du Django avec des musiciens qui adorent ça. Mais faire briller un esthétisme qui a déjà existé, de mon point de vue, cela ne sert pas à grand-chose par rapport à mes préoccupations sociales. Ce qui m’intéresse, c’est le lien qui se crée entre les gens qui m’écoutent. En concert, l’artiste donne quelque chose et les gens entre eux en font autre chose. J’essaie d’être juste sincère, pas d’entrer en communion avec qui que ce soit. Le chemin, c’est de ta guitare à toi, et si ça te remplit toi, ça passera aux autres.
Sur scène, tu improvises toujours. Alors quand tu joues les compositions de La Mélodie des choses, est-ce que tu improvises aussi ? L’enregistrement de ton album est-il seulement une des formes possibles fixée sur le disque mais sur scène, tu proposes d’autres formes ?
Oui, l’album est construit sur de l’improvisation, comme du jazz. J’écris un thème que j’arrange : il y a la mélodie et l’harmonie. Quand l’harmonie continue, là j’improvise. Donc d’un concert à l’autre, les thèmes mélodiques sont toujours les mêmes, mais dès que le thème est fini, je m’amuse. La liberté se trouve là. L’enfermement aussi, car au fil des années, des codes d’improvisation et des phrases ont été créés et repris. Le but est de trouver des variations et des phrases que personne n’a inventées. Quand ton jeu se met en place, tu trouves ton chemin, il y a un langage à toi qui naît. Improviser, c’est ce mélange de langage commun, de langage personnel et de prise de risque dans le moment où tu joues. Lors de l’improvisation sur scène, tu te sers de ça pour aller plus loin, pour aller là où tu ne connais pas, jouer un truc que tu n’as jamais fait et que tu ne referas jamais.
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