Gallimard : un nouveau type de polar qui transcende le genre
Par Marc Emile Baronheid – bscnews.fr / Au roman policier de tradition est venu s’adosser un nouveau type de récit, directement puisé dans les faits-divers à sensation. Parfois il les vampirise effrontément (on l’a déploré à la rentrée de janvier), rarement il les transcende. Et l’on arrive à ce paradoxe dont seule est capable la littérature : la barbarie devient aimable.
Caryl Férey a tôt tracé son sillon dans le polar à ambition sociale, ne prenant même pas le temps de jouer placé. Gagnant et rien d’autre. En 2010, il réalise le grand chelem avec « Zulu » (Série Noire) : dix prix, neuf traductions, un film tourné en 2012 par Jérôme Salle, notamment réalisateur de Largo Winch. Férey a compris les enjeux de la communication et possède son site officiel où un portrait évoque Lavilliers jeune, celui qui n’avait pas encore adoubé Claude Roy à l’insu de son plein gré.
Son prénom rappelle le présumé tueur à la lumière rouge, le fameux Caryl Chessman, locataire de la cellule 2455 du couloir de la mort au pénitencier de Saint Quentin.
« Mapuche » plonge au cœur de la dictature argentine. Ses héros possèdent une densité impressionnante. Jana est une des survivantes d’un peuple sur lequel on a tiré à vue dans la pampa. Ruben fait partie des rares rescapés des geôles clandestines où ont péri sa sœur et son père, mort pour un poème. Quoi de plus noble et de plus effrayant ?
Jana est sculptrice ; Ruben enquête pour le compte des Mères de la place de Mai et recherche les enfants arrachés à leurs parents et offerts à l’adoption des suppôts du régime Videla. Trente ans ont passé mais la mort continue de frapper les fouineurs. Le cadavre d’un travesti va réunir Jana et Ruben, pour les lancer dans une épopée cruelle et sanglante, jalonnée de spectres et de souvenirs indélébiles. Férey affirme une qualité d’écriture peu commune dans le genre, ponctuée de cailloux blancs qui éclaboussent de leur naturel diamantin la fureur et l’éprouvante noirceur de ce récit haletant.
Un Américain bien tranquille. N’étaient ses 220 centimètres sous la toise, rien ne distinguerait Al Kenner des autres adolescents. Son QI est supérieur à celui d’Einstein, mais cela ne saute pas davantage aux yeux que son remue-ménage mental. Seule sa mère sait. Du moins elle pressent qu’Al ne se bornera pas à décapiter les chats. Cette femme, c’est Folcoche revue par Steinbeck et corrigée par Bukowski. De fait, Al abat ses grands-parents puis se lance on the road, avant de se raviser et de se constituer prisonnier. « Le polar ne m’intéresse pas. Mais pas du tout » lance un personnage qui pourrait être l’interprète de Dugain. « Trop de conventions, de lieux communs, d’énigmes sans intérêt ». Si le romancier s’est emparé d’événements réels, c’est pour mieux les dominer, les façonner à sa manière, en épingler les paradoxales concessions au conformisme ambiant. Al Kenner engagé dans la lutte avec l’ange noir, c’est aussi l’Amérique ébranlée durablement par la guerre du Vietnam, confrontée au phénomène hippie qui voudrait saboter la société de l’intérieur, pacifiquement. Le contact de ces communautés pourrait-il guérir de son mal-être explosif un Al rendu quitte de sa dette envers la société et en quête d’une rédemption qu’il peine à imaginer ? « Il faut un peu de sensibilité pour profiter d’un écrivain », propose Dugain. Ce n’est pas la métaphore de l’auberge espagnole, mais la garantie que le plaisir pris à savourer ce roman de correction (comme on le dit de certaines maisons) sera à l’avenant de votre investissement.
« Mapuche », Caryl Férey, Série Noire Gallimard, 19,90 euros
« Avenue des Géants, Marc Dugain, Gallimard, 21, 50 euros
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