Il était une fois

Il était une fois en France : un incontournable du neuvième art

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Interview de Fabien Nury/ Propos recueillis par Julie Cadilhacbscnews.fr/ Il était une fois en France est un incontournable du neuvième art français distingué par de nombreux prix prestigieux dont celui de la Série au Festival d’Angoulême 2011.

propos recueillis par

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Ces cinq albums retracent la vie du personnage historique, Joseph Joanovici, un ferrailleur juif roumain, devenu l’un des hommes les plus riches de France qui, durant la seconde guerre mondiale, a collaboré souvent avec la Gestapo et a été tout en même temps un des principaux pourvoyeurs de la Résistance. Un personnage ambivalent au parcours dérangeant dont le destin a nourri une série habilement ciselée. Fabien Nury au scénario travaille actuellement sur le dernier et sixième tome – un album très attendu!- nous souhaitions ainsi revenir avec lui sur la genèse de cette aventure de bande-dessinée, ses réussites, ses perspectives…histoire de patienter et de connaître mieux son scénariste extrêmement productif par ailleurs!

Votre expérience du cinéma avec Les Brigades du Tigre a-t-elle pu influencer votre façon d’écrire par la suite vos scénarios? ou est-ce que, selon vous, être storyboarder ou scénariste de bande-dessinée, c’est à peu près la même chose?
Co-écrire « Les Brigades du Tigre » a sans doute fait de moi un meilleur scénariste…de BD. Mes premiers albums étaient un peu trop des « films sur papier », tandis que les suivants démontrent, j’espère, un plaisir grandissant à exploiter les spécificités du média BD.

Comment rencontre-t-on un personnage? un soir au gré d’une lecture? lors d’une discussion avec des amis historiens?
Des lectures, essentiellement. Ce fut le cas pour « Il était une fois en France », pour « Atar Gull », pour « La mort de Staline »…

Qu’est-ce qui a provoqué le « coup de foudre » scénaristique entre Joseph Joanovici et vous? Essentiellement sa personnalité insaisissable et ses agissements ambivalents?
C’est un destin unique, impensable, au cœur de notre Histoire et de notre mémoire collective. Le personnage est un anti-héros intelligent et ambitieux, qui peut tour à tour susciter empathie, crainte, dégoût… Il fait tout pour être à l’abri et ne le sera jamais, et tente de résoudre ce problème insoluble par une fuite en avant ahurissante. Bref, il m’a fasciné d’emblée et n’a jamais cessé de le faire.

L’Histoire avec un grand H semble être un socle sur lequel reposent toutes vos fictions. Art Spiegelman dans le documentaire de Benoît Peeters intitulé Art Spiegelman, le miroir de l’histoire, explique qu’il a besoin d’écrire à partir d’une matière existante, qu’il ne sait pas inventer à partir de rien, que les situations contingentes paralysent sa créativité… En est-il de même pour vous?
Oui, tout à fait. J’ai besoin d’une matière première réelle, d’un contexte précis pour raconter des histoires auxquelles je crois. Je ne suis pas un « créateur de mondes » à la Tolkien… Je le regrette parfois, mais je n’y peux rien !

Avez-vous rencontré les mêmes difficultés qu’un historien? Avez-vous eu peur, à un moment donné, d’influencer le lecteur sur ce qu’il devait vraiment penser de Joseph, le ferrailleur? ou, au contraire, après vous être protégé par des avertissements aux lecteurs, vous êtes-vous autorisé à tout – ou presque- que permet l’imagination?
Le plus important était de ne pas prétendre faire un travail d’historien. De prévenir les lecteurs que, bien que basée sur des faits réels, l’histoire demeure une fiction. Après, avec un personnage tel que Joseph Joanovici, on n’a rarement besoin d’inventer… Il faut plutôt couper, condenser, dramatiser.

Quand on écrit une biographie romancée et qu’on aborde des thèmes historiquement douloureux comme la déportation, la shoah, la collaboration, on s’expose à des réactions très variées je suppose…
Bien sûr, cette histoire mobilise des thèmes et des événements gravissimes, et il faut d’abord vérifier qu’on ne fait pas n’importe quoi avec un tel matériau. Concernant les réactions, je crois que nous avons eu la chance d’être compris, dès le tome 1. Les lecteurs et les critiques ont adhéré à notre point de vue. A partir du tome 2 et, entre autres, de la scène de l’infâme « certificat d’aryanisme », il n’y avait (j’espère !) plus le moindre doute possible sur notre propos.

Le scénario de l’Etrange Monsieur Joseph, un téléfilm où Roger Hanin jouait le rôle principal, avait été jugé trop complaisant pour cet orphelin immigré milliardaire collabo résistant? Etait -ce absolument un risque que vous souhaitiez éviter, du coup vous avez ajouté à Joseph quelques méfaits bien sanglants?
Une chose m’a longtemps fasciné, tandis que je me documentais : je lisais des témoignages à charge, ou à décharge. Tout l’un, ou tout l’autre. J’ai choisi de raconter les deux. De croire aux malfaisances comme à la noblesse de Monsieur Joseph et ainsi, de renforcer sa dualité et son ambiguïté.

Ainsi dans l’affaire Scaffa, qui a dénoncé la réunion de résistants où n’a pas pu se rendre Robert Scaffa? Lucie? Pourquoi avoir choisi de faire tuer RobertFabien Nury Scaffa par Joseph, l’Histoire ne dit-elle pas que c’est PiedNoir et Georges Beau qui l’ont exécuté? il y avait cette volonté qu’il ait aussi les mains sales?
Comme dans toutes les fictions historiques, un certain nombre de personnages sont éliminés, d’autres sont condensés en un seul… Considérant la responsabilité supposée de Joseph dans l’affaire de la Brosse-Montceaux, sa participation directe au meurtre de Robert Scaffa m’a paru nécessaire. C’est le point d’horreur du récit, il n’y a plus de rédemption possible après cela. D’où l’importance de prévenir d’emblée qu’il s’agit d’une FICTION…

Lucie est une invention de votre imagination, je suppose? L’envie ,un peu comme dans une histoire d’espionnage et d’agents secrets, d’une blonde froidement superbe pour ajouter du romanesque et du piment?
Absolument pas. Lucie a bien existé, et était vraiment surnommée « Lucie-Fer » par tous les ferrailleurs de France. Son physique est simplement plus avantageux que dans la réalité, c’est un choix de Sylvain auquel j’adhère totalement.

Quant à Eva, seul être avec Marcel, le frère de Joseph, dont les actes sont purs et la foi intacte…sont-ils aussi inventés? Ils étaient nécessaires pour donner à Joseph une dimension plus humaine?
Ni l’un ni l’autre n’est inventé. Ce sont eux aussi des personnages réels, dont nous savions d’emblée qu’ils auraient une importance primordiale. Même s’il ne sont pas si « purs » que vous semblez l’affirmer. Marcel travaille avec son frère, et Eva « profite » de ses actions tout en les condamnant. Ils illustrent la difficulté d’avoir un jugement moral trop tranché sur Joseph, tout en constituant des « points d’ancrage » du personnage. Chaque scène avec Eva, en particulier, pose un jalon de l’évolution morale et émotionnelle de Joseph.

Vous avez pu dire en interview « l’occupation est un des moments les plus sombres de l’histoire »….parce que la plupart des hommes, rongés par la peur, sont prêts à éliminer leur prochain pour sauver leur peau? Sur les champs de bataille, l’honneur est davantage préservé parce qu’on a moins l’opportunité de pactiser?
Il s’agit d’un monde, le nôtre, sur lequel le Mal régnait. Toutes les valeurs sont inversées, les pires gangsters donnent des ordres aux policiers, quand ceux-ci ne sont pas eux-mêmes dévoyés au service de l’idéologie la plus abjecte jamais créée par l’homme. Que dire de plus ?

Joseph est en quelque sorte un Faust qui pactise avec le diable nazi…?
C’est avant tout un survivant, et un homme de pouvoir. Je me méfie de ces métaphores mythologiques, sur un tel sujet. Il n’y a pas de diable dans cette histoire, que des humains, hélas capables du pire.

Être à la fois collabo et résistant n’a sans doute pas été l’apanage du seul Joanovici. Parler de cette histoire, c’est aussi refuser ceux qui veulent que dans l’Histoire, le camp du Bien et du Mal soient foncièrement séparés?
Je crois qu’on peut conserver ces notions de Bien et de Mal sans sombrer dans le manichéisme ou l’image d’Epinal. Après tout, entre les vrais héros et les ordures finies, entre le blanc et le noir, il y a une infinité de gris… Joseph illustre l’idée, très importante à mon avis, que chacun peut tour à tour être un type bien et un salaud. Ce n’est pas un chromosome, ni un trait de caractère prédéterminé, c’est une série de choix que l’on fait tout au long de sa vie.

Aimez-vous les récits basés sur l’Histoire? Je pense par exemple au roman de Jérôme Ferrari  » Où j’ai laissé mon âme » qui refusait aussi une vision dichotomique de la guerre….l’avez-vous lu? Quels titres pourriez-vous citer?Avez-vous des mentors?
Je ne l’ai pas lu. Concernant les écrivains, j’admire beaucoup les romans de James Ellroy (sauf le dernier), pour leur habileté à entrelacer réalité historique et fiction, mais surtout pour l’intensité et l’ampleur des trajets humains qu’ils racontent. Mais j’adore aussi London, Stevenson, Conrad, Donald Westlake, Norman Lewis, Malaparte… Pour les références de cette série, je citerais d’abord des films : « Monsieur Klein », « L’armée des ombres », « Lacombe Lucien », « Black book », « Règlement de comptes »…

Pactiser, c’est s’exposer aux revers violents de la médaille. La mort d’Eva, c’était une façon symbolique d’amener la plongée aux enfers du héros ?
Mais Eva est VRAIMENT morte de mort violente, en 1949 ! Cela dit, il est certain que cela apporte un sens tragique au destin de Joseph. Il a tout fait pour la protéger, et elle meurt par sa faute… J’ai construit l’intrigue, dès le tome 1, en sachant quand et comment elle mourrait. Et je savais aussi quelles causes fictionnelles nous allions attribuer à cet événement réel.

bande dessinéeLa citation de Frédéric Nietzsche  » Que celui qui combat les monstres veille à ce que cela ne le transforme pas en monstre » au début du tome 5 est d’abord adressé au petit juge de Melun?
Bien sûr. Ce Juge qui s’appelle « Legentil » passe progressivement de la justice à la haine. Il se met à estimer que tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins, pour détruire son ennemi. Il devient comme Joseph, en fait. C’est une clé du travail de narration, dans cette série : à qui doit-on s’identifier ? Dans ce tome 5, il est clair que Joseph est le « méchant » insaisissable et menaçant. Pourtant, dès qu’il chute et souffre, bien des lecteurs se sentent désolés pour lui. Plus que pour le juge qui n’est plus si gentil…

Il reste encore un album à paraître. Un seul album pour le procès, Genève, Casablanca, Israël? Vous allez pratiquer l’ellipse « à tour de vignette »?
Si j’avais ressenti un manque de place, je n’aurais pas hésité à faire un album de plus. Mais je pense au contraire que cette durée (17 ans) donnera une grande densité, narrative et émotionnelle, à l’album. C’est un choix que Sylvain et moi avons fait dès le départ, et je peux vous dire que nous ne le regrettons pas, une fois l’album écrit, dialogué, et presque entièrement storyboardé.

Enfin, d’autres projets en cours pour Fabien Nury ?
Quelques uns… Cette année est particulière, car on boucle « La mort de Staline » et « Il était une fois en France ». Ce sont des histoires qui ont beaucoup compté pour moi, avec de formidables dessinateurs qui sont aussi des amis. A l’automne, on sort aussi un « XIII Mystery » sur Steve Rowland, avec Richard Guérineau, et le tome 3 de « L’Or et le sang », avec Merwan, Bedouel et mon copain Maurin Defrance. Encore des anti-héros… Et puis l’an prochain, je passerai à de nouvelles histoires ! Il y aura « Tyler Cross » avec Brüno, « Silas Corey » avec Pierre Alary, « Fils du Soleil » avec Eric Henninot, d’après des nouvelles de Jack London… Etc, ou plutôt, « à suivre ».

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