Depuis huit ans, elle écrit et répond aux commandes des compagnies. Dans les Insomnies de Molière, elle est à la fois l’auteur et incarne le personnage de Madeleine Béjart. C’est la troisième fois qu’elle met sa plume au travail pour parler de Jean-Baptiste Poquelin: les Insomnies de Molière ont été précédées de « Molière ou l’amour confondu et de « Corneille Molière L’arrangement ». Que sait-on de celle qui fut la compagne de Molière pendant trente ans? A-t-elle cédé son pouvoir à Molière comme le raconte la légende? Valérie Durin souhaitait participer à l’éclairage historique d’une femme qui a accompagné un tel « homme-monument », elle a choisi les planches… On l’écoute!
Vous êtes à la fois metteur en scène et comédienne dans ce spectacle: pourquoi? Est-ce un moyen d’être plus proche des artistes que l’on dirige? Est-ce le mode de fonctionnement systématique de votre compagnie?
Je ne suis pas l’unique metteur en scène de ce spectacle. Il s’agit d’une création collective, la mise en scène sera donc collective. Nous n’avons pas de « fonctionnement systématique ». Chaque nouveau projet présente ses particularités. Ici, je réponds à une proposition de la ville de Pézenas pour le festival et nous avions décidé ensemble avant même l’écriture du texte que cette forme serait « légère », c’est à dire deux ou trois artistes sur le plateau. Nous sommes donc deux acteurs (Molière et Madeleine Béjart) et un musicien qui scandera par sa présence et sa composition les diverses atmosphères de cette pièce qui se déroulent sur presque dix ans, les dix dernières années de la vie de Madeleine. Celles qui me paraissent déterminantes, les plus révélatrices.
La plupart des spectacles de votre compagnie ont été mis en scène par Michel Durantin. Cette pièce avait-elle besoin d’un regard féminin? L’idée de mettre en scène tenaillait celle qui agissait avant par la plume et sur le plateau?
La compagnie « Le p’tit Bastringue » a été créée en 2003, Michel Durantin en est le directeur artistique, il signe effectivement la plupart des mises en scènes des spectacles. Pour moi, il est un acteur né, sa nature est faite pour la scène. C’est très réjouissant de le voir jouer, l’avoir comme partenaire est un vrai cadeau. Le personnage de Molière l’accompagne depuis plusieurs années, il a eu l’occasion de le jouer dans différents spectacles. Je suis ravie de partager une nouvelle aventure de Molière avec lui. Nous travaillons ensemble depuis plusieurs années, j’ai joué dans « Les Cinq Clés » de Jean-Paul Wenzel sous sa direction et j’ai écrit et mis en scène « Corneille Molière l’Arrangement » créé en 2010 et donné à Pézenas l’an dernier, dans lequel il jouait aux côtés de Pascal Gleizes. Cette fois, je serai sur le plateau à mon tour. Nous aimons associer nos différentes qualités (et défauts !), ce type de travail nous convient.
Quatre actes, deux acteurs…une performance d’acteur si la longueur des actes respecte celle des pièces classiques!
« Quatre actes » c’est une référence à Tchekhov qui, a contrario de ses contemporains et de ses pères tranchait en imposant quatre actes à ses pièces quand les autres faisaient trois ou cinq actes. Tchekhov pour moi est une référence incontournable dans l’art de la dramaturgie, il est celui qui, le premier, impose la complexité de l’homme. Dans une certaine mesure il peut être considéré comme un héritier de Molière, on retrouve d’ailleurs sa trace dans ses oeuvres. Molière part de l’humain, de ses contradictions parce qu’il expérimente lui même les situations en scène et son théâtre sort tout droit du plateau. Le rythme d’une pièce est essentiel. Quatre actes permettent une construction équilibrée de la pièce, son format est ainsi cadré. Mais ce n’est pas un modèle absolu, c’est un contrainte. C’est dans les contraintes que nait la liberté. Nos actes ne seront d’ailleurs pas nécessairement « longs ». La durée du spectacle ne devrait pas excéder 1h15.
Vous exprimez la » nécessité de participer à l’éclairage de l’histoire des femmes qui accompagnent les hommes « monuments » » : une démarche d’abord féministe?
Sans être féministe, on peut constater très simplement que notre histoire est celle des hommes. Est-il cohérent de considérer que seuls les hommes possédaient les talents pour passer à la postérité ? Le cas de Madeleine Béjart est excellent pour vérifier que sa personnalité a façonné non seulement la troupe de Molière (qui ne prend ce nom que plus tard, puisque longtemps il s’agit de l’Illustre théâtre dirigé par Madeleine) mais aussi les pièces de Molière (qui elles aussi sortent tardivement plus de quatorze ans après leurs débuts au théâtre)
…surtout historique?
Ma proposition n’est pas celle d’une historienne. Nous nous emparons de la vie de cette femme et de cet homme afin de les remettre en scène, au théâtre, là d’où ils viennent. Bien sûr mes repères sont historiques et puisqu’il y a hiatus dans le parcours, il faut bien qu’il y ait fiction. Je suis à la recherche du vraisemblable, pas de la vérité.
et aussi ….théâtrale?
Essentiellement théâtrale ! De plus c’est bien de théâtre dont il s’agit. Madeleine Béjart est une grande femme de théâtre, c’est elle qui initie Molière et à sa suite les comédiens de la troupe. Je pense qu’on n’a pas encore mesuré la part d’influence de Madeleine Béjart sur le théâtre de Molière. Ils se rencontrent à l’âge de vingt ans, (elle a quatre ans de plus que lui) et ne se quitteront plus. Trente années de compagnonnage ! Une formidable aventure théâtrale les unit, outre leur intimité. La liberté avec laquelle ce couple s’est construit me fascine. Ils se sont aimés sans se marier, ils ont fait des enfants sans être parents, ils ont vécu leurs amours différentes respectives, ils ont inventé un théâtre à leur image en répondant aux exigences du Roi, enfin ils ont assuré leur descendance et la continuité de leurs efforts. Lui meurt un an après elle, jour pour jour. Comme s’il ne pouvait pas lui survivre.
Peut-on imaginer qu’après Madeleine Béjart, vous comptez mettre sur scène d’autres femmes de pouvoir qui sont pourtant restées dans l’ombre du succès de leur mari ou amant?
Je n’envisage pas de me spécialiser ! Le théâtre est mon élément familier, le moyen pour moi de raconter les trajectoires des femmes et des hommes qui m’interrogent, qui me troublent. J’aime aller à la découverte et je constate trop souvent que l’histoire de notre patrimoine s’est figée dans une version devenue stérile avec les siècles. Le XVIIIème et le XIXème siècles ont inscrit leur interprétation souvent moralisatrice et nous en sommes restés là, la conservant comme un acquis. Nous ne comprenons pas toujours combien nous nous ressemblons. Nous sommes très proches de ces gens des siècles passés ! Il me semble que si dans nos écoles, on se questionnait davantage sur certaines incohérences de notre Histoire, nous pourrions de nouveau soulever des intérêts nouveaux et passionnants chez les élèves.
On ne sait donc pratiquement rien de Madeleine Béjart?
Nous avons effectivement très peu de repères fiables concernant Madeleine Béjart. On connait approximativement la date de sa mort, le 17 février 1672 à 54 ans selon la plupart des biographies mais on en ignore totalement la cause. Ceux qu’on appellent les « anonymes », c’est à dire les auteurs contemporains de Molière, (chroniques, satires ou biographies libres) nous renseignent un peu plus, mais on ne peut nier les intérêts et les médisances, le caractère romancé et subjectif de ces sources.
Madeleine Béjart, obligée de laisser la gloire et les décisions à Jean-Baptiste Poquelin ,qui avait la chance d’être un homme à cette époque, garde un rôle majeur qu’elle exerce dans l’intimité…est-ce le moment d’expliquer le titre?
« Les insomnies de Molière » nous renvoient à la nuit. Leurs nuits, leur intimité. Donc la pièce se passera la nuit ! Voilà tout ce qu’on peut expliquer… On sait que Molière a eu une vie amoureuse tumultueuse, ses nuits ont été sans doute agitées et c’est cette agitation que j’ai eu envie d’explorer. Le questionnement, le doute, les abandons, la fatigue, l’excitation, le corps qui réclame et qui souffre parce que malmené et malade, et surtout une question en particulier qui à elle seule surpasse toutes les autres causes d’insomnies. Mais il faut venir voir la pièce pour en savoir plus !
Pour écrire cette pièce, avez-vous choisi d’utiliser une langue proche de celle utilisée au XVIIème?
Quelle était la langue parlée au XVIIème siècle ? On ne peut encore une fois que l’inventer parce qu’il est probable qu’elle soit différente de celle du théâtre ou de la littérature. Notre public est celui du XXIème siècle, il est indispensable qu’il se sente concerné, la langue doit nous rester familière à tous. Mais elle ne doit pas non plus être tout à fait celle qu’on utilise dans notre quotidien. J’aime le décalage et j’adopte souvent pour le théâtre un vocabulaire choisi, une syntaxe plus singulière, mais j’aime aussi qu’elle reste toujours accessible. Le théâtre de Molière est notre patrimoine, le plaisir du jeu y est omniprésent. Je ne voudrais pas m’éloigner de ça. Madeleine et Molière jouent et travaillent aussi sur quelques extraits des pièces. C’est une question de dosage !
Quelles sont les qualités essentielles requises pour être dramaturge selon vous?
Il y a une multitude de façon de faire du théâtre, d’écrire pour le théâtre, il y a d’infinies possibilités de formes de théâtre. Sincèrement je ne saurais dire si l’écriture dramatique requiert des qualités particulières. Moi je me suis mise à écrire parce que je suis comédienne et que je suis toujours à la recherche des textes jubilatoires. Je suis une gourmande, j’aime le théâtre qui nourrit et qui réjouit donc je me tourne souvent vers les textes que j’aime entendre résonner, qui appellent au jeu, les textes qui font un peu de musique quand on se les approprie. Mais j’admire aussi beaucoup le théâtre plus brut, abrupt, la parole coupée, complexe, la difficulté de dire, l’histoire morcelée ou le théâtre du quotidien enfin toutes sortes d’écritures ! La qualité essentielle, s’il en faut une, serait peut-être de ne pas se laisser aller, ne pas succomber à la lassitude, rester courageux et inventif. Mais c’est vrai pour tout !
Dans quelle mesure avez-vous puisé les éléments de l’intrigue dans votre imaginaire? Qu’est-ce qui, dans les faits narrés dans la pièce, est vrai et qu’est-ce qui est faux ( historiquement parlant)?
Je crois que ce n’est pas à l’artiste de dire le vrai ou le faux. Il pose les questions. Le spectacle sera réussi si les spectateurs à sa sortie se posent aussi des questions. Nous n’avons pas à donner des réponses. Elles ne peuvent être que mauvaises. Nous ne savons rien ! À fortiori pas plus que les spécialistes ! Je m’empare de ces trajectoires avec mon honnêteté et mon souci de rendre plus limpide une histoire encombrée d’imageries , de légendes et de parts d’ombre. Pour ressentir combien ces gens sont proches de nous et ce qu’ils ont à nous apprendre. Ils n’avaient d’ailleurs pas de réponses non plus !
Votre création est accompagnée de la musique d’Hervé Mignot et des décors et costumes de Véronique Durantin. Quel a été le parti-pris de chacun d’eux?
La part de création du compositeur-musicien Hervé Mignot et de la scénographe-costumière et plasticienne Véronique Durantin est déterminante. Nous sommes encore en pleine création, tous les choix n’ont pas été faits mais nous sommes tous tendus par le même désir : raconter une histoire à tous. Qu’elle soit entendue différemment par chacun mais personne ne se sente exclu du spectacle. Il ne sera pas nécessaire de connaître la vie et l’oeuvre de Molière. La musique d’Hervé Mignot accompagne le rêve et crée les atmosphères, c’est la respiration du spectacle. La scénographie inventée par Véronique Durantin est l’outil, le véhicule du spectacle. Dans lequel on monte pour faire le voyage. La scénographie se met au service de l’action, de la narration, elle n’est pas ostentatoire, elle est nécessaire, dans son juste besoin. Elle sait rester légère pour ne pas encombrer l’oeil mais réveiller l’imaginaire de chacun.
Vous jouerez pour la première fois à Pézenas ? D’autres dates de tournée déjà prévues ?
Nous espérons que ce spectacle aura une longue vie ! Il est né grâce à Pézenas, à Frédéric Gourdon, directeur du service culturel qui nous a accordé sa confiance, nous souhaitons ensuite le montrer le plus largement possible et aussi à un public qui ne va pas nécessairement toujours au théâtre. Nous le jouerons au festival de Cosne d’Allier en Auvergne les quatre derniers jours de juillet. C’est une découverte à partager !
Au Festival Molière dans tous ses éclats – du 15 au 24 juin 2012
* 15 juin à Caux.
*17 juin à la Butte du Château, Pézenas.
*21 juin à Lézignan, la Cèbe.
*24 juin à la Butte du Château, Pézenas.
Les 27,28 et 29 juillet 2012 au Théâtre de la Bastringue à Cosne d’Allier
Les 2 et 4 août 2012 au Festival Uburik à Prémilhat
En 2013:
-Le 14 septembre à Ainay le Château (03 – Allier) à 20h30
– Le 28 septembre à Hérisson (03 – Allier )
– Le 19 octobre à l’Etelon ( 03 – Allier)
– Le 8 novembre à Estivareille (03-Allier)
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