Festival de Cannes : sous le tapis rouge de l’imagination
Par Sophie Sendra – bscnews.fr / L’imagination était à l’honneur le mois dernier, surtout pour ce qui est de l’événement de « la croisette », le Festival de Cannes.
Pour savoir ce qui pousse tout un public à se déplacer pour voir ou découvrir le visage de ceux qui les font rêver, il faut regarder du côté de ce thème, souvent mal connu en philosophie : l’imagination.
Les images intemporelles
Il existe deux formes d’imagination, l’une est purement reproductrice et se forme sur des images pré-inscrites dans notre cerveau. Ces images s’incrustent, forment une trace mnésique intemporelle qui nous accompagne. Elle reparaît lors de certains événements particuliers. Sans trop savoir pourquoi nous avons, en nous, ces images emblématiques.
L’autre forme d’imagination est celle qui se construit de toute(s) pièce(s), c’est l’imagination créatrice. Cette dernière est un composite, une combinaison d’images déjà inscrites. Celles-ci peuvent également devenir intemporelles, lorsqu’elles s’inscrivent dans la conscience collective.
Très belle combinaison de ces deux formes d’imaginations : Marilyn Monroe. Cette magnifique photo qui symbolise cette nouvelle édition du Festival de Cannes 2012 a été réalisée grâce aux archives de Otto L. Bettmann (grand collectionneur de photographie).
Cette « Marilyn » au naturel, nous parle dans une intimité restreinte. Elle représente à la fois ce que nous imaginons d’elle, une fragilité, une douceur, image pré-inscrite d’un personnage légendaire et humain, mais également la représentation d’une combinaison d’images qu’elle créa elle-même, malgré elle, au-delà d’elle-même : la mythologie au-delà du mythe. L’inscription de Marilyn Monroe est telle, que nous ne la découvrons jamais, nous la poursuivons dans sa représentation, nous savons que c’est elle, quelle que soit la photo. Une image qui intègre notre histoire.
La conscience « imaginante »
L’imagination est tellement forte qu’elle nous permet de nous projeter. Qui n’a pas imaginé se voir (au moins une fois) monter ces fameuses « Marches », sur le tapis rouge que l’on dit « mythique » (encore la mythologie). Se projetant dans « La » situation de prendre la pause devant les photographes, faisant un petit « bonjour » à la foule. Le principe de cette « conscience imaginante » est qu’elle nous permet, dans une double manipulation mentale, d’imaginer y être et savoir qu’il y a peu de chances que cela arrive. On imagine alors dans une réalité impossible, on projette ce que nous pourrions être dans une autre vie. Mais, nous dirait Sartre, cette « conscience imaginante » ne nous apprend rien, car cette image est pauvre, elle est comme absente ou irréelle. Certes mais elle est nécessaire, elle conditionne notre humanité. Nous devons nous projeter (en ceci ou cela, vers ceci ou cela) afin de créer, d’anticiper.
Toutefois, il ne faut pas confondre imagination et illusion. Cette dernière est également nécessaire à la condition humaine, mais elle doit avoir ses limites (tout comme l’imagination).
L’illusion en « Marches »
Projections fictives ou illusions d’optiques, les « Marches » de Cannes stimulent l’imagination.
Elles nous projettent dans un monde qui préfigure ce que certains scientifiques appelleraient « une autre dimension ». C’est le choc des mondes. Séparés, ces mondes ne se croisent pas, ils se regardent, s’observent. Sur une avenue en bord de mer transfigurée pour l’occasion, ces « Marches », qu’on imagine immenses, interminables, sont courtes, sur un petit parvis peuplé de badauds, de photographes. La balade sur la promenade devient une exposition de soi. Les passants scrutent les autres passants, traquant ainsi le moindre visage, la moindre tenue.
Ce moment particulier où les caméras sont braquées sur ce petit bout de bord de mer est important car il apporte le rêve, l’imagination et l’illusion, mais la réalité ne s’efface pas lorsqu’on connait bien Cannes et ses autres quartiers, excentrés, oubliés par les « lumières ».
En ce sens, l’imagination apporte un répit face à une réalité qui nous rattrape.
L’imagination sans limites
Contre tous ceux qui n’aiment pas l’imagination, il faut citer Gaston Bachelard qui imposait celle-ci comme la faculté d’invention et de renouvellement par excellence. Fonction de l’irréel, elle est pour lui une perpétuelle évasion hors des vérités admises. L’imagination les remet en question, permettant ainsi de réveiller l’esprit critique. Elle bouscule, met en cause, projette, anticipe.
Le cinéma, comme tous les Arts, permet tout cela. Défendre l’imagination, c’est défendre une pensée illimitée.
S’il fallait conclure
Ce petit texte sur ce 65ème Festival de Cannes est destiné à tous les amoureux du cinéma, mais également à mes « Demoiselles » du quartier de Ranguin qui savent, elles, ce que veut dire imaginer. Elles se reconnaîtront.
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