Bang ! c’est l’histoire d’une ex-bande de paramilitaires givrés qui s’offrent des retrouvailles sanglantes après la mort de leur mentor. Voici venue l’heure de régler ses comptes et de se balancer au visage, entre deux tentatives de meurtre, quelques vérités qui font mal. Un récit où les pneus crissent, où les pare-brises s’engloutissent tête la première dans les canaux et où les Madones portent au creux des épaules des tatouages bien mystérieux…A l’occasion de la sortie imminente du second tome, J.C Deveney et L. Godart répondent à toutes nos questions sur cette bd pertinemment singulière à la mise en scène bien calibrée.
Comment est née l’idée de cette fratrie singulière de soldats liés à la vie à la mort ?
Loïc : L’idée est venue lors d’un voyage en voiture Lyon –Angoulême, on devait retrouver là-bas les éditions Akileos, pour parler du projet, nous avions déjà posé quelque jalons, et nous savions que nous voulions faire un récit d’action et que ça se passerait en Russie, à partir de là, l’idée de faire une succession de duels est venue et la « fratrie » s’est mise en place.
Jc : Les kilomètres à travers le massif central enneigé ont bien aidé en effet. Et pour ce qui est des jalons, nous avions envie de mettre en scène une série de combats au travers desquels les personnages se révèleraient. On était ainsi au départ plus proche d’un sérial, dans l’esprit film de vengeance, avec Madone qui retrouve et élimine tous ses anciens partenaires. Evidemment, cela sentait fortement le déjà-vu avec jolie actrice en jogging jaune. Et puis nous avons commencé à tourner autour de la Russie et de ce côté âme slave, capable de mélanger si facilement désespoir et légèreté. Et l’idée d’un groupe d’anciens commandos s’étant fait la promesse de se retrouver pour s’entretuer est arrivée.
Pourquoi avoir choisi de commencer par la fin de l’histoire justement?
Loïc : Rapidement ce qui nous a semblé le plus intéressant, c’était de voir ces personnages déjà cabossés par la vie, même si on ne connaît pas avec précision le parcours de chacun, ça permettait de leur donner d’avantage de gueule, de vécu.
Jc : Oui, et on les découvre ainsi à un moment critique de leur existence. Ils ne leur reste que quelques heures avant de mourir. ça a un côté tragique. Et en même temps, ils l’ont choisi et s’y rendent plus ou moins en connaissance de cause. ça renvoie aussi à la confrontation avec la mort, un moment où l’on se révèle forcément.
Saura-t-on plus tard qu’est-ce qui liait ces soldats dont les agissements s’apparentent à ceux des mercenaires?
Loïc : Dans l’album, on évoque un pacte, c’est une réminiscence des histoires de chevalerie ou de samouraïs, une sorte de code d’honneur relie ces personnages, c’est un peu un « un pour tous tous pour un » quelque chose qu’ils ne retrouvent pas en retournant à la vie civile.
Jc : On y a songé un moment, pour une suite éventuelle : mettre en scène la rencontre, la formation du groupe et ce qui les avait conduits à formuler ce pacte. En même temps, avec une telle histoire on s’éloignait de l’esprit Apocalypse déglinguée du premier Bang et on basculait plus vers de l’histoire de soldats. ça aurait pu être intéressant mais je crois que ce n’est pas ce qu’on avait le plus envie de raconter au moment où on s’est lancé dans le tome 2.
Le cadre spatio-temporel est-il délibérément vague? On est en Russie, on arrive jusqu’en Mongolie..?
Loïc : Voilà, c’est un une sorte de grand road movie, qui correspond également à la manière dont nous avons écrit le scénar, en voiture donc, avec des prises de notes dans différentes stations service.
Jc : Même chose pour la temporalité. On ne voulait pas placer le récit précisément dans le temps. Ca pourrait aussi bien se situer dans le passé que dans un futur proche. Et ce qui est intéressant dans la Russie, c’est l’image de ce continent géant en déliquescence qu’elle véhicule. A un moment, on avait même envisagé une scène dans les alentours radioactifs de tchernobyl. Mais on a renoncé aux mutants irradiés.
Au cœur de Bang 1, quelques pages de pause où l’on trouve des articles divers (scientifiques, extraits de blog radios..).. par volonté de distiller quelques indices aux lecteurs? Syndrome de Hook? Tatouage de Madone macabre?
Loïc : C’est un peu ça, c’est un petit bonus pour aller un peu plus loin dans l’univers de bang et de ces personnages….
Jc : On avait passé du temps à construire les personnages, même si cela n’apparaît que par bribes dans l’album. Et c’est vrai que certains éléments n’avaient pas trouvé leur place dans le récit. Du coup, ça a été l’occasion de s’amuser à creuser un peu les persos, tout en jouant sur d’autres formes.
Dans cet univers extrêmement violent et jonché d’armes, une ancienne bonne soeur réussit, seule, à éviter l’élimination complète du groupe…on a du mal à imaginer que c’est pour des raisons de moralité, non?
Loïc : Tous les personnages sont revenus à la vie civile et chacun a fait un peu ce qu’il a pu, disons que c’est la seule à s’être dirigée dans une voie plus spirituelle, mais elle n’est pas en reste non plus et manie plutôt bien la kalach’ également. Et ce n’est pas si sûr qu’elle s’en sorte bien mieux que les autres…
Jc : En effet, le personnage de Madone est moins là pour l’aspect moral que pour le côté carcéral de la vie religieuse. Les nonnes vivent enfermées, repliées sur elles-mêmes dans une recherche de Dieu. Surtout, elles ont renoncé à la maternité physique et je trouvais intéressant que Madone porte cela sur ses épaules au moment de se confronter à sa fin.
Bang…. c’est aussi l’envie de raconter une love story dans un univers trash?
Loïc : Ah mais l’amour, il est partout et pourquoi pas chez de vieux mercenaires!
Jc : Exactement ! Et puis l’amour, c’est aussi l’autre grande partie du message religieux… Bon, évidemment, Madone a tendance à l’asséner à coups de fusil à pompe, mais ça rentre mieux dans les esprits. Surtout, j’aime beaucoup le mélange de genres très codifiés. Ca me semble une bonne manière de mettre en place des histoires un peu originales et surprenantes.
Pourquoi l’utilisation d’un filtre sépia sur l’ensemble des vignettes?
Loïc : Eh bien, vu que le récit est très haché puisque nous passons d’un duel a un autre, ça permettait de donner une cohérence graphique au bouquin, une couleur, le « sépia » lui donne un petit coté vieillot, à l’image des personnages.
Jc : Et ça renforce bien le côté déglingué de l’histoire. On est sur une ambiance rouille décrépite. Un peu comme l’état de la Russie dans les années 90, après la chute du mur.
Imaginer le physique de personnages atypiques ,car brisés et abîmés physiquement, c’était un vrai plaisir d’illustrateur?
Loïc : Oui, c’est très agréable, et ça permet d’avoir une plus grande liberté, on peut leur rajouter des creux et des bosses, des dents en moins … au niveau de la caractérisation de chacun, ça donne plus de liberté que de jeunes hommes et femmes tout frais sortis de l’école militaire.
Jc : Remarque qu’il y a sûrement moyen de s’amuser aussi avec des profils acérés de jeunes gradés arrivistes… ça me fait penser à Angel Face, d’ailleurs, célèbre méchant dans Blueberry, au visage tout poupin. En même temps, je crois qu’il finit la gueule cramée dans une chaudière de loco…
Katinka, notamment, est défigurée tant elle a subi des mutilations…. réellement dues à la chirurgie esthétique? …saura-t-on, par la suite, sa véritable histoire?
Jc : Oui, même si toutes les coutures de Katinka ne sont pas dues qu’au bistouri, il y en a un bon paquet. Le fait d’en faire une addict de chirurgie esthétique était aussi une manière d’aborder sous un autre angle la question du temps qui passe et de comment on fait face à lui.
Loïc : Nous sortons effectivement un deuxième opus de Bang, dans le courant du moi de mai, qui lui sera consacré, on revient moins sur l’histoire de chacune de ses cicatrices visibles, que sur celles qu’elle a l’intérieur d’elle, de façon plus intime.
Bientôt un Bang 2 donc ….alors que le premier tome a supprimé quasi tous les protagonistes… Doit-on s’attendre à une vengeance de zombies soldats? Un règlement de compte d’amants passionnels?
Jc : J’aime bien les zombies (lisez Walking Dead) mais disons qu’on va éviter de surcharger le rayon bd à base de viandes plus ou moins fraîches qui est déjà pas mal encombré ces derniers mois. En revanche, de la passion, c’est sûr ! Ca doit être notre côté grands sentimentaux. En tout cas, ça se passera avant le premier Bang ! et on découvrira l’histoire de Katinka, et celle d’un vieux flic paumé qui vit reclus dans une cellule de son commissariat avec pour seule obsession de la retrouver.
Loïc : Après avoir fini le Bang 1, on a dû mal à lâcher définitivement les personnages. En même temps, on ne se voyait pas les reprendre tous dans un prequel. Et puis on s’est rendu compte que c’était surtout l’univers qui nous plaisait bien et qu’il pouvait nous permettre de raconter d’autres histoires sur des modes et des tons différents.
Y-aura-t-il un bang 3? un bang 4? Les coups de kalash peuvent-ils s’arrêter de ventiler des cervelles au plafond..?
Loïc : C’est le public qui décidera de la suite de bang ! Chaque album est un one-shot et a son identité propre. Le second tome sera moins « grand guignol » par exemple, plus sombre, plus polar. Pour le reste, on verra bien… pas de pression de ce côté-là. Nous n’avions déjà pas prémédité d’en faire un second ….alors 3 ou 4 !
Jc : Les coups de kalash peuvent ventiler des cervelles dans plein d’endroits possibles : les buffets, les halogènes ou même les congélateurs.
Du coup, on verra bien où tout cela finira par nous amener.
Titre: Bang
Editions: Akileos
Prix: 14 €