Le cas Jekyll: la métamorphose remarquable de Denis Podalydès
Par Julie Cadilhac–bscnews.fr/ Crédits-photo Elizabeth Carecchio/ Roman d’épouvante mais aussi oeuvre psychanalytique s’interrogeant sur le dédoublement de la personnalité, le texte de Robert-Louis Stevenson a hanté tous ceux qui ont eu la terrifiante idée de s’y pencher. Dans la brume londonienne, le rire dément de Hyde frémit en notes malfaisantes « et l’on sent dans ses veines courir un frisson glacé »…
Denys Podalydès réussit à rendre toute l’atmosphère sombre de ce récit et nous plonge dans les abysses de la conscience humaine. Tout est à louer: l’adaptation du texte de Stevenson par Christine Montalbetti restitue l’essence cauchemardesque de l’oeuvre et n’en oublie ni la poésie ni le caractère scientifique. La co-mise en scène de Denis Podalydès, Emmanuel Bourdieu et Eric Ruf explore en profondeur la bestialité de Hyde, le dérèglement des pulsions et les sursauts de la conscience pour éviter la potence, la dualité intrinsèque de Jekyll et les déchirements de son âme qui refuse de regarder dans la psyché la part sombre de son être, le rapport au public devenu le confident de la confession de Jekyll. La scénographie est remarquable, esquissant un appartement de vieux célibataire dandy déjà délabré qui, par ses blessures matérielles, laisse déjà imaginer une main animale qui se l’est approprié; le laboratoire est dans les coulisses, nommé mais jamais montré, lieu si mystérieux qu’on nous laisse la liberté d’en fantasmer le contenu. Les lumières de Stéphanie Daniel composent des tableaux saisissants, rendent le visage monstrueux en de certaines minutes de démence et sont ainsi un protagoniste à part entière. Le jeu de Denis Podalydès est brillant et sa performance magistrale: une leçon de théâtre d’un grand Homme de Scène. Joueur et badin en début de monologue, sorte d’Arlequin mondain, il compose avec autant de brio dans le registre machiavélique. Ses va et vient récurrents entre le personnage de Jekyll et de Hyde en fin de pièce sont d’une clarté impressionnante et c’est l’estomac serré que l’on voit venir la mort lente du docteur. Ce texte littéraire aux tournures élégantes et souvent savantes glisse, fluide, dans le tympan du spectateur; chaque virgule fait sens, chaque mot a son heure de gloire et l’ensemble s’éclaire malgré la noirceur du décor. Parfois le comédien emprunte des phrases du texte original, en anglais, et l’on a alors le sentiment délicieux de toucher la moelle même de cette histoire torturée. Seul sur scène, Denis Podalydès a le pouvoir pourtant de la peupler de nombreux personnages par le travestissement, une porte entrebâillée ou même un magnétophone. Pas de doute que vous sortirez enthousiaste de ce spectacle époustouflant d’intelligence, de beauté et génie théâtral. Il faut y courir car vous aurez rendez-vous avec une pièce mémorable!
Lors de la rencontre qui a suivi la représentation, Denis Podalydès a évoqué la difficulté initiale à laquelle il s’était confrontée : comment représenter sur scène le fantastique? comment représenter toute l’obscurité que contient chaque ligne du texte de Robert-Louis Stevenson? Avec Emmanuel Bourdieu et Eric Ruf, le choix de réutiliser les techniques du cinéma muet s’est très vite imposé. Jouer dans l’ombre sur le plateau était une façon de créer une tension, « dans l’ombre, forcément, le spectateur imagine une bête, quelque chose de terrifiant » et cela évite d’avoir à imaginer des effets spéciaux coûteux et peu réalistes au théâtre. Christine Montalbetti a réécrit le texte pour qu’il s’adapte davantage que l’original à la scène et que la langue, tout en restant littéraire, puisse ménager aussi des moments d’improvisation dans lequel pouvait se glisser à plaisir l’acteur. Car si cette histoire fantastique tenait tant à coeur à Denis Podalydès, c’est qu’il voyait un parallèle évident entre le duo Jekyll et Hyde et celui d’un acteur avec le personnage qu’il incarne. D’ailleurs, en choisissant de ne jouer que la dernière partie du roman de Stevenson, c’est à dire celle qui raconte la confession de Jekyll, Christine Montalbetti et Denis Podalydès ont imaginé que, dès le début de la pièce, c’est Hyde qui a pris le corps de Jekyll en otage et qui feint d’être Jekyll….et si l’on rit, c’est avec une nervosité épidermique, tant le discours du docteur Jekyll fascine autant qu’il rebute et le spectateur a la tête et le coeur pris en otage dans cette tourmente identitaire qui dénonce aussi l’hypocrisie sociale.
De Christine Montalbetti ( Adaptation de Robert-Louis Stevenson)
Mise en scène: Denis Podalydès
Co-mise en scène: Emmanuel Bourdieu et Eric Ruf
Scénographie Eric Ruf
Assistante à la scénographie: Delphine Sainte Marie
Costumes: Christian Lacroix
Lumière: Stéphanie Daniel
Son: Bernard Valléry
Conseils chorégraphiques: Cécile Bon
Dates de représentation:
A la Scène nationale de Sète (34) du 28/02 au 3/03 2012
Au Carré Léon Gaumont ( Sainte Maxime) le 10/03 2012
A l’Hexagone ( Meylan) les 13 et 14 mars 2012
Au Théâtre Jean-Bart ( Saint Nazaire) les 19 et 20 mars 2012
Au Centre culturel Georges Pompidou ( Vincennes) du 31 mars au 1 avril 2012
A l’espace 1789 ( Saint-Ouen) les 4 et 5 avril 2012