Depuis 2005, elle travaille en freelance dans de nombreux domaines plastiques et il y a deux ans, elle a rejoint le collectif nantais « La baie Noire ». Son album Milky, publié chez Venusdea, nous plonge dans un monde onirique où la lumière mène le jeu et dévoile ,au coeur d’une forêt chimérique, une faune et une flore singulière. Milky y est une reine troublante et l’on suit pas à pas ses déambulations nocturnes, guidé par les vers colorés de Lilidoll. Un passeport au graphisme sophistiqué pour une expérience visuelle poétique! Embarquez!
D’abord question inévitable…comment est né ce nom d’artiste, Lilidoll ?
C’est un nom que j’avais choisi pour une scénographie lors du Festival de la Bande-dessinée d’Angoulême, en 2004, je participais à une exposition de dessins pour laquelle j’avais créé des créatures en tissus, et « Lilidoll » était la marque inventée pour l’occasion. Cela m’est resté par la suite, quand mes amis puis le secteur de l’édition ont continué à me nommer ainsi.
Qu’est-ce qui vous attire dans ces personnages au physique de poupée ? Leur côté irréel, détaché de la réalité ?
Mes personnages ont presque toujours eu des proportions exagérées, je les dessine en les déformant (grosse tête, petits membres, cheveux envahissants…).
Tout cela m’est venu progressivement, car je dessinais de manière beaucoup plus « classique » au départ, mes proportions étaient plus réalistes. Je n’ai jamais été très assidue en dessin « d’après modèle », ce n’est pas mon point fort, et pour tout dire ça ne m’attire pas beaucoup. J’ai assez vite représenté ce que je voyais de manière plus interprétée, en accentuant les caractéristiques de mes personnages, en les malmenant un peu aussi…. je trouve plus de dynamisme et de sens à cette stylisation. Cela me permet effectivement de m’éloigner de la réalité, et de construire des univers fantastiques où se côtoient des créatures discordantes.
Dans votre album Milky, vous avez volontairement choisi de rendre l’oeil du lecteur actif et voulu l’obliger à ne pas se laisser aveugler par sa première vision ? Vous avez voulu tromper l’oeil en mêlant les formes et en jouant sur les transparences ?
Milky est un projet qui peut paraître opaque au premier abord, car les images sont travaillées en grande partie dans des ambiances nocturnes, ce qui nimbe les pages de mystère. C’est vrai que je souhaitais que le lecteur soit immergé dans cette pénombre, qu’il plonge totalement dans les secrets du livre. Mais la lumière y est bien présente, sous forme d’étincelles, ou de prunelles brillantes tapies dans l’ombre, le monde de Milky est un univers qui foisonne de vie. Mon but n’était pas de tromper l’oeil, mais plutôt de l’inviter à explorer le livre. Ce qui m’intéressait encore plus, c’était de donner une lecture ambiguë de ces ténèbres, mais pour révéler leur existence familière. Ce sont les détails secondaires, et l’abondance visuelle qui sont imperceptibles au premier abord et qui se révèlent au fil des pages qui façonnent le monde de Milky.
Quelle technique graphique avez-vous utilisée ?
Pour ce livre, je me suis fait plaisir !J’avais envie de mêler du trait au crayon à mon rendu habituel, plus numérique. Depuis des années j’avais abandonné le crayon pour la palette graphique, et ce projet m’a permis de revenir à un travail plus traditionnel. J’adore le numérique, c’est un outil formidable, mais je trouve que les dessins numériques pêchent parfois un peu par manque de sensualité, et je commençais à m’ennuyer devant mon ordinateur. J’ai donc dessiné une grande partie des décors à la main, de manière classique, au crayon gras. Dans un deuxième temps j’ai dessiné les personnages à la palette graphique, et je les ai intégrés aux décors. Puis c’est là qu’est intervenue la phase de colorisation numérique, j’ai travaillé les ambiances, les matières, tout ce qui finalise l’image. Dans un dernier temps, j’ai souvent rehaussé l’image finalisée, au crayon gras toujours, par endroits, pour y ajouter des détails, des éléments complémentaires… C’est une petite cuisine un peu particulière, mais elle est très amusante à mettre en place !
L’univers dépeint , tout de lumière et d’ombre, les couleurs vives qui contrastent avec le fond noir profond, vous fascinent-ils? Le monde de Milky ressemble au monde de vos rêves ?
Bien sûr ! Je souhaitais avant tout que Milky s’apparente à une succession de petits tableaux animés: des saynettes courtes, comme au théâtre, mais reliées par un fil directeur : l’itinéraire du personnage. C’était important pour moi que la narration suive cet aspect onirique et mouvementé. Milky est un livre d’images avant tout, mais il possède une trame poétique, proche de la fable, du conte, ou du rêve.
Pensez-vous que c’est en vous éloignant au plus loin de la réalité que vous décrivez le mieux des émotions bien réelles ?
Il y a une infinité de manière de décrire des émotions ancrées dans le réel, celle-ci en est une qui me convient, mais je trouve que l’on peut transcrire des bouleversements de mille façons, de manière réaliste ou non. Ce qui est bien avec le dessin, c’est qu’on peut représenter n’importe quoi, se couper du raisonnable, et représenter l’irréalisable, c’est un pouvoir très enivrant ! Mais c’est bien sûr toujours une question de vision, de point de vue. Chaque projet est différent, et je trouve cela très exaltant d ‘avoir continuellement la possibilité de prendre des directions différentes pour raconter le monde.
C’est au coeur de la nuit que Lilidoll scintille et offre ses plus beaux sourires?
Les univers un peu troubles ou « en marge » m’intéressent beaucoup, parce que j’aime quand la lecture n’est pas trop évidente, quand les histoires ou les images recèlent des parts d’ombre qui permettent d’en saisir le sens intime. Je n’aime pas ce qui est trop limpide… Mais je ne suis pas quelqu’un de mélancolique, et mes images fourmillent de vie, que ce soit dans ce livre-là, ou dans mes illustrations plus jeunesse. J’aime les univers passionnés, bouillonnants, où la vie mène la danse.
Un conte poétique pour se réconcilier avec la nuit ? Un hymne à la vie?
Oui, je trouve que cette définition illustre bien Milky, et peut être mon travail en général .
« Ce qui effraie n’est qu’apparence »: votre credo?
C’est un poncif mais j’ai tendance à penser que derrière le vernis de la perfection se cachent toujours les pires déviances. C’est pour cette raison que je ne peux pas représenter des mondes trop déchiffrables, je préfère les lieux étranges et les comportements atypiques.
Dans ce monde fantasmagorique, la mort rôde également et le cauchemar arrive: les êtres voraces aux canines sanglantes ont des airs de lapins tendres, les méduses reprennent les framboises scintillantes que l’on aurait osé voler: uns sorte de rêve initiatique?
J’avais envie de confronter mon expérience des contes et des fables à une vision plus adulte, moins banalisée. Milky joue sur notre mémoire, de manière visuelle aussi, c’est pour cette raison que mes animaux ont parfois des aspects « Disneyiens » mais des comportements déviants. Les situations aussi se réfèrent à notre bagage commun, les cauchemars, le rêve, la curiosité, le passage souterrain, la forêt mouvante qui cajole les personnages, nous sommes dans des souvenirs collectifs, des réminiscences de l’enfance. Le livre avance d’ailleurs dans ce sens, celui d’une quête, ou d’un cycle immuable, qui pourrait s’apparenter à la poursuite de l’enfance.
La forme poétique de l’écriture est-elle celle qui convient le mieux à votre esthétique ? Quels sont les poètes que vous lisez volontiers ?
Je travaille essentiellement en illustration de texte, particulièrement dans le secteur jeunesse, et c’est un domaine où la forme poétique n’est pas dominante, même si la comptine et la poésie y sont très représentées. J’illustre principalement des histoires, des fictions, des contes, et cela me plait beaucoup de le faire avec mon esthétique. J’adore réaliser des images uniques, complexes, qui racontent une histoire de manière autonome, mais j’aime tout autant réaliser des suites d’images, pour donner vie à des personnages au sein d’une histoire romanesque. C’est ce que je fais la plupart du temps. Quand j’ai débuté le projet pour Venusdea, j’avais plutôt en tête de réaliser un artbook, et de mettre en place un recueil d’images fictives, ce qui m’aurait beaucoup amusé… mais sans lien entre les images je trouvais l’exercice un peu réduit. Cela m’intéressait bien plus de suivre un personnage sur un livre complet, pour le développer et le rendre « attachant ». J’ai donc naturellement opté pour cette solution un peu hybride : un livre d’images avec une trame poétique, dans une forme de texte court. J’ai lu beaucoup de poésie pendant mon adolescence, mais je dois avouer qu’aujourd’hui je n’en lis plus beaucoup. Je lis beaucoup plus de romans et de contes, ou des essais, des nouvelles… je suis assez boulimique, et je passe d’un genre à l’autre. Le temps que je ne passe pas à dessiner, je le passe à lire, ou presque.
Quels projets en 2012 pour Lilidoll?
Je travaille essentiellement sur un roman classique que j’illustre pour la fin 2012, et je suis en plein travail de recherche graphique et de découpage du texte.
Ce projet est prévu dans la collection Métamorphose, aux éditions Soleil, et je suis très heureuse qu’il prenne forme, car c’est un texte qui a baigné mon enfance, et qui a beaucoup participé à mon goût de la lecture justement. Ensuite, je vais me consacrer à un projet personnel de livre pour enfants qui est en phase d’écriture depuis quelques temps, et que j’ai temporairement abandonné. J’aimerais beaucoup m’y remettre en fin d’année. Des publications mensuelles en presse jeunesse sont réalisées déjà pour 2012, des jeux, des illustrations de textes, et il y aura d’autres projets ou collaborations à suivre au jour le jour, et quelques surprises bien sûr, à suivre du coté du blog pour les actualités…
Ici Le Blog de Lilidoll: http://lilidoll-minidoll.blogspot.com/
Titre:Milky
Editions: Soleil
Prix : 16,90 euros.