Chris Debien: entre schizophrénie et mondes virtuels, la question de la réalité
Propos recueillis par Julie Cadilhac–bscnews.fr/ Crédit-photo: M.Dubord/ Chris Debien est auteur: novellisations de Lanfeust de Troy, romans de science-fiction et revues de jeux de rôle. Il est également responsable des urgences psychiatriques du CHRU de Lille. Réunissant les obsessions de ses deux métiers, il a imaginé avec Pascal Quidault ,qui illustre ses chimères, une série de romans de science-fiction dont le premier tome se fait un ambassadeur prometteur.
L’intrigue? Au coeur d’un Centre où sont accueillis des jeunes souffrant de pathologies psychiques, d’étranges expériences scientifiques sont mises en place à des fins thérapeutiques. Sous forme de « séance virtuelle » ( les amateurs de Matrix adoreront!), ces derniers sont soumis aux aléas d’un monde parallèle et doivent réagir aux évènements qui leur sont imposés. Le problème, c’est que les protagonistes principaux se retrouvent très vite pris au piège d’un serial killer. Est-ce vraiment une péripétie qui peut agir sur leurs maux psychiques? Chris Debien nous invite à suivre les aventures angoissantes d’Adam, Vince et Rachel, adolescents en mal être, qui ont très vite l’impression d’être les victimes d’une terrible machination. Qui est réellement Grüber, le directeur du Centre? Veut-il vraiment leur bien ou les manipule-t-il pour des expériences dangereuses? Pourquoi fait-on entrer des prisonniers dans le Centre? Chris Debien fait fort dans ce premier tome en jouant habilement avec la frontière troublante entre la réalité et l’imaginaire. Où commence la réalité? même le lecteur y mélange ses pinceaux…Attention c’est le moment de frissonner ! Ce roman ne manque pas de rebondissements!
Comment est née l’idée de cette série ? De l’observation attentive des patients de votre CHU ? De moments anecdotiques vécus avec un patient en particulier ?
Black Rain est un projet qui a longuement mûri dans un recoin de mon cerveau en se nourrissant de nombreuses influences. Tout d’abord, il y a eu cette envie, ce besoin quasi-viscéral qui me rongeait depuis un bout de temps de rendre hommage à toutes celles, à tous ceux que je croisais dans le cadre de mon activité professionnelle. Ces hommes, ces femmes, ces ados rencontrés aux urgences, en urgence dans un moment particulièrement difficile de leur existence. Chacune de ces rencontres m’a touché, chacune de ces histoires m’a ému… Je pense que ce sont ces émotions qui ont constitué le moteur principal de cette série. Et puis, il y a eu ce congrès scientifique auquel j’ai assisté en 2009. Lors d’une séance plénière, on y présentait les perspectives thérapeutiques pour les vingt ans à venir et, vous pouvez me croire, la réalité dépasse de loin la fiction ! Enfin je crois que la fréquentation rapprochée de certains auteurs de thriller a achevé de modeler le projet. Black Rain est ainsi un « mix » de tout cela : un thriller psycho-futuriste, comme je l’ai lu au détour d’un site. Il ne me restait plus qu’à saupoudrer le tout de quelques accords de guitare électrique, d’un peu de musique électro, d’un soupçon de Philip K. Dick, d’une once de Blade Runner et c’était parti !
Tout récit part-il selon vous d’une expérience personnelle?
Il y a quelques années, je vous aurais probablement répondu par la négative : je pensais avec sincérité qu’il n’était pas nécessaire d’avoir vécu les choses pour les décrire. Mais en écrivant, en travaillant sur l’émotion, je peux vous affirmer aujourd’hui que je me trompais complètement. On peut certes « tricher » sur les situations, les univers mais on ne peut pas flouer les lecteurs lorsque l’on décrit des sentiments, des personnalités… Il faut trouver du « matériel » quelque part : le plus « facile » est de puiser à l’intérieur de soi-même ce qui suppose une mise à nue parfois délicate. L’autre option est de rencontrer, d’observer, « d’absorber » tous ceux que l’on côtoie et j’avoue que mon métier m’aide beaucoup dans ce sens.
Ce travail sur le psychisme avec l’utilisation de mondes virtuels est un fantasme des chercheurs en psychiatrie ? Envisage-t-on déjà cliniquement ce genre d’expériences ?
Le dispositif utilisé dans Black Rain n’est pas si éloigné que ça des préoccupations scientifiques actuelles ! Aujourd’hui on travaille déjà avec la réalité virtuelle et le mouvement devrait s’accélérer d’ici peu avec l’augmentation de la puissance de calcul des ordinateurs mais surtout avec la diminution des résistances de la part des médecins. Les applications cliniques existent déjà en routine dans certains centres pour le traitement de phobies spécifiques. On peut sans beaucoup d’effort envisager l’extension de ces nouvelles thérapies à l’ensemble des troubles anxieux surtout si on les couple avec le biofeedback c’est à dire, pour faire simple, des techniques d’apprentissage du contrôle des émotions et de leurs manifestations physiques. Pour le reste, l’utilisation des nanotechnologies n’en n’est qu’à ses balbutiements et il n’existe pas, à ma connaissance, de programme de développement en psychiatrie. Quant à l’idée exploitée par Max que des nanorobots pourraient modifier l’activité neuronale et qu’en retour cette activité pourrait être mesurée par ces derniers, eh bien ce n’est pas complètement fou, puisque l’on envisage déjà de moduler l’activité de neurones préalablement modifiés génétiquement, par la lumière ! (cf. l’excellent numéro sur l’imagerie cérébrale de Cerveau et Psycho)
En plus d’être auteur, vous êtes responsable des urgences psychiatriques du CHRU de Lille….une sorte de Grüber en quelque sorte? Avez-vous déjà vécu l’expérience de la méfiance de patients qui imaginaient que vous fomentiez derrière eux des plans machiavéliques?
Oh, je suis bien pire que le docteur Grüber ! Moi, je passe mon temps à sauter sur les patients pour les attacher et leur injecter des produits ! Enfin, c’est parfois l’image que l’on a de moi et de mes confrères…;-) Quant à expérimenter la méfiance des patients, c’est un peu mon quotidien. Il y a d’abord ceux dont c’est un symptôme s’intégrant dans leur maladie, c’est à dire qu’ils sont persuadés à tort qu’on leur en veut soit parce qu’ils sont géniaux, soit parce qu’ils détiennent des secrets de grande valeur, soit parce qu’on leur veut du mal… Ce type de délire peut d’ailleurs s’étendre au conjoint, à la famille, à tout l’entourage du patient. Ce sont des personnes difficiles à convaincre d’entrer dans les soins. Pour les autres, eh bien, disons qu’il persiste une méfiance dans la société vis à vis de la psychiatrie et des psychiatres, méfiance attisée par des mouvements comme la Scientologie par exemple. Alors la méfiance, c’est effectivement quelque chose que j’expérimente tous les jours !
Qu’est-ce qui vous attire dans la science-fiction? La possibilité d’y projeter toutes les angoisses que pourrait engendrer le progrès? Son architecture délirante, gigantesque? Le degré de perfection atteint par la technologie ?
Je crois que ce qui m’attire dans ce genre – en dehors, bien évidemment de sa capacité à titiller mon imaginaire – c’est la nécessaire rigueur qu’il impose dans la création. Il faut, peut-être encore plus que dans d’autres domaines de la fantasy, s’attacher à rendre les choses plausibles, à domestiquer son imagination afin de rester « crédible ». Pour le reste, la science-fiction permet effectivement de « mettre en scène » certains progrès technologiques et de les confronter à une réalité vraisemblable. Elle est, pour moi, une sorte de laboratoire où l’on peut expérimenter les effets de telle ou telle avancée en les poussant à l’extrême et ainsi de réfléchir à ses éventuelles conséquences. Chaque jour ou presque, sort un nouvel artefact technologique auquel nous avons à peine le temps de nous acclimater qu’un autre fait son apparition… Nous sommes perpétuellement dans une course à l’adaptation ce qui réduit d’autant le temps que nous accordons à réfléchir sur l’intérêt réel de ces nouveautés. La Science-Fiction permet d’allonger ce temps de réflexion… Et ce n’est pas nouveau : il suffit de relire les grands classiques des années 50 à 70 pour s’apercevoir que la SF fonctionnait de la même façon. Toutes les thématiques abordées (omniprésence des questions sécuritaires, conflits générationnels exacerbés, téléréalité, etc.) dans ces ouvrages trouvent aujourd’hui une résonance particulière avec les débats de société actuels. Et si l’on avait pris les auteurs de l’époque un peu plus au sérieux, on aurait sans doute pu éviter un certain nombre d’erreurs…
La science-fiction est-elle une nourriture essentielle pour la « poésie » de votre écriture? En effet, elle vous permet d’inventer le monde tel que le perçoit Adam, les rideaux de pluie noire, l’urbanisme tentaculaire…
C’est une jolie question et je suis flatté que vous parliez de la « poésie » de mon écriture… Ce qui signifie peut-être que j’ai atteint une partie de mon objectif : transmettre des émotions « fortes », « réelles » au lecteur tout comme le fait la poésie. Mais pour répondre à votre question, je pense que c’est la fantasy en général qui constitue une nourriture essentielle à mon écriture, l’imaginaire…
Serait-ce le moment d’expliquer le titre? Ou nous ôterions le suspense?
Joker !Je peux juste vous donner quelques pistes (dont certaines fausses ;)) en vous citant les références qui ont guidé mon choix : Black Rain est le nom d’un groupe de hard rock français, celui d’un album d’Ozzy Osbourne, mais aussi le titre d’un film japonais qui fait appel à une autre référence, la Pluie Noire, un phénomène qui survient après une explosion nucléaire. A vous de voir. A moins que Ridley Scott en personne n’y soit pour quelque chose…
Vous avez écrit plusieurs thrillers. Comment écrire la peur, comment l’amener, la réguler, donner des moments de répit au lecteur pour ne pas basculer dans de l’horreur à laquelle on ne croit plus? Quelle est votre recette?
En vérité, je n’ai écrit aucun thriller ! Il y a quelques années, j’ai bien commis un roman noir mais son rythme et ses thématiques sont très éloignés du thriller. Et pour le reste, j’ai écrit quelques ouvrages jeunesse ainsi qu’une trilogie d’héroïc-Fantasy : je crois donc qu’il va falloir que je revoie ma bio ! Pour répondre à votre question, ma préoccupation essentielle lorsque j’écris est d’essayer de traduire des émotions et de les faire ressentir au lecteur. J’attache beaucoup d’importance aux sensations pour l’immerger dans un monde qu’il va pouvoir toucher, contempler, sentir au plus profond de lui… Lorsque je suis devant mon clavier d’ailleurs, j’expérimente le même état de tension que les protagonistes ce qui en fait une expérience très physique… Aussi je leur accorde quelques moments de répit lorsque moi-même je n’en peux plus. Quant à l’horreur pure, elle ne m’intéresse pas si ce n’est par ellipse… C’est ce qui est caché qui fait le plus peur.
L’attirance pour le morbide est un phénomène naturel à l’adolescence… pourquoi selon vous ?
Aie, la question pour le pédopsychiatre que je ne suis pas ! La fascination pour le morbide existe bien au delà de l’adolescence, elle nous poursuit toute notre vie, c’est d’ailleurs ce qui nous fait ralentir sur la route au passage d’un accident, qui nous fait aimer les thrillers et apprécier les films d’horreur. Mais il existe un autre phénomène plus spécifique de l’adolescence : la recherche de limites. Or quelle autre limite à la vie que la mort ? Certains adolescents vont ainsi flirter avec la mort (conduite sans casque, alcoolisations massives, etc.) juste pour tester leurs propres limites et parfois celles de leurs proches. Ils ne désirent pas la mort mais parfois les conséquences sont dramatiques !
Pensez-vous que le progrès scientifique est effrayant car il permet des dérives de plus en plus dangereuses pour l’humain ? Est-ce une volonté de votre part de sensibiliser votre lectorat à ce genre de danger? Ou ce livre doit simplement se lire comme l’enivrante possibilité de se faire peur au fond de son lit?
Non, il s’agit bien d’une volonté de développer l’esprit critique du lecteur. Que ce soit vis à vis des progrès de la science (qui sera au passage ce qu’Eux en feront ! Pour moi c’est déjà trop tard) ou des relations aux autres et notamment vis à vis des adultes. On m’a déjà reproché d’aborder des sujets difficiles dans ce roman mais c’est pour mieux prévenir les choses. Cacher la vérité n’a jamais fait progresser qui que ce soit ! Quelqu’un a d’ailleurs écrit un jour que la pire chose que l’on pouvait raconter aux enfants étaient les contes de fées… Qui ne sont la plupart du temps qu’une suite de clichés auxquels ils voudront se conformer (le mythe du prince charmant) ou de fausses réassurances. Il s’agit au contraire de les préparer tout doucement, à leur rythme, avec leurs valeurs à ce qu’est le monde pour qu’ils puissent en prendre les rênes et non pas le subir !
Vous avez volontairement destiné cette série à un public jeune ( 15-25 ans)? Il me semble qu’il peut être attractif à un plus grand nombre…avez-vous eu des réactions d’adultes en ce sens? ( à part moi qui ai beaucoup apprécié !))
Vous allez croire que je fais exprès de vous contredire mais je n’ai pas choisi volontairement de le destiner à un public jeune… Disons qu’il s’agit plus d’un choix éditorial, de rencontres, d’opportunités… Et je suis ravi de voir qu’il plaît à des « adultes » car toutes les critiques émises jusqu’à présent émanent d’adultes et sont toutes positives !
Adam et Vince sont passionnés de mangas. Est-ce un univers qui vous attire aussi ou vous y êtes-vous plongé pour les nécessités de cette série?
Etant donné mon âge canonique, j’ai assisté à l’émergence du manga en France et j’avoue que j’ai failli passer à côté de ce phénomène extraordinaire de richesse et d’inventivité. Je dois rendre hommage à l’un de mes confrères, le docteur Vincent Jardon (d’où le Vince…) de m’avoir poussé dans ce jardin là. Jusqu’à sa rencontre, manga rimait pour moi avec Dragon Ball Z dont je ne me sentais plus très proche. Alors il m’a confié Quartier Lointain. Et là j’ai découvert que « manga » ne voulait rien dire : c’était un mot bien trop vague pour désigner l’ensemble des courants qui existaient. Je me suis donc penché un peu plus et j’ai découvert Twentieth Century Boys, Monster, ou plus récemment Judge ou Pluto… Bref, depuis quelques années je me suis plongé dedans et c’est tout naturellement que cette influence est venue pointer le bout de son nez dans les romans.
Une Yuki Onna est un personnage du folklore japonais, une personnification de l’hiver…est-ce une vision positive pour Adam? pourquoi cette vision?
Mystères et sashimis ! Il est bien trop tôt pour en dire plus sur ce personnage…
Comment est née l’idée de ce générique en bande-dessinée intégré ?
L’idée du générique s’est rapidement imposée comme une évidence ! En effet, dès le début, j’ai imaginé Black Rain comme une série télé… or toute série qui se respecte possède un générique qui marque son identité, immerge le spectateur dans une ambiance particulière. J’ai d’abord essayé de rendre le générique sous forme littéraire mais le résultat ne m’a pas convaincu. J’ai aussitôt pensé à Pascal Quidault et la forme s’est imposée d’elle-même. D’ailleurs maintenant que j’y songe, je me dis qu’il ne reste plus qu’à composer quelques accords pour le mettre en musique : des volontaires ?
Vous avez inséré aussi dans ce premier tome un générique dans lequel figurent les définitions de psychose et de schizophrénie ; vous y expliquez notamment que chez des sujets qui auraient une sensibilité génétique à la psychose, cette sensibilité peut se manifester » lors de l’exposition répétée à des stress d’origine psychologique ( traumatismes par exemple), chimique (cannabis par exemple) et environnementale…. y-a-t-il la volonté d’un médecin d’envoyer un message à ses lecteurs sur la consommation, par exemple, de stupéfiants? Y-a-t-il le besoin de revenir à cette réalité clinique, de ne jamais la perdre de vue ?
L’idée de préciser quelques termes voire de profiter de la lecture pour donner un côté « didactique » est une notion qui s’est construite peu à peu lors d’échanges avec mes éditrices. Je me suis dit : tu veux écrire quelque chose qui fasse réfléchir » les lecteurs alors donne leur toutes les clefs… Et puis je ne voulais pas inclure des explications trop lourdes dans le texte… C’est pour ça que nous avons décidé de proposer ces définitions en fin d’épisode : vous n’êtes pas obligé de les lire pas plus que vous n’êtes obligé de rester dans une salle de ciné lorsque défilent les noms des techniciens… Et pour répondre à votre dernière question, je crois qu’effectivement, quoique je fasse, je reste médecin jusqu’au bout des ongles !
Une utilisation abusive des jeux vidéos et jeux de rôle peut-elle conduire aussi à déclencher ce genre de troubles? L’omniprésence du virtuel aujourd’hui peut-elle être un facteur déclenchant de la schizophrénie? Est-ce prouvé?
Ouhlala, j’ai l’impression de revenir au moins dix ou quinze ans en arrière ! L’apparition du jeu vidéo et du jeu de rôle ont engendré des tas de fantasmes, des tas de débats passionnés mais tellement éloignés des réalités scientifiques qu’ils en étaient ridicules : on citait des exemples isolés et on en faisait des règles, on s’appuyait sur des lectures très parcellaires d’études à peine esquissées… Bref, on a raconté tout et son contraire. Aujourd’hui, on dispose de nombreuses années de recul et certains chercheurs se sont emparés de ces thématiques pour développer des programmes de recherche rigoureux. Et les résultats sont sans équivoque : ni les jeux vidéos, ni encore moins les jeux de rôles ne peuvent engendrer de maladie psychiatrique aussi grave que la psychose… D’autres troubles (pour les jeux vidéos) comme les addictions par exemple, oui, mais pas la psychose. En revanche ce sont d’excellents révélateurs ! En effet, ils permettent à ceux qui commencent à ressentir des troubles de les dissimuler assez longtemps tout en gardant contact avec les autres : on peut jouer en ligne à Modern Warfare III en étant schizophrène et en évitant de se retrouver en présence des autres et ainsi de cacher ses symptômes. Ceci permet de souligner le rôle majeur que doivent jouer les parents : être attentif à l’utilisation qui est faite de tel ou tel support pour repérer les excès et éventuellement les raisons de ces excès.
Cette série est-elle née aussi du désir de faire comprendre les troubles que supportent les enfants atteints de pathologies psychiques?
En grande partie, comme je le disais au début de cette interview. Mais que les lecteurs se rassurent, je n’ai pas rédigé un traité de pathologie psychiatrique et mes descriptions cliniques sont parfois un peu trop romanesques (il est rare, comme Adam, d’entendre des discours aussi structurés pour un patient schizophrène…) pour être réelles ! En revanche, j’ai voulu faire comprendre la souffrance que cela peut engendrer d’être non seulement malade mais en plus stigmatisé, catalogué « fou » avec tous les préjugés que cela suppose. Contrairement à ce que disent certains médias, les patients atteints de maladies mentales sont beaucoup plus souvent victimes qu’agresseurs, par exemple !
Pratique-t-on des ateliers d’écriture avec les patients atteints de troubles psychologiques? Ecrire peut-il aider à rattraper le réel qui échappe?
Les ateliers d’écriture existent depuis longtemps en psychiatrie, tout comme l’art-thérapie ou la musicothérapie, et peuvent répondre à différents objectifs selon les pathologies ou les symptômes présentés par les patients. Il est certain que ces ateliers permettent avant tout de s’ancrer dans une réalité relationnelle et peu à peu dans une réalité pratique tout court.
Pratique- t-on en psychiatrie avec les plus jeunes des codes, des jeux, invente-t-on un vocabulaire pour rassurer les ados, leur offrir des points d’accroche avec la réalité?
J’ignore ce qu’est le travail au long court avec les adolescents car je ne les vois que sur de courtes périodes (en urgence et post-urgence soit maximum une dizaine de jours) mais, je pense, et ça n’engage que moi, que tout ce qui permet de rentrer en contact, de rassurer un patient est bon à condition de ne pas perdre de vue l’objectif thérapeutique. J’ai choisi la psychiatrie, entre autres, car elle me permettait d’aller à la rencontre des Autres et surtout car elle nécessitait une créativité de tous les instants dans l’établissement de la relation : quelque chose qu’il n’est pas encore possible de standardiser !
Tout l’enjeu de cette série est de plonger le lecteur dans l’incertitude? de l’obliger à se demander sans cesse si ce que vivent les enfants est réel ou complètement imaginaire…l’objectif est que les personnages aussi bien que les lecteurs soient, en quelque sorte, manipulés?
Oui, oui et oui ! J’adore piéger les lecteurs à condition de ne pas leur mentir, de se jouer d’eux. Ils ont toutes les cartes en main pour comprendre ce qui se passe réellement mais ils ne le voient pas forcément car j’ai accumulé de nombreux écrans de fumée…
« La réalité n’est qu’un point de vue » : est-ce une phrase de thérapeute? une conviction personnelle? une machine narrative d’auteur?
Une citation de Philip K. Dick, grand auteur de SF et malade mental par ailleurs ! Mais c’est effectivement un peu de tout ça à la fois… Je l’utilise souvent en tant que thérapeute pour rappeler à quel point la perception de la réalité peut être différente d’un individu à l’autre et qu’il est important de respecter les points de vue extérieurs si l’on veut entrer en communication. Mon métier n’est pas la recherche de la Vérité mais l’apaisement de la souffrance !
Enfin combien de saisons sont prévues? combien d’épisodes par saison?
Si l’éditeur est d’accord et si les lecteurs suivent, il y aura deux saisons de six épisodes chacune et si tout va vraiment très bien, j’aimerais qu’il y ait un prolongement pour deux saisons supplémentaires mais en changeant de personnage principal cette fois-ci, comme c’était prévu initialement d’ailleurs.
Titre: Black Rain
Auteur: Chris Debien
Illustrateur: Pascal Quidault
Editeur: Flammarion
Prix:15 euros