Michel Déon et Félicien Marceau sont amis, académiciens. Ils se tutoient, se voient tout le temps et s’écrivent en plus ! Cent quatre-vingts lettres et cartes postales sont ici réunies. Michel et Félicien s’encouragement, s’admirent, se confient, livrent quelques tractations présidant l’attribution des grands prix littéraires et autres secrets bien gardés des lettres parisiennes. Lorsqu’ils se rencontrent, Déon a trente-quatre ans, il a publié quatre romans, multiplie les piges, Marceau en a quarante, il a publié six livres chez Gallimard et commence à écrire pour le théâtre. Une complicité naît. En témoignent ces lettres, un régal d’humour et d’optimisme.
Comment avez-vous rencontré Félicien Marceau ?
En 1955, chez Plon, j’ai vu entrer un monsieur avec un gros dossier sous le bras. C’était Félicien Marceau. Je venais de lire « Capri, petite île ». L’amitié est née tout de suite. Je me suis installé dans un hôtel voisin du sien à Positano. Françoise Sagan a débarqué, ainsi que Florence Malraux, Claude Dulong, Jean Dutourd, Christine de Rivoyre. Un été très gai. Nous sommes restés très liés. Il est souvent venu me rendre visite en Grèce et en Irlande. Nous nous encouragions. Un être exquis, d’une grande droiture. Injustement traité par les Belges, il a eu une réparation éclatante en France : prix Interallié, prix Goncourt, des succès au théâtre. « L’œuf » s’est joué dans le monde entier. Il est mon aîné de cinq ans. Nous avions beaucoup de plaisir à nous écrire des petits mots affectueux, fraternels.
Votre amitié avec Sagan.
Je lisais des manuscrits chez Plon: l’épouillage. Un jour, je suis tombé sur « Bonjour Tristesse ». L’auteur avait 17 ans. Je me suis dit : elle ferait mieux de rester à l’école. J’ai fait un rapport élogieux. Le directeur de Plon a mis quinze jours pour l’appeler, Sagan avait déjà donné son roman à Julliard. Je l’ai interviewée pour « Paris-Match » à Biarritz. Nous avons parlé délicieusement. Elle m’a confié un poème. Nous sommes restés liés jusqu’à ce qu’elle disparaisse. J’ai des lettres d’elles charmantes. C’était quelqu’un d’exceptionnel.
Bernard Frank et moi, avions des relations un peu concurrentes. C’est un écrivain pour écrivain. Il était très intelligent, très paresseux. Un grand chroniqueur.
Quelle curieuse idée d’avoir « peigné » « Les Poneys sauvages » ?
Ce que vous écrivez à 20 ans paraît un peu débile à 90. J’ai supprimé des liaisons, des épithètes. Je n’ai rien changé à l’action. Jules Renard disait : « Je me relis comme si j’étais mon pire ennemi ».
Parmi vos romans, lesquels préférez-vous ?
J’ai un penchant pour « La Montée du soir ». Celui qui m’amuse le plus est « Un déjeuner de soleil ». Il contient beaucoup de mes secrets. Un jeu, une réflexion sur les origines de la création. A l’étranger, on m’a dit qu’il était nabokovien. « Je vous écris d’Italie » et « Les poneys sauvages » se sont bien vendus. Le succès d’ « Un taxi mauve » m’a fait douter de moi-même. Morand m’a influencé et surtout Stendhal, les livres de voyage.
Comment travaillez-vous ?
Par vagues. J’ai été un homme libre toute ma vie. J’ai vécu pendant cinq ans en Grèce avec « Les poneys sauvages ». Je me promenais, je faisais du bateau, j’élevais mes deux enfants. Les idées me viennent à ma table de travail.
L’Académie est-elle une île ?
Peut-être pas ! Ouverte sur l’étranger, elle est traversée par des courants contemporains. J’aimerais y accueillir Eric Neuhoff, Patrick Besson, Jean Echenoz, Patrick Modiano. Chaque fois que je lis un livre de Modiano, je me dis : ça ronronne, mais ça marche toujours. Il a un don d’observation, une écriture exceptionnelle.
Et l’affaire Robbe-Grillet ?
A la fin de sa vie, il m’a envoyé des dédicaces flatteuses qui ne trompent pas. Ses livres sont bien écrits, mais barbants. Ils ne passeront pas une ou deux générations. Son système est mort. Lors de son élection à l’Académie, il n’a pas pu faire son discours sur Maurice Rheims : il commençait à être sec. Cultivé, plein d’ironie et d’humour, il a été victime de son ego.
Quels sont vos souvenirs de Jean-Edern Hallier, des hussards ?
J’ai publié des livres de Jean-Edern à la Table Ronde. J’ai beaucoup aimé être du côté de l’éditeur : ça vous calme. Avec ses folies, ses extravagances, Hallier remuait son époque. Il nous manque. Ses livres ne sont pas à la hauteur de son ambition. Il buvait trop de vodka. A l’instar de Blondin, c’était un désespéré. Tout d’un coup, Blondin était saisi par un démon, cette envie d’être autre : une forme de suicide à l’alcool. Il voulait se faire pardonner d’avoir tant de talent, d’être un être exquis, entouré d’amis. Peut-être se disait-il : « C’est trop, je ne mérite pas tout ça » ? Je garde de merveilleux souvenirs de lui. Le mot « hussards » m’agace. Ca n’a jamais existé. A l’époque, je ne parlais pas de politique. Blondin, Nimier, Laurent étaient des amis, mais il y avait des inimités entre certains. J’étais proche de Jacques Laurent. Il est un peu obscurci par Cecile Saint-Laurent., ce personnage marginal inventé. Au cours d’un déjeuner à « L’Express », nous parlions de la guerre d’Algérie. J’ai cité « Les passagers pour Alger », de Jacques Laurent. On m’a répondu : « Oui, la suite de Caroline » ! Il a financé « Art », « La Parisienne »: il était d’une générosité formidable. Il a voulu sauver un journal qui allait disparaître. Quand on lui a reproché de faire une revue pour plaire, il a répondu : « Les écrivains aiment plaire ».
Que pensez-vous du Journal de Morand ?
Le plus amusant chez lui, ce sont les démolitions. Sa correspondance avec Chardonne est moins intéressante que « Le journal d’un inconnu ». Ils savaient qu’elle serait publiée un jour. Moi, je peux vous jurer qu’en confiant une partie de mes archives à ma fille, elle trouverait ces lettres amusantes.
Vous avez rencontré Hitchcock, William Faulkner?
Hitchcock tournait à Hollywood, « L’inconnu du Nord Express ». Sur le tournage, je lui ai montré des articles parus sur lui en France où il était pris très au sérieux, comme un grand créateur. Faulkner était dans un pub, à Oxford. Nous avons bu. Nous nous sommes séparés très tôt le matin. Larbaud a fait beaucoup pour lui ; Malraux lui a volé la préface. Michel. Mohrt a rendu d’immenses services à la maison qui l’a un peu oublié. J’aime beaucoup son roman, « Les nomades ». Je l’ai préfacé. Un travail qui me plaît. Je viens de préfacer, « Le château de Versailles », de Louis Dussieux, réédité chez mon neveu, Jean-Cyrille Godefroy. J’ai préface la correspondance Chardonne-Paulhan.. On m’a demandé de préfacer une réédition du « Robinson Crusoé », de Daniel Defoe, (Albin Michel). Un grand livre. J’ai préface pour Le Dilettante un livre que j’avais lu pendant l’occupation, « Saint Genès ou la vie brève » de Roland Cailleux
Dans quelle circonstance avez-vous connu Dali ?
Le directeur de Plon m’a demandé si cela m’amuserait de mettre au point les manuscrits du « Journal d’un génie », de Dali. (Je revenais des Etats-Unis où les journalistes américains s’étaient payés sa tête.) Le manuscrit de quatre cent pages était écrit en français en lettres capitales, avec l’accent catalan. J’ai demandé à Dali de me laisser un peu de liberté. J’ai fait une version qui a eu beaucoup de succès et qui sert à la traduction. Dali était gentil, très sympathique. Je suis allé le voir à Cadaques. J’aime ce qui est spontané dans sa peinture. Gala se méfait de tout le monde, elle me surveillait pour voir si je ne partais pas avec un dessin. Réclamait les manuscrits. Je me suis mis en colère. Elle n’avait pas tort de se méfier : Dali a été volé par son entourage.
Vous êtes, comme Houellebecq, installé en Irlande….
Je l’ai connu par la revue, « L’Atelier du roman ». « L’extension du domaine de la lutte », est un roman fracassant. Il vit dans une île de la baie de Country. Une nuit, il m’a téléphoné, m’a dit que toutes ses vitres étaient cassées, qu’il recevait des menaces de mort, que sa femme avait disparu. Entre minuit et quatre heures du matin, j’ai pris le bac, je l’ai trouvé dans une maison saccagée. Je l’ai hébergé, lui et son chien. L’an dernier, il m’a annoncé la mort de Clément.
Vous suivez les jeunes auteurs ?
Je trouve remarquable « Banquise », de Valentine Goby, (Albin Michel). J’aime beaucoup « Une nuit à Reykjavik », de Brina Svit (Gallimard, rentrée 2011), « Un amour de frère », de Colette Fellous (Gallimard 2011) et « Retour à Killybegs », de Sorj Chalandon (Grasset 2011). Je lis plutôt des mémoires. Les livres de plus de cent cinquante pages me fatiguent. Pourtant, j’ai lu avec délice « La lanterne d’Aristote », de Thierry Laget (Gallimard 2011) – quatre cent pages. Spirituel, habile.